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il ne faut pas s'étonner que notre auteur mette une sorte d'égalité entre saint Prosper et ceux contre qui il dispute, c'est-à-dire, les Marseillois et les autres Semi-Pélagiens. C'est ce qui lui fait aussi passer si doucement les opinions, comme il les appelle (1), et à vrai dire, les erreurs de Cassien, dont il ne dit autre chose, sinon que ses sentimens étoient contraires, ou sembloient l'être aux sentimens de saint Augustin; sans dire, comme il devoit, qu'ils étoient contraires à la foi catholique. Aussi parle-t-il partout très-foiblement de la grâce; et il croit avoir satisfait à tout ce qu'il lui doit, lorsqu'il en reconnoît la nécessité pour être sauvé (2). Mais il sait bien que les Semi-Pélagiens ne nioient pas cette nécessité, et que, pour sortir de l'hérésie semi-pélagienne, il ne suffit pas de dire que la grâce est nécessaire : qu'il faut dire de plus à quoi elle est nécessaire, et spécifier qu'elle l'est pour le commencement comme pour la consommation de la piété. M. Dupin a affecté ne le pas dire, comme nous le verrons en parlant de ce qu'il a dit de saint Augustin. On sait d'où vient cette tradition de nos docteurs modernes, et de qui ils ont appris à préférer les Demi-Pélagiens à saint Augustin, et leur doctrine à la sienne.

de

Sur le Pape et les Evéques.

Dans l'Abrégé de la Discipline (3), notre auteur

(i) Tom. 111, part. II, p. 45, 56, 57. — (2) Ibid. p. 592. Rép. aux Rem. p. 145. — (3) Tom. 1, p. 620.

n'attribue autre chose au Pape, sinon que l'Eglise romaine, fondée par les apôtres saint Pierre et saint Paul, soit considérée comme la première, et son évêque comme le premier entre tous les évêques, sans attribuer au Pape aucune juridiction sur eux, ni dire le moindre mot de l'institution divine de sa primauté; au contraire, il met cet article au rang de la discipline, qu'il dit lui-même être variable. Il ne parle pas mieux des évêques, et il se contente de dire que l'évêque est au-dessus des prêtres (1), sans dire qu'il y est de droit divin. Ces grands critiques sont peu favorables aux supériorités ecclésiastiques, et n'aiment guère plus celles des évêques que celle du Pape.

L'auteur tâche d'ôter toutes les marques de l'autorité du Pape dans les passages où elle paroît (2), comme dans deux lettres célèbres de saint Cyprien, l'une au pape saint Etienne, sur Marcien d'Arles, l'autre aux Espagnols, sur Basilide et Martial, évêques déposés. Si nous en croyons M. Dupin, saint Cyprien ne demandoit au Pape, contre un évêque schismatique, « que » de faire la même chose que saint Cyprien pou» voit faire lui-même »; comme si leur autorité eût été égale.

La manière dont il se défend de l'objection que ses censeurs lui ont faite sur ce sujet, tend encore plus à établir cette égalité. Car après

(1) Abr. de la Discipl. tom. 1, p. 619: — (2) Bibl. tom, 1, p. 418, 438, 483.

avoir dit « que tout évêque pouvoit se séparer de >> la communion d'un autre évêque qu'il croyoit » dans l'erreur, et indigne de sa communion et » de celle de l'Eglise (1) », il ajoute « qu'Etienne » et saint Cyprien pouvoient bien déclarer Mar>> cien excommunié, et se séparer d'avec lui; mais » que ce n'étoit pas à eux à le déposer, etc. » C'est clairement égaler le pouvoir de saint Cyprien à celui du Pape. Car d'abord, le droit d'excommunier quelque évêque que ce soit leur est commun : quant au droit de déposer les évêques, il est bien certain que le Pape ne le faisoit pas par lui-même; mais il pouvoit exciter la diligence des évêques, qui étoient les juges naturels, avec une autorité et une supériorité que nul autre évêque n'avoit. Cependant l'auteur met une entière égalité entre saint Etienne et saint Cyprien, et il ne reste au Pape qu'une préséance.

