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après tout, de quoi s'agit-il? Il s'agit de savoir à qui il faut demander la grâce de bien faire, à qui il faut rendre grâces quand on a bien fait: il s'agit de reconnoître que Dieu incline les cœurs à tout le bien par des moyens très-certains et très-efficaces, et de confesser un pareil besoin de ce secours, tant dans le commencement des bonnes œuvres, que dans leur parfait accomplissement il s'agit de reconnoître que cette grâce, que Dieu donne dans le temps, a été préparée, prévue, prédestinée de toute éternité : que cette prédestination est gratuite à la regarder dans son total, et présuppose en Dieu une prédilection spéciale pour ses élus. Voilà l'abrégé de la doctrine de saint Augustin sur la grâce, et tout le terme où il tend. C'est aussi ce qu'on enseigne unanimement dans toutes les écoles catholiques, sans en excepter aucune. Il n'y a rien là ni de si abstrait, ni de si métaphysique; tout cela est solide et nécessaire à la piété. C'est une manifeste calomnie de dire avec M. de Launoy, rapporté par M. Dupin, que les Pères grecs et latins soient contraires à saint Augustin à cet égard. Ce saint docteur cite pour lui saint Cyprien; et M. Dupin demeure d'accord que ce Père a très-bien parlé, non-seulement de la nécessité, mais encore de l'efficace de la grâce ('): il cite saint Ambroise, qui n'est pas moins exprès, et il ne seroit pas malaisé d'ajouter une infinité de témoignages aux leurs. Il n'y a donc (1) Tom. 1, p. 463.

rien de plus constant dans l'antiquité que la doctrine de l'efficace de la grâce; et la prédestination n'étant autre chose que la préparation éternelle de cette grâce, ainsi que saint Augustin l'explique si nettement, surtout dans ses derniers livres, il n'y avoit rien de plus visible que l'erreur des Marseillois et de quelques Gaulois, qui attaquoient la grâce et la prédestination.

Si saint Augustin est entré plus avant que les Pères, ses prédécesseurs, dans cette matière: s'il en a parlé plus précisément et plus juste, la même chose est arrivée dans toutes les autres matières, lorsque les hérétiques les ont remuées. Quand M. Dupin ose assurer «< que les Pères » grecs et latins se sont peu mis en peine de re» chercher les moyens d'accorder le libre arbitre » avec la grâce, ou que s'ils l'ont fait, ils l'ont >> fait d'une manière bien différente de saint Au» gustin (1)», avec sa permission, il ne parle pas correctement; car s'il veut dire que les anciens Pères sont contraires à saint Augustin dans la conciliation que proposoient les DemiPélagiens du libre arbitre de la grâce, en disant que le libre arbitre commence, et que la grâce achève le bien; ce n'est plus saint Augustin, mais la tradition et la foi qu'il fait attaquer aux Pères. S'il veut dire que saint Augustin n'a pas reconnu le libre arbitre dans la notion commune que tout le monde en avoit, il sait bien que cela est faux: s'il veut dire que saint Augus (1) Rép. aux Rem. p. 145.

tin ne reconnoît point d'autre secours que celui qui est donné aux prédestinés, ou qu'il ne confesse pas qu'il y a des grâces pour les réprouvés, avec lesquelles ils pourroient, s'ils vouloient, faire le bien; ou que, selon la doctrine de ce Père, la grâce nécessite tellement le libre arbitre, qu'il ne puisse y résister, ou qu'il n'y a point d'occasion où on la rejette, il se dément lui-même puisqu'il fait dire le contraire à saint Augustin(1). Si ce Père établit ces vérités aussi bien, ou peutêtre mieux que les anciens; si M. Dupin en est d'accord, il ne restoit donc autre chose à dire, sinon que toute la diversité qui se trouve dans les Pères vient de celle des temps et des personnes auxquelles ils avoient affaire, et de l'obligation de traiter les choses différemment, quant à la manière, après que les questions sont agitées. Mais quand on entend M. Dupin dire d'un côté, que << la lettre de Célestin, les capitules qui la sui» vent, et les canons du concile d'Orange sont » d'illustres approbations de la doctrine de saint » Augustin (2) », et dire ailleurs indiscrètement, que les Pères grecs et latins, anciens et modernes, sont contraires à saint Augustin, c'est vouloir donner l'idée que les Pères détruisent les Pères, et que la tradition s'efface elle-même.

