Page images
PDF
EPUB

Il faudra voir dans la suite si ce différent traitement du frère et de l'étranger, n'est pas de ces choses que Dieu a accordées et souffertes à l'ancien peuple à cause de la dureté des cœurs, comme le divorce. Matth. xix. 8. Marc. x. 5.

Le prophète Ezechiel met parmi les œuvres commandées, de ne prêter point à usure et de ne prendre point de surplus; (xvu. 8, 9) et parmi les œuvres réprouvées et détestées, de donner à usure et de prendre du surplus. Ibid. 13, 17.

Le même prophète compte ce crime parmi ceux qui attirent la vengeance de Dieu : « Vous » avez reçu, dit-il, des usures et du surplus; » vous avez été avare, et l'avarice vous a fait >> opprimer votre prochain, et vous m'avez ou» blié, dit le Seigneur ». xxII. 12.

Il faut voir aussi ce qui est écrit Ps. xiv. 5; PS. LIV. 12; Ps. LXXI. 14.

Par-là s'établit aussi en quoi consiste l'usure; puisque la loi détermine clairement que c'est le surplus, ce qui se donne au-dessus du prêt, ce qui excède ce qui est donné; et, selon notre langage, ce qui est au-dessus du principal.

A traduire de mot à mot selon l'hébreu, il faut appeler ce surplus accroissement, multiplication; et c'est ce que la loi appelle usure; c'està-dire, tout ce qui fait que ce qu'on rend excède ce qu'on a reçu.

Les Juifs l'ont entendu ainsi.

Josèphe, Antiq. liv. iv, à l'endroit où il explique le détail de la loi, propose en ces termes

celle du Deutéronome, XXIII. 19. « Qu'aucun » Hébreu ne prête à usure aux Hébreux, ni son » manger ni son boire. Car il n'est pas juste de » se faire un revenu du malheur de son conci>>toyen; mais de l'aider dans ses besoins, en » croyant que c'est un assez grand gain d'avoir >> pour profit sa reconnoissance, et la récompense » que Dieu donne aux hommes bienfaisans >>. C. IV, p. 127 de l'édition de Crespin, à Genève, 1634.

Il ne permet de gagner, en prêtant, que l'amitié de son frère reconnoissant, et la récompense que Dieu donne.

Philon parle dans le même sens.

« Moïse, dit-il, défend qu'un frère prête à » usure à son frère, appelant frère, non celui » qui est né des mêmes parens, mais en général » son concitoyen, son compatriote; ne jugeant » pas juste qu'on tire du profit de l'argent, » comme on en tire des animaux qui font des » petits. Il ne veut pas pour cela qu'on soit lent » à bien faire; mais qu'on ait les mains et le cœur » ouvert, en songeant que la reconnoissance de » celui qu'on oblige est une espèce d'usure, qui >> nous reviendra lorsque ses affaires seront en » meilleur état. Que si l'on ne veut pas donner, qu'on prête du moins volontiers, sans recevoir » davantage que son principal. Car les pauvres, » par ce moyen, ne seront point accablés, comme » ils le seroient, étant contraints de rendre plus » qu'ils n'ont reçu, et les créanciers ne souffri¬

»ront aucune perte, se réservant ce qu'il y a de plus excellent, la bonté, la magnificence, la >> bonne réputation; car tous les trésors du roi » de Perse ne peuvent pas égaler une seule » vertu ». Phil. de Charitate, p. 701.

Il paroît donc que les Juifs ont entendu que leur loi ne leur permettoit de profiter de leurs prêts à l'égard de leurs frères, qu'en méritant leur reconnoissance, et qu'ils ont tenu injuste tout autre profit, tout, en un mot, ce qui excédoit le principal.

DEUXIÈME PROPOSITION.

L'esprit de la loi est de défendre l'usure, comme ayant en elle-même quelque chose d'inique.

