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§. II. Premier témoignage de feu M. de Genève.

5. « Je l'ai connue (madame Guyon) au com>> mencement de l'année 1689, quelques mois » après qu'elle fut sortie de la Visitation de la » rue Saint-Antoine, et quelques mois avant que » j'allasse à la Cour. J'étois alors prévenu contre » elle, sur ce que j'avois ouï dire de ses voyages : » voici ce qui contribua à effacer mes impres»sions. Je lus une lettre de feu M. de Genève, » datée du 29 juin 1683, où sont ces paroles sur >> cette personne: Je l'estime infiniment; mais » je ne puis approuver qu'elle veuille rendre son » esprit universel, et qu'elle veuille l'introduire » dans tous nos monastères au préjudice de celui » de leur institut. Cela divise et brouille les com» munautés les plus saintes.... A cela près je l'es» time, et je l'honore au-delà de l'imaginable (1) ».

RÉPONSE.

6. Il faut avoir bien envie d'estimer madame Guyon, et d'effacer les mauvaises impressions de ses voyages, du moins indiscrets avec le père Lacombe, pour s'appuyer de cette lettre. Voici comme en parle M. de Cambrai : « Je voyois, » dit-il (2), que le seul grief de ce prélat étoit le » zèle indiscret d'une femme, qui vouloit trop >> communiquer ce qu'elle croyoit bon ». Il se contente d'appeler un zèle indiscret, d'avoir voulu

(1) Rép. d la Relat. ch. 1, p. 11. (2) Ibid.

introduire

introduire partout son esprit particulier, et même « dans les monastères, au préjudice de celui de >> leurs instituts ».

7. M. de Cambrai compte pour rien cette dernière parole, qui, loin de permettre qu'on approchât madame Guyon des maisons religieuses, l'en devoit exclure à jamais comme une femme qui y brouilloit tout: n'est-ce pas de dessein formé vouloir excuser madame Guyon, que de réduire à une simple indiscrétion la témérité de contredire l'esprit des communautés? Mais celle que ce saint prélat éloignoit des monastères bien réglés, croira-t-on qu'il l'eût laissée approcher aisément des autres personnes pieuses, et acquérir leur estime? A cela près tout alloit bien, et M. de Cambrai, facile à contenter sur le sujet de cette femme, se payoit des complimens de civilité que lui faisoit un prélat, à condition de lui fermer toute approche de ses monastères.

§. III. Second témoignage de feu M. de Genève.

M. DE CAMBRAI.

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8. « Quoique ce prélat ait défendu, l'an 1688, » les livres de madame Guyon, il paroît avoir persisté, jusqu'au 8 février de l'an 1695, à es>> timer la vertu de cette personne (1) » ; ce qu'il prouve par les paroles de cette lettre, où il écrit à un ami : Je ne vous ai jamais ouï parler d'elle qu'avec beaucoup d'estime et de respect, etc. II

(1) Rép. à la Relat. ch. 1, p. 12.

BOSSUET. Xxx.

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assure qu'il en a usé de même : et il conclut en disant Si elle a eu quelques chagrins à Paris, elle ne les doit imputer qu'aux liaisons qu'elle a eues avec le père Lacombe : Et l'on ajoute, qu'elle s'est fait des affaires par des conférences et par des communications qu'elle a eues dans Paris avec quelques personnes du parti du quiétisme outré. Quelque éloignement que je lui aie toujours témoigné pour cette doctrine et pour les livres du père Lacombe, j'ai toujours parlé de la piété et des mœurs de cette dame avec éloge.

RÉPONSE.

9. Enfin M. de Cambrai n'a rien pour autoriser l'estime dont il honoroit madame Guyon, que le témoignage d'un prélat qui en avoit déjà condamné les livres; qui avoit cru lui devoir parler si fortement contre le père Lacombe, son directeur, et contre les Quiétistes outrés qu'elle fréquentoit. Voilà les beaux témoignages qui ont mérité à cette femme l'estime d'un archevêque; ce lui est assez, qu'on parle en général honnêtement de ses mœurs, comme on a coutume de faire, quand on ne veut pas s'en enquérir davantage. En effet, depuis que ce saint évêque s'est senti obligé à entrer plus avant dans cet examen, il a chassé de son diocèse madame Guyon avec le père Lacombe, non-seulement pour leurs mauvais livres, mais encore pour leur conduite scandaleuse. S'il a parlé plus doucement de la conduite de madame Guyon avant que d'être bien

informé, il ne s'ensuit pas qu'il faille produire des paroles générales comme des attestations authentiques, ni que ce prélat ait eu intention de recommander sa vertu, et de la rendre estimable. Il seroit bien étonné, s'il revivoit, de se voir citer comme défenseur de madame Guyon; et après ce qui s'est passé depuis, il ne falloit pas remuer ses cendres contre sa pensée. Au reste, il est évident que les lettres de ce prélat ne font pas voir dans madame Guyon la moindre teinture de cette haute spiritualité, qui la pût faire regarder par M. de Cambrai comme si expérimentée et și éclairée dans les voies intérieures, qu'il en fit son amie spirituelle, et qu'il étudiât ses expériences. Mais voici quelque chose de plus fort.

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§. IV. Sur mon témoignage de moi-même.

10. « Eh bien, citons à M. de Meaux un té» moin qui ait lu et examiné à fond tous les ma>> nuscrits de madame Guyon: je n'en veux point » d'autre que lui-même (1).... Voici ce qu'il fit, quand elle fut dans son diocèse : il lui continua » dès le premier jour l'usage des sacremens', sans » lui faire rétracter ni avouer aucune erreur » dans la suite, après avoir vu tous les manuscrits, » et examiné soigneusement la personne, il lui >> dicta un acte de soumission sur les xxxiv Ar» ticles, daté du 15 avril 1695, où après avoir » condamné toutes les erreurs qu'on lui imputoit, » il lui fit ajouter ces paroles: Je déclare néan(1) Rép. à la Relat, ch. 1, p. 14.

» moins, que je n'ai jamais eù intention de rien » avancer qui fut contraire à l'esprit de l'Eglise catholique, apostolique, et romaine, etc. »

RÉPONSE.

11. Ceux qui se sont laissés éblouir par un acte qui ne dit rien, doivent apprendre à n'être plus surpris par de telles choses. Il faut distinguer deux temps: celui qui a précédé l'acte qu'on rapporte, et celui où il fut signé.

12. Avant que de signer l'acte où madame Guyon commençoit à souscrire ses soumissions particulières, j'ai dit, dans la Relation (1), que comme elle les témoignoit en tout et partout dans toutes ses paroles et dans toutes ses lettres, je ne crus pas la devoir priver des sacremens, où feu M. de Paris l'avoit conservée. Je la traitois avec toute sorte de douceur, n'ayant pas encore bien déterminé en mon esprit, si ses visions venoient de présomption, de malice, ou de quelque débilité de son cerveau. On ne connoît l'indocilité et l'opiniâtreté, que par les désobéissances, ou par les rechutes et les manquemens de paroles. Ainsi, la voyant docile en tout à l'extérieur, je la laissois entre les mains de son confesseur, homme habile, docteur de Sorbonne, et ancien chanoine de l'église de Meaux, sans m'informer du particulier; et je la traitai en infirme avec toute sorte de condescendance, selon le précepte

(1) Relat. 1. sect. n. 3, 4. 11. sect. n. 1, 2, 3, 20, 21. 111. sect. n. 18, etc.

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