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a souffert n'est pas réparé par-là, et chacune de ces deux dettes demande sa compensation. Mais voici un autre cas qu'on prétend semblable à celui que je viens de proposer.

Je prête; et parce que l'argent comptant me peut profiter indéfiniment en diverses sortes, je prends un dédommagement de ces pertes imaginaires. Je dis que c'est gagner en vertu du prêt, c'est-à-dire, gagner par une chose qui en est inséparable je dis que c'est l'usure proprement dite, et l'usure telle que la loi de Dieu la défend; car ce dommage indéfini étant, comme je viens de dire, inséparable du prêt, si la loi, nonobstant cela, défend de recevoir plus qu'on ne donne, c'est sans doute qu'elle a jugé ce dédommagement inique; autrement, comme il n'y auroit aucun cas auquel je ne pusse tirer profit de mon argent, le cas de l'usure seroit impossible. Personne en effet ne peut supposer que j'aie de l'argent comptant dont je ne puisse tirer une infinité de commodités et de profits. Et quand même j'aurois résolu de laisser l'argent dans mes coffres, il peut arriver de si belles occasions, que je changerai de dessein, et que je voudrai en profiter. Il ne se peut que je ne m'ôte cette faculté en prêtant; donc je puis tirer quelque profit de tout prêt; donc le cas de l'usure est une chimère.

Par conséquent il faut dire que le dédommagement, c'est-à-dire, le damnum emergens, ou le lucrum cessans, regarde des pertes réelles, des occasions de profit effectives et irréparables; et que celles qui ne sont point de cette nature,

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sont suffisamment réparées par le paiement da principal, ainsi qu'il a été dit.

Mais, dit-on, quelle différence entre cette usure proprement dite que vous prétendez défendue, et l'intérêt qu'on adjuge par condamnation pour le retard? Grande et manifeste différence; car l'intérêt s'adjuge pour deux motifs: le premier, pour le dommage effectif que la loi présume que vous recevez, lorsqu'on ne vous paie pas au temps préfix; car elle a raison de présumer qu'en marquant un certain temps, vous avez une destination actuelle de votre argent, dont il est juste que vous soyez dédommagé. Que si en effet vous n'en aviez pas et que vous n'ayez eu d'autre dessein que de profiter, la loi ne le sait pas, et vous laisse à consulter votre conscience. Et il y a des pays où, pour éviter les fraudes des usuriers, l'intérêt ne s'adjuge qu'en connoissance de cause. Mais dans les pays où cela se fait sans cette précaution, ce n'est pas que la loi approuve le dédommagement sans perte effective; c'est que ne croyant pas pouvoir assez pénétrer le fond des choses, elle juge par présomption, et laisse à la conscience d'un chacun de se faire justice.

Il y a encore un autre motif de la condamnation x mord, qui est d'adjuger l'intérêt comme une peine. Celui-là en soi est plus délicat, parce qu'il donne lieu aux usures palliées. Mais à la rigueur il n'est pas injuste, et diffère infiniment de l'usure. Car l'esprit de l'usurier n'est pas de retirer son argent, c'est de le faire profiter; et

au contraire l'esprit de la loi pénale est de faire cesser de tels profits par un paiement effectif.

En effet dans les sentences de condamnations, la première chose qu'on fait c'est d'obliger à payer; et l'on voit par les procédures que l'esprit de la loi est celui-là. Il n'y a donc rien de plus opposé que ces condamnations et les usures, puisque les unes veulent empêcher le paiement, et que les autres le désirent.

Je ne parle point ici des autres différences entre ces deux cas. Celle-ci suffit pour faire voir combien peu ces condamnations servent à établir l'usure.

Il y auroit beaucoup d'autres cas à examiner, qui pourroient peut-être être résolus avec autant d'évidence. Mon intention n'est pas de traiter ici toute la matière de l'usure; il me suffit d'avoir donné une règle certaine pour la connoître.

Je répète cette règle : la loi de Dieu expliquée par la tradition, n'a pas voulu défendre une chimère et un cas en l'air. Il faut donc fixer ce cas, et voir quelle notion elle a donnée de l'usure; et toutes les fois que nous trouverons qu'en permettant un certain profit de l'argent, la loi de Dieu sera éludée et ne subsistera plus qu'en paroles, nous devons tenir ce profit comme enfermé dans la défense divine. Je ne crois pas qu'il y ait rien de plus ferme ni de plus inébranlable que cette règle.

Je définis l'usure selon cette règle, tout argent ou équivalent qui provient en vertu du prêt; et j'appelle venir en vertu du prêt, ce qui dépend d'une condition qui en est inséparable, et ce qui a les mêmes effets.

Cette notion est certaine et comprise manifestement dans la loi de Dieu, ainsi qu'il a été dit.

HUITIEME PROPOSITION.

La police ecclésiastique et civile, pour empêcher l'effet de l'usure, ne doit pas seulement empécher ce qui est usure dans la rigueur, mais encore tout ce qui y mène.

La raison en est commune à toutes les lois. Car c'est pour cela qu'afin d'empêcher les meurtres et les séditions, on empêche le port d'armes à certaines heures, quoiqu'en soi il pourroit être innocent; et qu'afin d'empêcher les impuretés, on empêche certaines fréquentations et correspondances, et ainsi du reste.

De cette sorte, quoiqu'à la rigueur la conscience ne défende pas de prendre un dédommagement raisonnable de la perte réelle que le prêt apporte quelquefois, la loi civile ne permet pas que chacun en cela se fasse justice, parce que ce seroit donner lieu à la fraude. C'est pourquoi il faut toujours avoir recours au juge. On veut que de telles choses soient toujours éclairées par la justice, parce qu'en s'approchant de cette lumière, les fraudes ont moins de moyen de se glisser.

Ainsi la loi ecclésiastique ou civile peut bien aller au-delà de la loi de Dieu, pour donner des barrières aux usuriers, mais non jamais en deçà ; et elle peut bien relâcher en quelques endroits ce qu'elle permet en d'autres; mais ce qui dépend de la loi de Dieu doit toujours être uniforme.

DISSERTATIUNCULE IV

ADVERSUS PROBABILITATEM.

I. DE DUBIO IN NEGOTIO SALUTIS.

II. DE OPINIONE MINUS PROBABILI, AC SIMUL MINUS

TUTA.

III. DE CONSCIENTIA.

IV. DE PRUDENTIA.

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