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de la réclamation. L'immutabilité d'un jugement et sa force de chose jugée n'appartiennent qu'à sa conclusion, c'est-à-dire à la partie qui prononce l'acquittement ou la condamnation, quod jussit vetuitve. Cette proposition est presque indiscutable et voilà pourquoi la plupart des auteurs, quand ils exposent la théorie de la chose jugée, l'attribuent seulement à la partie résolutive du jugement, alors que son extension à la partie expositive (motifs) n'est controversée que par quelques-uns. Il est vrai qu'au nombre de ceux qui favorisent une telle extension, se trouvent des autorités aussi célèbres que celle de SAVIGNY, mais celles qui professent l'opinion contraire ne sont pas moins respectables et sont plus nombreuses. L'éminent professeur que je viens de nommer déclare lui-même, textuellement, que: C'est une doctrine très ancienne appuyée par un grand nombre d'auteurs, que la vérité légale de la chose jugée appartient exclusivement à la résolution et qu'elle n'est pas partagée par les motifs", et il résume sa doctrine: L'autorité de la chose jugée n'existe que dans la partie dispositive du jugement". (SAVIGNYDroit Romain-par. 291, tome 6, p. 347). „La plupart des auteurs, ajoute-t-il, refusent absolument aux motifs l'autorité de la chose jugée, sans excepter même les cas où les motifs font partie du jugement (par. 293, tome 6, p. 282).

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GRIOLET enseigne que: la décision suppose toujours diverses propositions que le juge a dû admettre pour faire une déclaration sur les droits disputés, et qui, ordinairement sont exprimées selon notre droit (le droit français) par le jugement, ce sont les considérants (motifs). Nous avons déjà dit, contrairement à l'opinion de Savigny que les motifs tant subjectifs qu'objectifs, ne doivent pas partager l'autorité du jugement, car il ne rentre pas dans la mission du juge, de se prononcer sur les principes juridiques ou sur l'existence des faits... Nous avons donc déjà démontré que dans tous les cas qui peuvent se présenter, l'autorité de la chose jugée ne comprend pas les motifs du jugement, ni même l'affirmation ou ta négation de la cause des droits jugés".

Le même écrivain ajoute: Aucun de nos auteurs n'enseigne en effet un système analogue à celui de Monsieur SAVIGNY sur l'autorité des motifs, et la jurisprudence française admet le premier principe: que l'autorité de la chose jugée n'appartient à aucun des motifs de la décision. (GRIOLET, de l'autorité de la chose jugée par 135, 168, 169 et 173.)

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Quand au droit Prussien, SAVIGNY dit lui-même: Quant à l'autorité des motifs, il existe un texte qui paraît tout d'abord l'exclure absolument, en attribuant une importance, considérable à la partie qui contient la décision judicaire (All. Gerichte Ordnung, 1, 13 13 p. 38) Les collèges des juges et les rapporteurs des jugements doivent distinguer soigneusement entre la décision réelle et ces motifs, et leur donner une place différente sans les confondre jamais, parce que de simples motifs ne doivent jamais avoir l'autorité de la chose jugée. (D. R. par. 294 tome 6 pp. 389 et 390).

Les tribunaux espagnols ont rejeté constamment les recours en cassation interjetés contre les fondements du jugement définitif,

parce qu'ils n'ont voulu reconnaître l'autorité de la chose jugée qu'à la partie dispositive, la seule matière de recours (PANTOJA, Repert. pp. 491, 955, 960, 970 et 975.)

Dans l'espèce spéciale (qui est la nôtre) d'une demande d'intérêts fondée sur le jugement qui les déclara dûs, après avoir entendu les défenses du défendeur contre le droit invoqué sur le capital ou sur la rente, SAVIGNY a pour opinion que ce droit a, en sa faveur, l'autorité de chose jugée, mais il remarque immédiatement que BUCKA résout la question dans le sens opposé, selon le droit romain; que les Cours Prussiennes ont décidé dans le même sens parce que la reconnaissance d'un droit par les motifs de la décision n'appartient vraiment qu'au jugement dont la partie résolutive constitue la chose jugée, et il ajoute: „Nous n'avons pas sur ce point la décision du droit romain et les textes que l'on invoque si souvent n'ont rien à faire avec le sujet." (D. R. par. 294 num. 3 et 4, note (r) du num 7 et par. 299, num. 4, tome 6, pp. 397, 401 et 446).

Et cependant ULTIEN dit: Si in judicio actum sit use roeque sola petita sint, non est verendum ne noceat rei judicate exceptio circa sortis petitionem: Quia enim non competit nec apposita noceat. Tel est le principe de la loi 23 D. de Except rei jud. et, bien qu'il semble contredit par ce qui le suit, cette antinomie apparente est expliquée par GRIOLET (pp. 46 et 47) d'une façon satisfaisante. C'est à lui que je me suis référé en faisant les citations précédentes au sujet de cette question qui n'a encore été traitée que légèrement dans la correspondance diplomatique échangée sur la réclamation présente.