La réponse que fait notre auteur sur sa lettre au clergé et au peuple d'Espagne, n'établit pas moins la parfaite égalité de tous les évêques; puisqu'il dit «< que si le pape saint Etienne avoit » donné son suffrage en faveur de Basilide qu'on » avoit déposé, ou qu'il eût rendu une sentence » pour lui, les évêques d'Espagne faisoient bien » de se précautionner et de se munir contre ce qu'il avoit fait, en consultant les évêques d'A» frique, pour opposer leur autorité à celle de » l'évêque de Rome (2) ».

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Une des plus belles prérogatives. de la chaire

(1) Rep. aux Rem. p. 189. ·

(3) Ibid. p. 187.

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de saint Pierre, est d'être la chaire de saint Pierre, la chaire principale où tous les fidèles doivent garder l'unité, et comme l'appelle saint Cyprien, la source de l'unité sacerdotale. C'est une des marques de l'Eglise catholique divinement expliquée par saint Optat; et personne n'ignore le beau passage où il en montre la perpétuité dans la succession des papes. Mais si nous en croyons M. Dupin, il n'y a rien là pour le Pape plus que pour les autres évêques; puisqu'il prétend que la chaire principale (1), dont il est parlé, n'est pas en particulier la chaire romaine que saint Optat nomme expressément, mais la succession des évêques; comme si celle des papes, singulièrement rapportée par saint Optat et les autres Pères, comme elle l'avoit été par saint Irénée, n'avoit rien de particulier pour établir l'unité de l'Eglise catholique. Il ôte même de la traduction du passage de saint Optat, ce qui marque expressément que cette chaire unique, dont il parle, est attribuée en particulier à saint Pierre et à ses successeurs, même par opposition aux autres apôtres. Cette objection lui est faite par les Pères de Saint-Vannes (2) : il garde le silence là-dessus; et quelques avis qu'on lui donne, l'on voit bien qu'il est résolu de ne pas donner plus au Pape qu'il n'avoit fait. C'est le génie de nos critiques modernes, de trouver grossiers ceux qui reconnoissent dans la papauté une autorité supérieure établie de droit divin. Lorsqu'on la (1) Tom. 11, p. 331. — (2) Rem. p. 264..

reconnoît avec toute l'antiquité, c'est qu'on veut flatter Rome et se la rendre favorable, comme notre auteur le reproche à son censeur (1). Mais s'il ne faut pas flatter Rome, il ne faut non plus lui rendre odieuse, aussi bien qu'aux autres catholiques, l'ancienne doctrine de France, en ôtant au Pape ce qui lui appartient légitimement, et en outrant tout contre lui.

Sur le Carême.

Il affoiblit la tradition du jeûne de quarante jours, que les docteurs catholiques ont soutenue comme apostolique, par tant de beaux témoignages des anciens Pères; et il trouve plus probable l'observation de M. Rigault (2), qui prétend qu'on a donné ce nom de carême ou de quarantaine au jeûne solennel des chrétiens, non à cause qu'on jeûnoit quarante jours, comme tous les catholiques l'ont cru, mais à cause du jeûne de quarante jours de Jésus-Christ. Ainsi on appellera carême le jeûne des quatre-temps et celui des vigiles, avec autant de raison que celui du carême; puisque c'est toujours une imitation du jeûne de Jésus-Christ. Au reste, il n'y a rien de moins fondé sur le langage des Pères, que cette observation de M. Rigault, le moins théologien de tous les hommes: mais c'étoit un critique, et un critique licencieux dans ses sentimens, pour ne rien dire de plus; c'est un titre pour être préféré.

(1) Rép. aux Rem. p. 188. — (1) Ibid. p. 82.

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