Saint Jérôme.

En général, il fait passer saint Jérôme pour un esprit emporté, outré, excessif, qui ne dit

(1) Tom. 11, part. I.re, p. 812, 813.— (2) Ibid. p. 816.

rien qu'avec exagération, même contre les hérétiques. Il y avoit ici bien des correctifs à apporter, qui auroient donné des idées plus justes de ce Père. On auroit pu contre-balancer ces défauts, en remarquant la précision et la netteté admirable qui accompagnent ordinairement son discours, et les marques qu'il a données de sagesse et de modestie en tant d'endroits. Il eut été bon de ne pas dire si cruement, « que le tra» vail, les jeûnes, les austérités et les autres mor»tifications, la solitude et les pélerinages sont » le sujet de presque tous ses conseils et de ses > exhortations »; comme s'il n'avoit pas insisté incomparablement davantage sur les autres vertus chrétiennes et cléricales. Il semble qu'on ait voulu le faire passer pour un bon moine, qui n'avoit en tête que les pratiques de la vie monastique; ce qui est encore confirmé par ce qu'on ajoute, qu'il parle souvent de la virginité et de l'état monastique, d'une manière qui feroit presque croire qu'il est nécessaire de mener cette vie pour être sauvé. En général, on ne doit pas supporter dans M. Dupin la liberté qu'il se donne de condamner si durement les plus grands hommes de l'Eglise. Le monde est déjà assez porté à critiquer et à croire que les dévots de tous les siècles sont gens foibles ou excessifs. Que si l'on rabat l'estime des Pères jusque dans l'esprit du peuple, on ne laisse aucune ressource à la piété contre les préventions des gens du monde. Les hommes s'attacheront toujours, selon leur coutume, à ce qu'on leur aura montré de défectueux dans les saints BOSSUET. XXX. 33

docteurs (1): les hérétiques en triompheront; et il est indigne d'un théologien d'aider leur malignité, et celle du siècle et du genre humain.

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Sur l'Eucharistie, et sur la théologie de la Trinité.

Je ne prétends pas accuser M. Dupin de mal parler de l'Eucharistie, mais il est certain qu'il n'a pas su ce qu'il falloit dire pour bien établir dans les trois premiers siècles la foi de la présence réelle. Il se contente de dire que les docteurs de ce temps << n'ont point douté que l'Eucharistie ne >> fût le corps et le sang de Jésus-Christ, et l'ont appelé de ce nom (2) ». C'est de même que s'il se fût contenté de dire que les Pères croyoient Jésus-Christ Dieu, et l'appeloient de ce nom. On sait bien que les hérétiques ne nient point les expressions de l'Ecriture. M. Dupin n'auroit pas manqué d'occasion de faire voir plus précisément les sentimens de saint Justin, par exemple, sur la présence réelle ou des autres, en quel endroit il eût voulu. En un mot, ce n'est pas assez, pour faire voir la foi catholique dans les Pères, de dire qu'ils ont répété les termes de l'Ecriture, que personne ne rejette, sans convaincre par leur témoignage, l'abus que les hérétiques

en ont fait.

M. Dupin a bien su prendre cette précaution à l'égard de la divinité de Jésus-Christ; et il eût été seulement à désirer qu'il eût démêlé plus clairement les sentimens qu'il attribue aux Pères des

(1) Sur S. Gr. de Naz. tom. 11, p. 598, 655; sur S. Basil. ibid: p. 553.(2) Abr. de la Doctr. tom. 1, p. 612.

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