Et je dois ajouter que si ce qui vient d'être dit est vrai en ce qui concerne les jugements rendus par des juges revêtus de l'autorité publique pour décider sur un cas, sur ses motifs et sur ses conséquences, l'absolutisme de cette vérité est encore plus complète en ce qui touche les décisions rendues par des arbitres sans juridiction véritable et sans autres facultés que celles accordées par le compromis. Donc, tout ce qui vise l'exception et l'action de la „res judicata" étant d'interprétation stricte (GRIOLET- de l'autorité de la chose jugée p. 68) doit l'être plus encore lorsqu'il s'agit de l'appliquer aux décisions arbitrales.

Dans cette discussion, une loi romaine dit: De his rebus et rationibus et controversiis judicare arbiter potest, quæ ab initie fuissent inter eos qui compromisserunt, non quæ postea supervenerunt (L. 46 D. de recept. qui arb.) et l'effet attribué par le droit civil aux décisions arbitrales était si limité qu'il ne leur accordait pas de produire les effets de chose jugée. La loi I du code de recept dit: Ex sententia arbitri ex compromisso jure perfecto arbitri appellari non posse saepe receptum est; quia nec judicati actio inde praestari potest".

L'inefficacité des décisions arbitrales du Droit International, à servir pour la décision des cas futurs, quoiqu'ils pussent être analogues à ceux déjà jugés, a été expressément reconnue par le Gouvernement des Etats-Unis d'après ce que l'on voit dans l'ou

vrage de MOORE,,International Arbitrations", au sujet de la Commission Mixte, qui siégea à Halifax, en vertu du traité de Washington, et qui condamna les Etats-Unis à payer au Gouvernement Britannique cinq millons et demi de dollars à titre de dommages et intérêts pour le préjudice causé par des pêcheurs américains, et, dans l'espèce de réclamation présentée par le Ministre d'Espagne, Sénor MURUAGA, le motif en était la confiscation de coton considéré comme contrebande de guerre, dont les sujets espagnols MORA et LARRACHE avaient souffert. Le Secrétaire d'Etat des Etas-Unis, T. F. BAYARD, a dit dans sa communication du décembre 1886,: Les décisions des Commissions Internationales... ne sont considérées comme ayant d'autorité que sur l'espèce particulière jugée... d'aucune façon elles ne lient les Etats-Unis, sauf dans les cas où elles furent appliquées (Papers relating to the For. Rel. of the U. S. year 1887, p. 1.021).

Le même honorable Secrétaire disait dans le document précité „Ces décisions s'accordent avec la nature et les termes du traité d'arbitrage" tenant compte, sans doute, que: Omne tractatum ex compromisso sumendum: nec enim aliud illi (arbitro) licebit, quam quod ibi ut afficere possit cautum est; non ergo quodlibet statuere arbiter poterit, nec in que re libe nisi de qua re compromissum est". Si l'on se rappelle les stipulations de la Convention citée, du 4 juillet 1868, l'on est convaincu que les réclamations des citoyens Américains contre le Mexique et celle des Mexicains contre les Etats-Unis, soumise au jugement de la Commission Mixte créée par la dite Convention, devaient indispensablement réunir les trois conditions suivantes:

I. Avoir pour origine, des événements postérieurs au 2 février 1848, et antérieurs au 1 février 1869 (date de l'échange des ratifications de la Convention).

2. Avoir pour objet des préjudices estimables en argent, occasionnés aux individus ou aux biens des réclamants de l'un des deux pays, par les autorités de l'autre.

On remarquera de suite que la réclamation des intérêts dont on sollicite aujourd'hui le paiement, ne peut être considérée comme remplissant la première et la troisième des conditions énumérées. Il me semble inutile de m'arrêter à le démontrer ou de continuer à discuter le peu de fondement avec lequel on allègue la chose jugée dans la nouvelle réclamation présentée contre le gouvernement Mexicain. La décision que prononça l'arbitre en 1876 fut complètement et absolument exécutée par le paiement effectué par le Mexique de $904,070.79 en or mexicain, qu'il était condamné à payer et cette décision est inapplicable à la nouvelle réclamation. Lors même qu'en vertu des allégations antérieures, il serait jugé que la réclamation actuelle ne fut pas réglée par la décision prononcée en 1875, la première objection, l'exception la plus claire que l'on pût opposer à la demande, c'est que le droit que les réclamants auraient pu avoir au commencement de l'année 1848, fut complétement éteint en vertu du traité de paix et d'amitié, de la même année, entre le Mexique et les Etats-Unis; l'article 14 en

effet déclara que toutes les créances et toutes les réclamations non résolues jusqu'alors et que les citoyens de la seconde de ces puissances pourraient avoir à présenter contre le Gouvernement de la première, devraient être considérées désormais comme éteintes et comme annulées pour toujours. Voici le texte de l'article de ce traité qui contient la disposition invoquée et je le cite en anglais, afin qu'il soit mieux compris par la partie plaignante. Il est ainsi formule:

XIV.

The United States do furthermore discharge the Mexican Republic from all claims of the United States not heretofore decided against the Mexican Government, which may have arisen previously to the date of the signature of this treaty, which discharge shall be final and perpetual, whether the said claims be rejected or be allowed by the board of commissioners provided for in the following article and whatever shall be the total amount of those allowed.

