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mence; les mettre aux enchères, c'est une profanation et une source d'impossibilités. On l'a assez vu en 1791 1. Ainsi, de ce côté, il y a des difficultés et des embarras de toutes parts. Quant à la suppression du budget des cultes, ce n'est pas certes une mesure à laquelle on puisse se déterminer légèrement. Je ne parle pas de la promesse faite au clergé en 1789 de remplacer ses biens-fonds, dont on exigeait le sacrifice, par une allocation annuelle. Je ne cherche pas jusqu'où l'on doit pousser le principe des solidarités en histoire, soit à l'égard des gouvernements qui ont succédé à l'Assemblée constituante, soit à l'égard du clergé considéré comme personne civile; et je n'exa

1. Séance de l'Assemblée législative du 24 novembre 1791. Discours de Guadet: « .... Ici une municipalité croit ne pouvoir pas s'opposer à l'exercice d'un culte, comme effectivement elle n'en a pas le droit d'après les décrets. S'il lui reste un bâtiment national, elle croit devoir l'affermer ou le vendre à une association religieuse. Là une administration supérieure croit au contraire qu'il est d'une sage politique de suspendre l'application des principes....> 2. Séance de la Constituante du 2 novembre 1789. Mirabeau, à la suite d'un long discours, lit sa motion ainsi conçue : « Qu'il soit déclaré premièrement que tous les biens ecclésiastiques sont à la disposition de la nation, à la charge de pourvoir d'une manière convenable aux frais du culte, à l'entretien de ses ministres et au soulagement des pauvres, sous la surveillance et d'après les instructions des provinces. Secondement, que selon les dispositions à faire pour les ministres de la religion, il ne puisse être affecté à la dotation des curés moins de douze cents livres, non compris le logement et jardins en dépendant. » Le résultat de l'appel nominal donne 568 voix pour adopter et décréter la motion, 346 pour la rejeter, et 40 voix nulles. La séance est levée à six heures au bruit des applaudissements de l'auditoire. (Moniteur du 3 novembre 1789.)

mine pas non plus si l'État a le droit de discuter l'origine des propriétés et de supprimer celles qui ne peuvent subsister qu'en violant les lois générales1, Je ne veux pas introduire une question dans une question, Je suppose l'État parfaitement libre de tout engagement à l'égard du clergé catholique et des ministres de la Confession d'Augsbourg, dont les propriétés ont été

1. C'est une opinion reçue par l'immense majorité du clergé, que la Constituante a violé le principe de la propriété en s'emparant des biens de l'Église. En conséquence, on regarde le budget des cultes, non comme la rémunération d'un service public, mais comme une indemnité annuelle que l'État paye à d'anciens propriétaires, par lui dépossédés. Le concordat de 1801 défend d'inquiéter la conscience des détenteurs des biens de l'Église; mais à la condition de l'existence d'un budget, et en déclarant expressément que l'Église fait un sacrifice à la paix. Le passage suivant montre bien quelle est à cet égard la situation des esprits dans le clergé. a Ici se présente une question, savoir: Si les acquéreurs ou possesseurs actuels des biens ecclésiastiques, c'est-à-dire des biens du clergé et des églises de France usurpés par l'assemblée nationale et vendus par ses ordres au profit de l'Etat, sont obligés à quelque restitution envers l'Église? Nous répondons qu'ils ne sont obligés à rien; l'acquisition desdits biens, quoique injuste et sacrilége dans le principe, a été ratifiée et légitimée par le concordat de 1801, dont l'article 13 est ainsi conçu: « Sanctitas sua, pro pacis bono felicique religionis restitutione declarat eos qui bona Ec<< clesiæ acquisiverunt molestiam nullam habituros neque a se, .neque a Romanis pontificibus successoribusque suis. » (Théologie morale, par le cardinal Gousset, p. 466.)

