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qui lui disoit : « Voulez-vous préférer à six mille » évêques un seul homme, et qui encore est un » impie » ? Il y en avoit assez là, pour obliger l'Empereur et son conseil à changer fort promptement; mais on aime mieux donner à ce changement un air de corruption, et d'une corruption dont saint Cyrille, qu'on n'aime pas, fut l'auteur. Dire que le conseil étoit gagné, et que l'Empereur changea tout d'un coup, et rapporter à cette occasion le récit d'Acace de Berée, en remarquant foiblement qu'on peut bien ne l'en pas croire, c'est vouloir insinuer tacitement qu'on pourroit bien l'en croire aussi, ou qu'enfin ce changement sera arrivé par quelque intrigue semblable de saint Cyrille. Les raisons simples et naturelles des événemens ne suffisent pas à la pénétration des critiques: ce ne sont pas là ces particularités inconnues qu'ils se plaisent à débiter; il leur paroît plus d'esprit à donner un tour malin, même aux affaires de religion; et comme c'est celui-là que les raffineurs du monde aiment le mieux, c'est aussi celui-là qu'on est bien aise de présenter à leur esprit.

Mais si l'auteur vouloit parler des présens donnés, pourquoi s'attacher à saint Cyrille, et ne pas dire un mot de l'argent avec lequel ses envieux achetèrent des langues vénales, pour le calomnier auprès de l'Empereur ? C'est un fait dont ce patriarche prend à témoin l'Empereur lui-même, et toute la ville d'Alexandrie (1), qui connoissoit

(1) Apol. ad Imper. III. part. cap. xш; col. 1053, etc.

l'infâme conduite de ses délateurs. Il est étrange que notre critique n'observe que les reproches qu'on fait à saint Cyrille, et taise ceux qu'on faisoit à ses envieux.

QUATRIÈME REMARQUE.

Autre fausse idée que M. Dupin donne du saint martyr Flavien, dans son Histoire du concile de Chalce doine.

C'EST la pente de cet auteur de donner des idées suspectes des meilleures choses; et puisque l'occasion se présente ici de le remarquer, on en peut voir un nouvel exemple dans son Histoire du Concile de Chalcédoine : « Le jugement d'Eutyche >> appartenant, dit-il (1), à Flavien qui étoit son » évêque, ce patriarche étoit engagé, par son » propre intérêt, à soutenir les Orientaux contre » les Egyptiens; parce que l'évêque d'Alexandrie >> lui contestoit ses prérogatives, au lieu que l'é»vêque d'Antioche et les Orientaux y avoient >> consenti. Il fit donc en sorte que dans un con» cile assemblé à Constantinople, Eusèbe, évêque » de Dorylée, intentât une action contre Eu» tyche >>. Si vous demandez où M. Dupin a pris cela, il ne vous rapportera aucun auteur; et en effet, il n'y en a point. C'est là encore une de ces particularités que lui seul a découvertes. Flavien étoit un saint: c'étoit un martyr reconnu, vénéré, invoqué par tout le concile de Chalcédoine :

(1) P. 789.

l'erreur d'Eutyche attachoit directement le fondement de la foi, et renversoit l'économie de l'incarnation. Ce motif ne suffisoit pas à un saint et à un martyr pour lui faire entreprendre d'attaquer un hérésiarque: c'est l'intérêt de Flavien qui l'y engagea : c'est ce qui lui fit susciter Eusèbe de Dorylée pour faire un procès à ce vieillard insensé : c'est la jalousie des siéges qui a fait naître dans l'Eglise tout ce tumulte : les raisons tirées de la religion sont trop vulgaires, et les critiques ne flatteroient pas assez le goût des gens du monde, s'ils ne leur donnoient des moyens pour tout attribuer à la politique et à des intérêts cachés. Quand on veut donner ce tour aux affaires, on a un grand avantage, c'est qu'on n'a pas besoin de preuves: il n'y a qu'à insinuer ces motifs secrets la malignité humaine les prend d'elle-même.

CINQUIÈME REMARQUE.

Foiblesse de M. Dupin en défendant le concile et saint Cyrille.

BIEN que le concile d'Ephèse soit certainement un de ceux dont la procédure est la plus régulière et la conduite la plus sage, en sorte que la majesté de l'Eglise catholique n'éclate nulle part davantage, et qu'un si heureux succès de cette sainte assemblée soit dû principalement à la modération et à la capacité de saint Cyrille; nous avons déjà remarqué que les hérétiques anciens et modernes

n'ont rien oublié pour décrier, et le concile et saint Cyrille son conducteur. Nous avons vu quelques traits de notre auteur sur ce sujet : en voici d'autres bien plus dangereux.

Vers la fin de l'histoire de ce concile (1), il ramasse tout ce qu'on peut dire de plus apparent, et tout ensemble de plus aigre pour y montrer une précipitation et une animosité peu digne d'une si grave assemblée et de saint Cyrille qui la conduisoit; mais quand il vient à répondre, son style perd sa vigueur, et il n'y a personne qui n'ait ressenti qu'il poussoit bien plus fortement l'attaque que la défense. Et d'abord on craint pour sa cause, lorsqu'on entend ce discours (2): « Voilà les objections que l'on peut » faire contre la forme du concile d'Ephèse; je » ne les ai ni dissimulées, ni affoiblies, afin de » faire voir qu'il n'est pas impossible de répondre » à ce qu'on peut dire de plus fort ». On voit un homme peine de ces objections, et qui, loin de faire sentir le manifeste avantage de la bonne cause, croit faire beaucoup pour elle en disant, qu'il n'est pas impossible de la défendre. On remarquera dans la suite que tout est foible dans cet auteur pour la défense du concile. Voyons si ces objections sont si terribles.

La plus apparente est celle-ci (3) : « La manière » dont la chose s'est jugée, semble prouver clai»rement que c'étoit la passion qui faisoit agir » saint Cyrille et les évêques de son parti; qu'ils (1) Pag. 769. — (2) P. 772. — (3) P. 770.

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» vouloient, à quelque prix que ce fût, condam>>ner Nestorius; et qu'ils ne craignoient rien tant » que la venue des évêques d'Orient, de peur » de n'être pas les maîtres de faire ce qu'il leur plairoit; car dès la première séance ils citèrent » deux fois Nestorius, lurent les témoignages des » Pères, les lettres de saint Cyrille avec ses douze chapitres, et les écrits de Nestorius, et dirent >> tous leurs avis. Jamais affaire n'a été conclue » avec tant de précipitation: la moindre de ces >> choses méritoit une séance entière ». Quand on objecte si fortement, il faut répondre de la même sorte autrement on se rend suspect de prévarication. Voici tout ce que je trouve sur ce sujet dans notre auteur (1): que « si l'on a jugé » Nestorius dans une seule séance et dans un » même jour, il doit s'en prendre à lui, parce » qu'il n'a pas voulu comparoître : qu'il étoit » facile de le condamner comme contumace: qu'il étoit visible qu'il avoit nié que la Vierge » pût être appelée mère de Dieu, et qu'il se ser>> voit d'expressions qui sembloient diviser la per» sonne de Jésus-Christ; qu'il a été cité par trois » fois selon la discipline des Canons; qu'il n'est » pas nécessaire, selon les lois ecclésiastiques, » que ces citations se fassent en différens jours: » que c'étoit le zèle et non pas la passion qui fai>> soit agir saint Cyrille ».

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Je demande en bonne foi, si les doutes sont bien levés par ces réponses? « On pouvoit tout (1) Pag. 773.

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