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et par les Décrétales des papes acceptées et autorisées du consentement unanime de toute l'E'glise.

Ç'a donc toujours été l'esprit du christianisme de croire que la défense de l'usure portée par la loi étoit obligatoire sous l'Evangile, et que notre Seigneur avoit confirmé cette loi.

QUATRIÈME PROPOSITION.

Non-seulement la défense de l'usure portée dans l'ancienne loi subsiste encore, mais elle a dú étre perfectionnée dans la loi nouvelle, selon l'esprit perpétuel des préceptes évangéliques.

e

Il n'y a qu'à lire le chap. v de saint Matthieu, et le vi. de saint Luc, pour voir que l'esprit de la loi nouvelle est de perfectionner toutes les lois de l'ancienne, qui regardent les bonnes

mœurs.

Notre Seigneur pose pour fondement, que si notre justice n'est plus parfaite que celle des Scribes et des Pharisiens, nous n'entrerons pas dans le royaume des cieux. Matt. v. 20.

Il va ensuite à perfectionner toute la doctrine des mœurs. Si donc la défense de l'usure, par la tradition commune des Juifs et des chrétiens, regarde la perfection des mœurs; si elle regarde la perfection de la justice, en défendant de recevoir plus qu'on ne donne; si elle regarde la fraternité qui doit être entre ceux qui sont participans de la même religion, et qui sont tous

ensemble enfans de Dieu, un chrétien peut-il penser que sa justice soit au-dessus de celle des Pharisiens, quand il voit le Pharisien se défendre la moindre usure sur son frère, pendant qu'il se la croit permise?

Le précepte de la charité, le précepte de l'aumône, le précepte de pardonner, se trouve dans l'ancienne loi aussi bien que celui de l'usure, qui dérive du même principe. Comme donc tous les autres préceptes sont, non relâchés, mais perfectionnés dans la loi évangélique, il en faut dire autant de celui contre l'usure.

Or cette perfection consiste en deux choses. L'une, que le chrétien dans les mêmes cas doit plus aimer son frère, plus aimer, plus pardonner que le Juif; et par la même raison moins donner à usure autrement la justice de la loi l'emporteroit. L'autre, c'est que l'obligation s'étend à plus de personnes.

Et la loi de la charité fraternelle nous doit servir de lumière pour connoître cette nouvelle perfection que reçoivent sous l'Evangile tous les préceptes des bonnes mœurs.

Les Juifs ne connoissoient pas que le précepte de la charité s'étendoit à tous les hommes. Ils ne croyoient pas que les Infidèles pussent jamais être compris sous le nom de prochain et de frère; et c'est pourquoi ce docteur de la loi, qui se vouloit justifier lui-même, demandoit à notre Seigneur, Quel est mon prochain? Luc. x. 29. Car, comme nous avons dit, il convenoit à la dureté

du peuple juif de nourrir en quelque sorte son aversion pour les étrangers, de peur que, par la pente universelle du genre humain, il ne fût entraîné à leurs coutumes impies. Mais Jésus, qui étoit venu pour être le sauveur de tous, et pour rompre le paroi de division, en sorte que dorénavant il n'y eût plus ni Gentil, ni Juif, ni Scythe, ni Grec, ni Barbare, et que tout fût en lui, nonseulement un même peuple, mais un même corps, nous apprend que tout homme est notre prochain, sans même excepter le Samaritain, c'està-dire, celui des étrangers qui étoit le plus haïssable. Ibid. 37.

Selon ces principes, il faut entendre que l'usure n'est pas seulement défendue dans les mêmes cas, c'est-à-dire, envers tous ceux de même croyance, comme elle l'étoit aux Juifs, mais encore envers tous les hommes.

Ainsi le précepte contre l'usure subsiste parmi les fidèles dans toute sa vigueur, en retranchant seulement ce qui n'a été accordé qu'à cause de la dureté des cœurs, c'est-à-dire, la liberté de l'exercer envers l'étranger.

Et l'exemple du mariage nous doit faire voir quel est en cela l'esprit de la loi nouvelle. Car, loin de retrancher les obligations de la chasteté conjugale, elle n'en ôte que ce qui a été donné à la dureté des cœurs, comme le divorce. Ainsi, dans le précepte contre l'usure, tout ce qui regarde la fraternité, subsiste; et il est seulement déclaré que la fraternité s'étend à tous les hommes.

Le

Le passage de saint Luc, vi. 35, nihil inde sperantes, le fait assez voir.

Il reçoit diverses explications, qu'il est bon d'examiner.

Quelques interprètes, parmi lesquels il faut compter quelques Pères, veulent que l'intention de ce précepte est de dire qu'il faut prêter, quand même on n'espéreroit pas de recevoir son principal, ce qui se devroit entendre, selon l'interprétation du précepte de l'aumône, quant à la disposition du cœur, et quant à l'exécution, autant que nos facultés et nos autres obligations le per

mettent.

Mais cette interprétation ne s'accorde guère avec toute la suite du passage. Car prêter sans prétendre recevoir sa dette, ne diffère rien de l'aumône ni du pardon. Or il s'agit ici du prêt proprement dit, en tant qu'il est distingué du don. Et notre Seigneur ayant réglé dans les préceptes précédens ce qui regarde l'aumône, il falloit qu'il réglât aussi ce qui regarde le prêt. En effet, pesons ces paroles: Les pécheurs prétent aux pécheurs, pour recevoir choses égales,

. 34. Si par choses égales, il entend le sort principal, et qu'il veuille dire qu'on prête sans dessein de le retirer, qu'on' me dise en quoi cela diffère du don? J'entends donc par choses égales, non le principal, mais le profit qu'on prétend tirer de son prêt; l'intention de l'usurier n'étant pas seulement de recevoir son principal, mais de l'augmenter et de le doubler. Car BOSSUET. XXX. 43

les lois romaines, qui permettoient l'usure, la bornoient au double du capital, et défendoient de la continuer, quand par la suite du temps elle l'avoit égalé. C'est ce que défend ici notre Seigneur. Les pécheurs, dit-il, prétent ainsi aux pécheurs ; c'est-à-dire, les Publicains aux Publicains, et les Gentils aux Gentils. Mais je ne veux pas que mes disciples prêtent de la sorte, ni qu'ils fassent de tels profits. Et la suite fait bien paroître que c'est là son intention. Prêtez, ditil, n'espérant rien de là: INDE. undev àmednicortes. Il ne dit pas, n'espérant pas de recevoir votre principal, mais n'espérant rien de là; c'est-àdire manifestement, renonçant au profit que votre prêt vous pouvoit produire selon les lois ordinaires.

Grotius donne une autre explication à ce passage, et prétend, avec Casaubon, que ce précepte regarde une coutume des Grecs, qui, lorsqu'il étoit arrivé quelque accident à quelqu'un, comme quand sa maison avoit été brûlée, ou quand il avoit fait par malheur quelque grande perte, lui prêtoient de l'argent à la pareille, c'est-à-dire, à condition ou dans le dessein qu'il leur en feroit autant dans un accident semblable. Mais comme nous ne voyons rien de cela dans les coutumes des Juifs, ni, que je sache, dans les lois et dans les coutumes romaines, il faut expliquer les paroles de notre Seigneur par des choses plus communes et mieux entendues parmi ceux auxquels il parloit. Je dis donc qu'il faut

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