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Saint Augustin.

Saint Augustin est sans doute celui de tous les saints Pères que M. Dupin maltraite le plus. Il auroit pu se passer de dire de son Traité sur les Psaumes, « qu'il est plein d'allusions inutiles, de » subtilités peu solides et d'allégories peu vraisem» blables », et d'ajouter encore avec cela «< que ce » Père fait profession d'expliquer la lettre (1) ». Un peu devant il venoit de dire encore, « qu'il s'étend » beaucoup sur des réflexions peu solides, où il s'éloigne de son sujet par de longues digres»sions ». Il devoit dire du moins que ces longues digressions dans des sermons (car ses Traités sur les Psaumes n'étoient presque rien autre chose,) avoient pour fin d'expliquer des matières utiles à son peuple, tant pour la morale que contre les hérésies de son temps et de son pays.

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M. Dupin sait bien que ces digressions sont fréquentes dans les sermons des Pères, qui, traitant la parole de Dieu avec une sainte liberté, se jetoient sur les matières les plus propres à l'utilité de leurs auditeurs, et songeoient plus à l'édification qu'à une scrupuleuse exactitude du discours. Les sermons de saint Chrysostôme, qui sont les plus beaux qui nous restent de l'antiquité, sont pleins de ces édifiantes et saintes digressions. M. Dupin ne traite pas mieux les livres de la Cité de Dieu; et surtout il trouve mauvais « qu'on en admire » communément l'érudition, quoiqu'ils ne con(1) Tom. 1, part. 1.re, p. 696, 697

» tiennent rien qui ne soit pris de Varron, de » Cicéron, de Sénèque, et des autres auteurs

profanes, dont les ouvrages étoient assez com» muns (1)». Sans doute saint Augustin n'avoit point déterré des auteurs cachés, qui valent ordinairement moins que les autres, mais qui donnent à ceux qui les citent la réputation de savans; et il s'étoit contenté de prendre, dans des auteurs célèbres, ce qui étoit utile à son sujet. Voilà l'idée d'érudition que se proposent les nouveaux critiques. M. Dupin ajoute aussi qu'il n'y a rien de << fort curieux ni de bien recherché dans ce livre » de saint Augustin, et qu'il n'est pas même tou» jours exact ». Pour l'exactitude, on n'en sauroit trop avoir en ce genre-là. Mais quand il seroit arrivé à saint Augustin, comme à tant d'autres grands hommes, d'avoir manqué dans des minuties, il y a trop de petitesse à leur en faire un procès. Pour ce qui est du curieux et du recherché, où notre critique et ses semblables veulent à présent mettre toute l'érudition, il lui falloit préférer l'utile et le judicieux, qui constamment ne manquent point à saint Augustin; et pour ne parler pas davantage de l'érudition profane, ce Père a bien su tirer des saints docteurs qui l'ont précédé, les témoignages nécessaires à l'établissement de la tradition. Il ne falloit donc pas dire, comme fait notre auteur (2), « qu'il avoit beau» coup moins d'érudition que d'esprit; car il ne » savoit pas les langues, et il avoit fort peu lu les

(1) Tom. 1, part. I.re, p. 756. — (3) Ibid. p. 819.

>> anciens ». Il en avoit assez lu pour soutenir la tradition le reste mérite son estime, mais en son rang. Ces grandes éruditions ne font souvent que beaucoup offusquer le raisonnement, et ceux qui y sont portés plus que de raison, ont ordinairement l'esprit fort court. Je ne sais ce que veut dire notre auteur, « que saint Augustin s'étend >> ordinairement sur des lieux communs ». C'est ce que font, aussi bien que lui, tous ceux qui ont à traiter la morale, surtout devant le peuple; mais pour les ouvrages polémiques ou dogmatiques, on peut dire avec certitude, que personne ne serre de plus près son adversaire que saint Augustin, ni ne poursuit plus vivement sa pointe. Ainsi les lieux communs seroient ici mal allégués.