[ocr errors]

Il n'y a qu'à considérer avec quelles choses elle est rangée dans les Psaumes et dans Ezéchiel. Qui est celui, ô Seigneur, qui sera reçu » dans vos tabernacles? Celui qui est sans tache » et qui fait les œuvres de justice, qui dit la vé» rité, qui n'est point trompeur, qui ne fait » point de mal à son prochain, qui ne blesse point » sa réputation, qui rejette les malins et les » abat, qui jure et ne trompe pas, qui ne donne >> point son argent à usure, et ne prend point de » présens pour opprimer l'innocent ». Ps. XIV.

Voilà les choses auxquelles est jointe l'usure, toutes défendues par le Décalogue, toutes portant en elles-mêmes une manifeste iniquité.

Le Psaume LIV décrit une ville injuste, et il

dit, qu'on y trouve la division, l'iniquité, et la sédition, que l'usure et la tromperie se trouvent dans toutes ses places. Ps. Liv. 10, 11, 12.

Parmi les grandeurs du règne de Salomon, ou plutôt du règne de Jésus-Christ même, David compte qu'il délivreroit le pauvre d'oppression, et qu'il le racheteroit de l'usure et de l'iniquité. Ps. LXXI. 12, 13, 14.

Qu'on voie tous les péchés dont Ezechiel fait le dénombrement au chapitre xviii, et parmi lesquels il range l'usure, on verra qu'il parle de choses mauvaises par elles-mêmes; non de celles qui sont mauvaises, parce qu'elles sont défendues, mais qui sont défendues, comme ayant naturellement du mal en elles-mêmes.

>>

« L'homme juste, dit-il, est celui qui ne prête » point à usure, et ne prend point de surplus, qui retire sa main de l'iniquité, et qui rend un >> jugement droit entre l'homme et l'homme »>; et l'homme injuste est celui « qui afflige le pauvre, qui fait des rapines, qui lève ses yeux aux » idoles, et fait des abominations, qui donne à » usure, et prend du surplus. Vivra-t-il? Il ne » vivra pas; puisqu'il a fait toutes ces choses détestables, il mourra de mort, son sang sera sur » lui ». Ezéc. XVIII. 8, 12, 13.

[ocr errors]

Il parle de même au chap. xxII. « Tu as pris >> des présens pour répandre le sang, tu as prêté » à usure, et tu as pris du surplus: tu as op» primé ton prochain par ton avarice, et tu m'as » oublié, dit le Seigneur, etc. ». 12, 13.

Il ne faut pas s'étonner qu'il mette le meurtre et la violence avec l'usure, comme Caton qui disoit: Quid usuram facere? quid hominem oc

cidere?

Et qui regardera de près la parole même de la loi, verra que l'usure y est défendue comme inique par elle-même. Car les trois lois rapportées, à proprement parler, n'en faisant qu'une, et s'interprétant l'une l'autre, il paroît que l'oppression condamnée dans l'Exode est l'usure, plus clairement expliquée dans le Lévitique et dans le Deuteronome. Et la loi même marque en un mot, selon le style des lois, l'iniquité de l'usure, en disant qu'elle exige plus qu'elle ne donne.

C'est sur cela que les prophètes ont rangé l'usure parmi les choses mauvaises par elles-mêmes; et tel est l'esprit de la loi.

Les Juifs l'ont pris ainsi ; et nous avons vu les passages de Josèphe et de Philon, qui condamnent l'usure, c'est-à-dire, l'exaction de tout ce qui excède le principal, comme injuste et inhumain.

L'usure est donc une chose mauvaise par ellemême, selon l'esprit de la loi; et si la loi la permet à l'égard des étrangers, c'est une de ces permissions, ou plutôt de ces tolérances accordées à la dureté des cœurs.

Philon même l'entend ainsi. « Il est bon, ditil, que tous ceux qui prêtent le fassent gratui»tement à l'égard de tous les débiteurs. Mais

[ocr errors]
« PreviousContinue »