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fond; dans les expressions, dans les sentimens ; contre la raison, contre l'Evangile, contre l'esprit de l'Eglise elle répond à tout cela en avouant, en se soumettant sans réserve: n'est-ce rien lui faire avouer, que de lui faire avouer toutes ces choses? On nous la représente comme une personne qui nous soutenoit qu'elle n'avoit jamais eu aucune erreur de celles qu'on lui faisoit condamner; cette lettre montre un esprit tout contraire: ajoutez toutes les défenses portées dans les actes, et dans la propre attestation que M. de Cambrai produit. Il ose dire, après cela, que je n'ai rien répondu, lui qui sait, qui voit de ses yeux toutes mes précises réponses, dans ma Relation, dans un livre qu'il a en main, et sur lequel il travaille. Non-seulement j'ai répondu, mais encore ma réponse est irréprochable. J'ai les deux lettres dont il s'agit : la mienne dans une copie que j'en retins alors, et celle de madame Guyon en original: la seule crainte d'embarrasser le lecteur d'une longue et inutile lecture m'empêcha de les produire. Mais enfin M. de Cambrai veut-il n'avoir jamais vu ces lettres mentionnées dans ma Relation; ou veut-il les avoir vues? Ce qu'il lui plaira; car il lui faut laisser le champ libre, pour dire ce qu'il veut avoir vu ou non s'il les a vues, et que madame Guyon, qui lui rendoit compte de tout, les lui ait communiquées, il m'accuse à tort de n'avoir satisfait à rien, puisqu'il paroît par ces lettres que j'ai satisfait à tout. Mais s'il veut n'avoir rien

vu de tout cela, et qu'il m'accuse cependant au hasard, et sans en rien savoir, d'avoir manqué à tous mes devoirs, il est le plus injuste de tous les accusateurs, et il dit tout à sa fantaisie.

30. Il répond peut-être, dans l'humeur contredisante qui le tient, qu'il falloit rendre ces lettres publiques: quoi? dans le temps qu'on espéroit de ramener une ignorante soumise? quel prodige d'inhumanité! Il faut noter publiquement les erreurs publiques: il faut même découvrir les plaies cachées, quand elles paroissent irrémédiables et contagieuses: voilà les règles de l'Evangile, que j'ai suivies : le contraire est outré ou foible.

'S. VIII. Réflexions sur l'article second.

31. On voit d'abord qu'il n'y a rien de sérieux dans le discours de M. de Cambrai ce ne sont que jeux d'esprit, que tours d'imagination. Tout ce qui lui fait si fort estimer madame Guyon, dans tout autre auroit produit un effet contraire: il ne garde pas même l'ordre des temps. Pour fonder l'estime qu'il fait commencer environ en 1689, il allègue des lettres et des actes de 1694 et de 1695. C'est vouloir montrer qu'il l'estime encore, depuis même qu'elle est condamnée par les prélats qu'il appelle en témoignage. Il n'y a que la lettre de 1683 de feu M. de Genève, qui précède la date que M. de Cambrai a donnée au commencement de son estime. Mais cette lettre éloigne madame Guyon comme la peste des com

munautés.

munautés. M. de Cambrai demeure d'accord, que l'autre lettre du même prélat avoit suivi la condamnation qu'il avoit faite de ses mauvais livres avec ceux de Molinos, comme contenant la doctrine des Quiétistes. On peut juger combien cet évêque estimoit madame Guyon, infectée de ces sentimens. Il semble que M, de Cambrai veuille se moquer quand il se fonde encore sur mon témoignage mais pour cela il me suppose des actes faux: il hasarde tout ce qu'il lui plaît, sur la foi de madame Guyon : il avance, contre la vérité du fait, que je ne réponds rien à ses objections, que je ne fais rien avouer ni rétracter à madame Guyon; pendant qu'il voit le contraire; pendant que, dans le fait, il est constant que je réponds amplement à tout; et qu'il est certain, dans le droit, que mes réponses sont sans réplique. Comment veut-il qu'on appelle ces expresses oppositions à la vérité, et après cela, de quelle croyance veut-il être digne dans ses récits?

32.. Quand il dit pour autoriser son estime: « Je vois marcher devant moi les lettres de feu » M. de Genève : Je vois marcher après moi l'at» testation de M. de Meaux (1) » : ne lui peut-on pas répondre avec vérité : Non, vous ne voyez point marcher devant vous les lettres du feu évêque de Genève et pour ne m'arrêter pas à la date postérieure d'une de ces lettres, quand vous

(1) Rép. ch. 1, p. 19.

BOSSUET. xxx.

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avez commencé d'estimer madame Guyon en l'an 1689, vous voyiez marcher devant vous, en 1683, une lettre qui convainquoit cette femme de renverser l'esprit des communautés lés plus saintes: vous voyiez marcher devans vous un ordre du même prélat, qui, conformément à sa lettre, l'éloignoit avec le père Lacombe, de son diocèse, où elle brouilloit les communautés. Vous voyiez encore marcher devant vous la censure du même évêque de 1688, où les livres de cette femme si estimable sont condamnés avec ceux de Molinos, comme contenant les maximes artificieuses du quiétisme. Vous voyiez marcher devant vous tout ce que fit ce prélat pour faire rappeler à Paris les filles des Nouvelles Catholiques dont vous étiez alors supérieur, et vous n'avez pu ignorer ce qui se passa sur ce sujet environ en l'an 1686. Vous voyiez marcher devant vous les censures de Rome de 1688 et de 1689, contre les livres du père Lacombe et de madame Guyon (1): les ordres du Roi pour enfermer ce religieux aussitôt qu'il fut revenu en France avec madame Guyon, après leurs voyages, et les perpétuels soupçons que l'on eut de leur mauvaise doctrine et de leur mauvaise conduite encore cachée alors, mais qui n'a que trop éclaté depuis. La conduite du directeur faisoit-elle beaucoup d'honneur à la dirigée? Voilà ce qui précédoit le choix que vous avez fait de cette femme pour être votre amie dans ce commerce spirituel que vous racontez.

(1) Actes contre les Quiét. tom. XXVI, p. 536, 537.

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33. Ici toute votre ressource est de m'impliquer, si vous pouviez, dans votre erreur. Vous avez vu, dites-vous, marcher après vous l'attestation de M. de Meaux (1): où madame Guyon est si estimée, « qu'on lui défend d'écrire, d'en»seigner et dogmatiser dans l'Eglise, ou de ré

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pandre ses livres imprimés ou manuscrits, ni >> de conduire les ames dans la voie de l'oraison » ou autrement ». Vous faites encore marcher après vous un acte qui ne fut jamais, comme je viens de le montrer; et je perdrois trop de temps, si je voulois raconter ici tout ce qui a véritablement marché après vous contre cette femme, que vous estimez tant, et que vous avez laissé tant estimer.

ARTICLE III.

Sur ma condescendance envers madame Guyon et envers M. de Cambrai.

§. I. Mes paroles, d'où M. de Cambrai tire avantage.

1. Je trouve deux choses qui ont grand rapport dans la Réponse de M. de Cambrai : l'une est l'avantage qu'il tire de ma condescendance envers madame Guyon : l'autre est celui qu'il tire aussi de ma douceur envers lui-même.

2. J'avois raconté, dans ma Relation (2), la

(1) Attest. de M. de Meaux. Rép. de M. de Cambrai; ch. 1, p. 16, 17. —(2) Relat. 111. sect. n. 14.

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