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latérales vole un oiseau et est appliquée une tête d'homme qui regarde.

Au sommet du rocher perche un aigle, qui écrase un serpent dans ses serres.

En bordure s'alignent sept grands arbres, au feuillage vert, au tronc mousseux ou troué, sur lesquels perchent deux oiseaux, un geai et un chardonneret. Quelques grosses touffes d'herbes, à larges feuilles vertes, égaient le sol un peu uniforme.

Enfin, au dernier plan, ondule la mer, dont la nuance s'éclaircit insensiblement du bleu au blanc. On la prendrait pour une croupe de montagnes, n'était leur aridité et le cours longitudinal du fil de l'eau.

A partir de là, le ciel blanchâtre devient peu à peu bleuatre, puis bleu clair, en haut, où il est traversé par quelques nuages blancs. Nous avons donc ici, se succédant, la terre, la mer et le firmament.

II

Le sujet est parfaitement intelligible à première vue. Cependant, à la réflexion, il se complique et prend alors une autre physionomie. Examinons ces deux aspects.

La Fuite en Égypte admet, comme d'habitude, trois personnages: le père, la mère et l'enfant. Mais, d'ordinaire, la mère est montée sur l'àne, qui, chose étrange, paraît plus abattu que ses maîtres et incapable de leur rendre service. C'est une déviation de la tradition, avec préoccupation évidente de réalisme, sans nécessité absolue toutefois, ni exemple antérieur, que je sache. L'idée dominante est donc celle de la lassitude; malgré cela, les fugitifs ne s'arrêtent pas, pour deux motifs : ils viennent de passer devant un berger indifférent, qui ne s'est point préoccupé

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de leur situation pénible et ils aperçoivent déjà la face repoussante du gardien du temple.

Ils reprennent donc confiance et courage. Tout, d'ailleurs, les y engage: le printemps, avec sa parure de feuillages et de fleurs et le chant des oiseaux, mais surtout la grâce céleste, qui les assiste et réconforte. La récompense n'est peut-être pas décernée immédiatement à leur mérite; du moins elle leur est promise et montrée. Sur une toile du XVIII siècle, à Poitiers, saint Joseph tient dans la main gauche un lis fleuri et, sur le bras droit, l'enfant Jésus qui lui met une couronne de fleurs sur la tête.

Un émail de Jean Nouailher, qui a figuré à l'exposition rétrospective de Limoges, où il était classé sous le no 454, montre l'enfant Jésus couronnant de fleurs blanches son père adoptif, qui a un lis à la main.

Ce thème symbolique est nouveau en iconographie et je n'y vois d'autre raison d'être que la glorification de la Sainte Famille et de saint Joseph. Le xvII° siècle a vu naître et se développer rapidement ces deux dévotions. Ici, elles ont pu déterminer le choix du sujet, qui est l'épreuve sous un double aspect: la fuite sur une terre étrangère et l'absence même de repos pendant une marche précipitée. Ces considérations

1 A l'hôpital de Baugé (Maine-et-Loire), le tableau du maître-autel, peint au XVIIe siècle, représente la Sainte Famille. Un retable, du même genre et de la même époque, existe à Saint-Pierre de Loudun (Vienne).

Au château de Montreuil-Bellay, un panneau de bois, également du XVIe siècle, figure l'Enfant Jésus entre la Vierge et saint Joseph, avec un lis, qui le tiennent par la main; au-dessus plane l'Esprit Saint; leurs pieds foulent un sol fleuri.

Jeanne-Françoise de Noailles cachetait ses lettres, en 1629, avec un cachet ovale, où la Sainte Famille l'enfant étant entre ses parents) est désignée par la légende : SIGILLVM (sacræ familiæ) NAZARETH. (De Bosredon, Sigillogr. du Bas-Limousin, p. 318.)

Murillo (1618-1682) inaugure dignement l'école espagnole (à la galerie nationale de Londres). La Sainte Famille, achetée 131,000 fr. en 1837, représente l'Enfant Jésus debout sur un tertre entre la Sainte Vierge et saint Joseph, que les Espagnols mettent sur un plan moins secondaire que les peintres des autres écoles. Ici, saint Joseph a autant d'importance que la Vierge, tandis que chez les Italiens, c'est un vieillard dormeur ou ennuyé, vêtu d'un manteau cou

étaient de nature à faire impression sur les âmes pieuses et sensibles. Saint Bonaventure a, dans ce genre-là, qui procède de la méditation et de l'imagination, des interprétations fréquentes de l'Évangile, trop sec et froid pour certaines natures enthousiastes et affectives.

III

La date s'impose à la fois par l'iconographie, car chaque époque a la sienne propre, aussi par le style et la technique, qui correspondent à la seconde moitié du règne de Louis XIV. Nous ne descendons pas plus bas, je crois, que la fin du XVIIe siècle.