Il peut être utile de rapprocher de cette opinion le passage suivant du discours de Portalis prononcé devant le Corps législatif le 15 germinal an x, et qui peut passer pour le meilleur commentaire du Concordat de 1801 :

Le temporel des États étant entièrement étranger au ministère du pontife de Rome, comme à celui des autres pontifes, l'intervention du pape n'était certainement pas requise pour consolider

aussi réunies au domaine public en 1799. Il reste une chose parfaitement évidente: c'est que le jour où l'État supprime les budgets, il donne le droit à chaque Église de rétribuer directement ses ministres. On pourrait même dire qu'il leur en impose le devoir, car il est d'un intérêt général que l'exercice des différents cultes se fasse avec décence et dignité. Or, ce ne sera pas une chose facile en France que de remplacer un budget régulier par une cotisation volontaire. Je ne pense pas que personne puisse prendre sur soi d'affirmer qu'il n'en résultera pas de grandes et fâcheuses perturbations dans des services et des situations considérables. En tout cas, il ne faut pas songer à abandonner chaque congrégation locale à ellemême, si l'on ne veut pas voir dans de pauvres villages des églises abandonnées et tombant en ruine, et des ministres du culte réduits à tendre la main, ou à se louer à la journée comme hommes de peine.

et affermir la propriété des acquéreurs des biens ecclésiastiques. Les ministres d'une religion qui n'est que l'éducation de l'homme pour une autre vie n'ont point à s'immiscer dans les affaires de celle-ci. Mais il a été utile que la voix du chef de l'Église, qui n'a point à promulguer des lois dans la société, pût retentir doucement dans les consciences, et y apaiser des craintes ou des inquiétudes que la loi n'a pas toujours le pouvoir de calmer. C'est ce qui explique la clause par laquelle le pape, dans sa convention avec le gouvernement, reconnaît les acquéreurs des biens du clergé comme les propriétaires incommutables de ces biens.

1. Conseil des Anciens, séance du 11 ventôse an vII (1er mars 1799). Adoption du projet de Couturier sur l'aliénation des biens du culte protestant.

Par la même raison, on sera contraint de maintenir un salaire annuel pour chaque ministre, et de ne pas compter exclusivement sur ce qu'on appelle le casuel, ou les oblations, c'est-à-dire sur la rétribution spéciale affectée à chaque fonction du ministère ecclésiastique. Il faudra donc tolérer et même encourager la solidarité des membres de chaque Église entre eux, dans toute l'étendue du pays, et leur permettre d'avoir une caisse centrale, des administrateurs de cette caisse et des collecteurs. N'est-ce pas, avec le temps, fonder un État dans l'État? N'est-ce pas préparer entre les différents cultes des compétitions et des rivalités d'une nature regrettable? N'est-il pas évident que le pouvoir administratif et le pouvoir judiciaire seront forcés d'intervenir à chaque instant, soit pour surveiller la perception, soit pour surveiller l'administration des recettes? Cette intervention ne sera-t-elle pas plus difficile à exercer et plus difficile à supporter que l'intervention simple et régulière qui résulte de l'existence d'un budget? Par quelle autorité sera réglé dans chaque culte le tarif des frais pour les mariages, pour les enterrements? Par quelle assemblée la cotisation annuelle serat-elle fixée et répartie? Par quelles mains sera-t-elle perçue? Fera-t-on des quêtes comme aux beaux jours des ordres mendiants? Les divers clergés ne se livreront-ils pas à une inquisition occulte sur la nature et la quantité des revenus de leurs coreligionnaires? Ne

verra-t-on pas, selon les localités, des richesses scandaleuses à côté de misères plus scandaleuses encore? La perception de ces nouveaux impôts ne nuira-t-elle pas aux recettes de l'État? Ne troublera-t-elle pas l'action de l'assistance publique et celle de la charité privée? Enfin, si les administrateurs des revenus ecclésiastiques déclarent qu'ils sont obligés de prévoir des recettes insuffisantes, de fonder des caisses de retraite, de conserver des fonds disponibles pour des besoins éventuels, la justice ne veut-elle pas qu'on les y autorise? Et la faculté d'accumuler des économies, de faire des placements et des acquêts, ne conduit-elle pas tout droit à la reconstitution des biens de mainmorte? Si on maintient la défense d'accepter des legs sans autorisation du conseil d'État, la justice distributive risque à chaque instant d'être blessée; si on la supprime, on ouvre la porte à des abus incalculables et de toutes sortes, et on nuit du même coup à la sécurité des familles, à l'impôt, à l'agriculture, et à la dignité du corps sacerdotal. Tout cela, dit-on, se fait ailleurs sans inconvénient. Oui, mais dans des pays où domine l'esprit d'association, où l'ordre résulte de l'initiative intelligente des citoyens; non dans un pays de centralisation absolue. Il faut qu'un État soit homogène. Conclure de ce qui se fait dans un pays libre à ce qui pourrait se faire dans un pays qui ne l'est point, est tout aussi raisonnable que de vouloir tirer la même conclusion d'un raisonnement

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