A cette exception péremptoire les réclamants répondent qu'ils ne demandent pas les intérêts échus avant la date du traité, mais ceux échus après cette date, et qu'ils ne réclament pas le capital parce qu'ils ne s'y reconnaissent aucun droit, le Mexique pouvant le garder indéfiniment. En répondant ainsi, les réclamants oublient que l'article précité (XIV) ne libère pas seulement le Mexique des réclamations ou des demandes pouvant être présentées immédiatement, mais de toutes les créances (all claims) non encore tranchées (not heretofore decided) à la charge de son Gouvernement: et tel est le cas pour la créance du Fonds Pie qui comprend en tout, le capital et les intérêts. Le mot anglais claim, qui signifie la réclamation ou la demande de ce que nous croyons, avec droit, nous appartenir, comme la cause, l'origine ou le fondement de cette demande, comprend en effet tout cela: a right to claim or demand something: a title to any debt, privilege or other thing in possession of another; also a title of any thing which another should give or concede to, or confer on, the claimant', d'après ce que dit WEBSTER dans son dictionnaire, l'autorité linguistique la plus compétente aux Etats-Unis, et qui pénètre partout où la langue anglaise est parlée. (Voyez le Dictionnaire Anglais de WEBSTER, article claim, deuxième acception).

Cette interprétation de l'article XIV est confirmée par la lecture du commencement de l'article suivant, (XV) dont le texte anglais dit ceci: The United States exonerating Mexico from all demands on account of the claims of their citizens mentioned in the prece ding article and considering them entirely and for ever cancelled.” Ici, l'on voit bien la distinction entre demands et claim et l'on remarque que ce dernier mot est pris dans le sens du titre ou droit conféré par son origine à une réclamation quelconque.

Il ne pouvait en être autrement puisque l'intention manifeste de cette convention, fut de ne rien laisser en suspens qui fût susceptible d'altérer ou de troubler les relations pacifiques et amicales

renouvelées par ledit traité. Aussi, ce que l'on fait très souvent dans des traités du même genre: l'extinction complête de toutes les réclamations, et de tous les motifs de réclamations en suspens ou qui par suite de faits antérieurs, pourraient surgir entre les deux Gouvernements, fut stipulée, sans abandon toutefois de l'intérêt des particuliers. L'article XV dont le premier paragraphe a été copié pourvoyait à cet intérêt. I ordonnait que trois millions et un quart de piastres fussent réservés pour faire face aux réclamations approuvées par une Commission Américaine nommée à cet effet, et établie par le Gouvernement des Etats-Unis, et devant laquelle les représentants de l'Eglise Catholique de Californie auraient. dú se présenter s'ils avaient eu conscience de leurs droits. Pour n'avoir pas voulu se présenter à cette époque, ils ne sont pas du tout autorisés à réclamer aujourd'hui contre le Mexique. qui resta libéré de toute responsabilité, from all demands on account of the claims of their (of the United States) citizens.

En présence des articles invoqués du traité de Guadelupe Hidalgo le plus solennel de tous ceux que nous ayons signés avec la Nation voisine, et toujours en vigueur parce que de son essence il est de nature perpétuelle, il paraît inconcevable de soutenir que la créance du Fonds Pie ne fut pas éteinte en vertu des stipulations du dit traité. Quel était le privilège de ce Fonds qu'il ne fût pas compris dans la déclaration absolue du traité? Il n'y a pas à s'étonner que les avocats des réclamants, à bout de ressources, aient, pour contester cette défense, cherché à limiter sur ce point les effets du traité à l'extinction des intérêts du Fonds, échus avant le mois de février 1848. Mais il est inexplicable, qu'une semblable interprétation ait été admise par la décision arbitrale signée par Sir EDWARD THORNTON. Voilà pourquoi, entre autres motifs, nous considérons la dite décision comme notoirement injuste, puisque aucune injustice ne peut être plus évidente que celle d'une décision jugeant sur une question entre les citoyens d'un pays et le Gouvernement d'un autre, en opposition expresse avec les stipulations d'un traité solennel conclu par les deux pays et dont la vigueur n'est past

en cause.

Lors même que, contre toute probabilité, on en viendrait à décréter que le traité de Guadalupe Hidalgo laissa ouverte la créance (the claim) des citoyens américains contre le Mexique, touchant le Fonds Pie, créance existant, allègue-t-on, au moment de la signature du traité, il y aurait encore un motif d'extinction de cette créance et par conséquent du droit à exiger les intérêts du capital. On sait en effet que la République Mexicaine, en vertu de ses droits souverains et pour des raisons de haute politique exposées par le Commissaire Mexicain dans son rapport de 1879, décréta en 1856 en 1859, d'abord la désamortisation puis la nationalisation des biens ecclésiastiques, ce qui, à proprement parler, n'est autre chose, que l'interdiction au clergé de continuer à administrer ces biens nationaux. Si, comme on l'a dit fort justement, la validité et les motifs de cette détermination peuvent être contestés au

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