Est-ce de l'art? Je n'oserais l'écrire, pas plus que je n'ai la prétention d'émettre un avis contraire. Celui qui est l'auteur de cette pièce de broderie savait assurément le dessin, mais il n'avait pas une idée suffisante des proportions et des relations des choses entre elles. Il sacrifiait tout au détail, qui, partant, est minutieusement et exactement traité, mais au détriment de l'effet général, qui y perd la vigueur. Et cependant c'était un artiste : non seulement, il comprenait son sujet, mais il savait l'interpréter en vrai décorateur, qui vise à l'effet à distance. Le parement, appliqué contre l'autel, devait pouvoir être vu de tous les points de l'église il ne fallait donc ni petitesse ni confusion. Les fleurs dissimulent bien la nudité du sol, qui, autrement, serait affreux; les arbres, plantés au bord de la mer, viennent à propos remplir le vide du fond;

leur de muraille, faisant peu de bruit dans la maison, et complètement relégué en arrière plan, comme un accessoire dont on pourrait se passer. Darcel, Excurs. artist. en Angleterre, p. 88.)

L'hôpital d'Oiron (Deux-Sèvres) fut fondé, en 1704, par Mme de Montespan, « sous le nom et invocation de la Sainte Famille ».

A Rome, dans la galerie Sciarra, salle III, no 20, un tableau de Scarsellini ajoute à la Sainte Famille sainte Anne et saint JeanBaptiste.

Marie et Joseph sont habilement placés entre les arbres, qui abritent aussi une scène pastorale et un temple aux faux dieux; la légende du passage, à Héliopolis, raconté par les Évangiles apocryphes, a pu aider à trouver ce double complément.

Les anges sont moins heureux, car ils se confondent presque avec les têtes des arbres, qui ne sont pas trop touffus et que le vent, qui ne les a pas toujours laissés droits, a couchés tantôt à droite, tantôt à gauche. Il y a réellement de la maladresse dans ces fleurs trop grosses, qui sortent de tigettes trop courtes, piquées dans le sol comme les fleurs qu'on coupe pour faire un bouquet : c'est à la fois exagéré par l'ampleur et maigre par l'idée. Quant aux oiseaux perchés, à part l'aigle sur le rocher, ils ont aussi de trop énormes proportions.

Que dire de la tête coupée? Je la considère comme d'une explication difficile . Si elle regarde les passants, que n'est-elle à une fenêtre? Si le rapace qui vole au-dessus d'elle la tenait dans ses serres, vient-il donc de la làcher et alors quel est son nom et sa signification?

Pour la mer, elle est assez mal traitée et son tort grave est surtout de pouvoir se confondre avec une chaîne de collines, bleuies à l'horizon, comme les monts qui bornent la vue dans la campagne romaine.

Sous le rapport de la ligne et du contour, le trait est généralement exact et correct: on voit que les fleurs ont été étudiées d'après nature et les personnages d'après des estampes ou tableaux; les oiseaux ne sont pas non plus des étrangers. Les moutons et le chien laissent beaucoup à désirer.

La coloration est conçue dans une teinte, non pas vive et éclatante, mais monotone, effacée, un peu terne. Nulle

Il approchait d'une grande ville, où il y avait une idole.... Le fils du prêtre.... insultait Joseph et Marie.» (Brunet, les Evangiles apocryphes, p. 67.)

part, les tons ne sont francs et la nuance la plus vraie est encore le vert des feuilles. Deux couleurs dominent : le jaune, qui est partout, presque à contre temps et qui déteint sur l'ensemble; le vert, qui ne parvient pas à le contre-balancer, parce qu'il s'étend surtout en haut, où il est presque seul.

Somme toute, ce devant d'autel, s'il dénote de graves défauts, exhibe en même temps, comme contre poids, de réelles qualités, qui le rendent digne d'éloges. On sera juste en le louant de son bon goût et en le blåmant de son mauvais. L'artiste n'était pas suffisamment équilibré pour une œuvre de cette portée.

IV

La vogue, au XVII° siècle, était aux tapisseries à l'aiguille 1. On en faisait pour l'église, qui parait ainsi l'officiant, l'autel et la chaire.

La technique se comprend très aisément. La broderie a pour fonds un canevas, à fils serrés, parfaitement visible à l'endroit des écussons. La matière employée est exclusivement la soie, si ingénieusement passée que la régularité du procédé ne paraît pas, à distance. Il s'y mêle, par endroits, aux jeux de lumière, des fils d'or et d'argent, qui, actuellement, sont sans éclat et condamnent par conséquent le système, lequel pouvait fort bien ne pas les admettre. On a voulu faire riche, le temps a fait justice de ce surcroît.

Toutes les carnations, d'une autre main, sont plus. soignées. Elles sont exécutées au passé, très finement, surtout aux yeux et aux ongles. Aussi les physionomies ne

1 M. Palustre, Objets exposés à Tours en 1887, pl 27, a donné deux devants d'autel; l'un est orné, à chaque bande, des monogrammes alternés de Jésus et de Marie, IHS, MA ou MAR.

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