Mais la grande faute de notre auteur, sur le sujet de saint Augustin, est de dire qu'il a enseigné, sur la grâce et sur la prédestination, une doctrine différente de celle des Pères qui l'ont précédé (1). Il faudroit dire en quoi, et on verroit, ou que ce n'est rien de considérable, ou que ceux qui lui font ce reproche se trompent et n'entendent pas la matière.

M. Dupin dit cruement, après M. de Launoy, de qui il se glorifie de l'avoir appris, que « les » Pères grecs et latins n'avoient ni parlé, ni rai» sonné comme lui sur la prédestination et sur » la grâce: que saint Augustin s'étoit formé un » systême là-dessus qui n'avoit pas été suivi par » les Grecs, ni goûté de plusieurs catholiques (1) Tom. ш, part. II, p. 592. Rép. aux Rem. p. 144.

» d'Occident, quoique ce Père se fut fait beaucoup de disciples, et que ces questions n'é>> toient pas de celles quæ hæreses inferunt, aut » hæreticos faciunt ». Tout cela se pourroit dire peut-être sur des minuties; mais par malheur pour M. de Launoy et pour ceux qui se vantent d'être ses disciples, c'est que par ces prétendues différences avec saint Augustin, ils font les Grecs et quelques Occidentaux de vrais Demi-Pélagiens, ainsi qu'on a déjà vu que l'a fait M. Dupin. On sait que ces catholiques d'Occident, qui ne goûtoient point la doctrine de saint Augustin, étoient Demi-Pélagiens, qu'ils ont été condamnés comme tels par l'Eglise, et surtout par le concile d'Orange; et néanmoins c'est de ceux-là que M. de Launoy et ses sectateurs disent qu'ils n'erroient pas dans la foi (1).

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Notre auteur tâche de répondre à ce qu'on lui a objecté, que « les savans de notre siècle se » sont imaginé deux traditions contraires au su>> jet de la grâce (2) ». Il croit satisfaire à cette objection en répondant, que « feu M. de Launoy, >> dont le censeur veut parler, lui a appris que » la véritable tradition de l'Eglise est celle que » décrit Vincent de Lérins : Quod ubique, quod » semper, quod ab omnibus : qu'il n'avoit donc » garde de dire qu'il y avoit deux traditions dans » l'Eglise sur la grâce ». Cela est vrai; mais M. Dupin ne nous dit pas tout le fin de la doc

(1) Voyez ce qu'il dit sur saint Chrys, tom. 11, part. I.o, p. 130. (2) Rép. aux Rem. p. 144.

trine de son maître. Nous l'avons ouï parler, et on ne nous en imposera pas sur ses sentimens. Il disoit que les Pères grecs, qui avoient précédé saint Augustin., avoient été de la même doctrine que tinrent depuis les Demi-Pélagiens et les Marseillois que depuis saint Augustin, l'Eglise avoit pris un autre parti; qu'ainsi il n'y avoit point sur cette matière de véritable tradition, et qu'on en pouvoit croire ce qu'on vouloit. Il ajoutoit encore, puisqu'il faut tout dire, que Jansenius avoit fort bien entendu saint Augustin, et qu'on avoit eu tort de le condamner; mais que saint Augustin avoit tort lui-même, et que c'étoit les Marseillois ou Demi-Pélagiens qui avoient raison; en sorte qu'il avoit trouvé le moyen d'être tout ensemble Demi-Pélagien et Janséniste. Voilà ce que nous avons ouï de sa bouche plus d'une fois, et ce que d'autres ont ouï aussi bien que nous, et voilà ce qui suit encore de la doctrine et des expressions de M. Dupin.

Au reste, il semble affecter de traiter ces matières de subtiles, de délicates et d'abstraites (1); ce qui porte naturellement dans les esprits l'idée d'inutiles et de curieuses. La matière de la Trinité, de l'Incarnation, de l'Eucharistie et les autres ne sont ni moins subtiles, ni moins abstraites; mais on aime mieux dire qu'elles sont hautes, sublimes, impénétrables au sens humain. Il falloit parler de même de celle que saint Augustin a traitée contre les Pélagiens et les Demi-Pélagiens. Car (1) Tom. 111, part. 11, p. 591.

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