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l'expliquer par rapport à la loi des Juifs, et par rapport aux pratiques que les Juifs voyoient de son temps parmi les marchands romains qui trafiquoient en Syrie, et parmi les Publicains qui tenoient les fermes de l'Empire; et cela étant, il n'y a nul doute que le nihil inde ne s'entende conformément aux profits permis par la loi romaine, et défendus par la loi de Dieu.

Mais quoi qu'il en soit, et quelque explication qu'on embrasse, il est clair que l'usure demeure toujours défendue. Si l'intention de l'Evangile est de défendre d'espérer prêt pour prêt, combien plus d'espérer quelque chose de plus qu'on a prêté? Si l'intention est d'élever les chrétiens audessus des pécheurs qui reçoivent tout leur sort, combien plus de les élever au-dessus de ceux qui prétendent plus que le sort? Ainsi, en quelque manière qu'on veuille prendre ce passage, l'esprit de l'Evangile est de comprendre l'usure dans cette défense.

De dire qu'il faille entendre ce qui la regarde dans ce passage, non comme un précepte, mais comme un conseil, ou du moins comme un précepte qui doive être limité à certains cas, comme celui de l'aumône; la nature et la perfection de la loi évangélique ne le permet pas. Car ce n'est pas son esprit de réduire en simple conseil ce qui a été précepte dans la loi de Moïse; et si ce qui est obligatoire en tout cas dans la loi de Moïse, telle qu'est sans difficulté l'usure' de frère à frère, n'est plus obligatoire qu'en certain cas sous l'E

vangile, l'Evangile devient la loi, c'est-à-dire qu'il est plus imparfait.

Concluons donc que pour entendre la perfection de la loi évangélique, le nihil inde sperantes doit s'étendre premièrement à tous les cas où il s'étend dans la loi mosaïque; c'est-à-dire généralement et en tout envers les frères, et qu'il se doit encore étendre au-delà, en étendant la fraternité à tous les hommes, selon l'esprit de l'Evangile; et c'est ainsi manifestement que l'ont entendu les papes et les conciles, ou en l'expliquant formellement en ce sens, ou en regardant l'usure comme défendue par l'un et par l'autre testament, n'y ayant que, ce seul passage de l'Evangile qui regarde cette matière.

CINQUIÈME PROPOSITION.

La doctrine qui dit que l'usure, selon la notion qui en a été donnée, est défendue dans la loi nouvelle à tous les hommes envers tous les hommes, est de foi.

La raison est, qu'elle est fondée sur l'esprit de la loi nouvelle reconnue par tous les chrétiens, et sur des passages formels de l'Ecriture entendus en ce sens unanimement par tous les Pères et par toute la tradition, ce qui est la vraie règle de la foi reconnue dans le concile de Trente; et enfin sur des décisions expresses des conciles même universels, et des papes, reçues de toute l'Eglise avec toutes les circonstances qui accompagnent la condamnation des hérésies, et jusqu'à dire que ceux

qui défendront opiniâtrement cette erreur, seront traités comme hérétiques.

Aussi n'y a-t-il que ceux qui ont méprisé la tradition et les décrets de l'Eglise qui ont combattu cette doctrine. Bucer est le premier auteur que je sache, qui ait écrit que l'usure n'étoit pas défendue dans la loi nouvelle. Calvin a suivi, Saumaise après; Dumoulin, qui a parlé conformément à leur pensée, a été très-assurément dans l'hérésie et a mêlé tant de choses dans ses écrits, qu'on ne le regardera jamais comme un homme dont l'autorité soit considérable en matière de théologie.

Tous les théologiens catholiques, qui ont écrit de cette matière, reconnoissent unanimement que ce qui a été ici assuré, est de la foi; et ne comptent d'avis contraire que les hérétiques qu'ils appellent Albanois, qui étoient une espèce d'Albigeois.

Que si parmi les théologiens qui reçoivent avec les autres cette doctrine comme décidée par l'Eglise, il s'en trouve quelques-uns qui donnent des expédiens pour éluder l'usure, il ne faut pas regarder leurs subtilités comme un affoiblissement de la tradition, mais plutôt la tradition comme une condamnation de leur doctrine.

L'Eglise grecque a conservé la même tradition que l'Eglise latine, comme il paroît par les remarques de Balsamon et de Zonare sur le canon xvii dù concile de Nicée sur le cinquième du concile de Carthage : sur le canon xiv de saint · Basile 1. Ep. à Amphil., et par celles de Balsamon

sur le canon vi de saint Grégoire de Nysse, où ce canoniste définit l'usure, tout ce qui s'exige audessus de ce qui a été prêté. Il découvre aussi les finesses de l'usure palliée sur le canon xvii de Nicée. Il faut joindre à ces canonistes grecs les notes d'Alexius Aristenus, dans la collection d'Angleterre, remarquables par leur netteté et leur brièveté; et les décisions de Matthieu Blastarès, autre canoniste grec, dans la même collection, lettre T, c. 7.

SIXIÈME PROPOSITION.

L'opinion contraire est sans fondement.

Er premièrement, elle est sans fondement dans l'Ecriture et dans la tradition.

Aucun Père ni aucun théologien catholique n'a jamais écrit ni pensé que les chrétiens eussent en ce point moins d'obligations que les Juifs, ni que la loi de l'usure fût changée en une autre chose, qu'en ce qu'elle ne s'étendoit pas envers tous les hommes.

Ce que dit Grotius, pour montrer que cette loi ne regardoit en particulier que les Juifs, est tout-à-fait vain.

Il rapporte ce qu'en dit Josephe, liv. 1 cont. App., que leur terre n'est pas maritime ni propre au commerce, auquel aussi ils ne s'adonnent pas, s'attachant seulement à cultiver leur terre trèsabondante, à élever leurs enfans, et à garder leurs

Mais Josephe, qui se sert de cette situation et de ces mœurs pour rendre raison du peu de connoissance que les étrangers ont eu des Juifs, ne l'emploie en aucune sorte quand il s'agit de l'usure. Il se fonde sur les raisons tirées de l'humanité et de la justice, Philon en parle de même. Nous en avons vu les passages, et nous avons vu aussi que la loi et les prophètes ne leur donnoient point d'autres vues.

D'ailleurs l'usure ne se fait pas seulement en argent, mais en fruits et en bétail, dont ce passage de Josephe fait voir que l'abondance étoit grande parmi les Juifs.

Et enfin il est certain que Jérusalem et beaucoup d'autres villes de Judée ont été extrêmement riches, même en argent. Si l'on considère les temps de Salomon, ceux de Josaphat, ceux de Jonathas et de Simon, et même les temps suivans, il paroîtra qu'il y avoit de grandes richesses en Judée; de sorte qu'on ne doit point croire que le peuple Juif fût en cela fort différent des autres.

Quand la loi a été donnée, l'or et l'argent étoient déjà fort abondans; et il est remarqué dans la Genèse qu'Abraham étoit fort riche, même en ce genre de biens.

Le même Grotius ajoute que les Juifs avoient plusieurs lois sur les mariages, sur les esclaves, sur le retour dans les biens aliénés, et d'autres de cette sorte, qui regardoient, non les devoirs de l'humanité en général, mais leur société particulière, et qui ont été abolies.

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