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L'ÉGLISE CONSTITUTIONNELLE

DU

DÉPARTEMENT DE LA MAYENNE

APRÈS LA TERREUR

D'APRÈS LA CORRESPONDANCE DE CH.-FR. D'ORLODOT

L'histoire de l'Église Constitutionnelle du département de la Mayenne avant la Terreur a été très complètement exposée par Dom Piolin dans son Histoire de l'église du Mans pendant la Révolution et, pour ce qui concerne plus particulièrement les districts de Laval et d'Évron, par MM. Boullier et Gérault, dans leurs Mémoires ecclésiastiques sur ces deux districts1. Nous n'avons pas à revenir sur les détails si complets et si intéressants fournis par ces historiens relativement à l'établissement du culte constitutionnel et aux nominations des curés assermentés installés dans les diverses paroisses du département.

Peu de curés ayant consenti à prêter le serment constitutionnel, un certain nombre de vicaires, quelques religieux réguliers, ou des prêtres étrangers appelés des départements voisins, où ils n'avaient pu sans doute obte

1 Mémoires ecclésiastiques concernant la ville de Laval et ses environs pendant la Révolution et Mémoires ecclésiastiques concernant le district d'Evron pendant la Révolution.

2 Quatre seulement dans le district de Laval à Andouillé, Louverné, Monflours et Soulgé-le-Bruant. Mais ils furent plus nombreux dans les autres districts.

nir de nominations à leur gré, formèrent le fond du nouveau clergé. Mais des prètres élus dans ces circonstances, quelques-uns même sans leur aveu, et sur de simples recommandations, plusieurs refusèrent ces nominations. D'autres, mal reçus dans leurs nouvelles paroisses, se retirèrent, soit immédiatement, soit au bout de quelques semaines, et MM. Boullier et Gérault citent de nombreuses communes dont les églises ne furent occupées que temporairement par les prêtres assermentés, ou même ne reçurent jamais de titulaires.

La triple invasion du département de la Mayenne par les Vendéens, aux mois d'octobre, novembre et décembre 1793, la cessation du culte, qui se produisit à la même époque, et le soulèvement des Chouans dans les campagnes, obligèrent la plupart des prêtres constitutionnels à abandonner leurs paroisses, où ils étaient mal vus des populations profondément religieuses du Bas-Maine et où ils couraient de réels dangers, pour se réfugier dans les villes'. Beaucoup d'entre eux, originaires des départements voisins, retournèrent dans leurs pays.

Le traitement des membres du clergé ayant été supprimé, ces prêtres durent chercher des moyens d'existence dans l'exercice d'autres professions. Les uns se consacrèrent à l'éducation de la jeunesse, comme Laban, Sartre, Réveil et Laigre, vicaires épiscopaux de Villar, devenus professeurs du collège, ou comme d'Orlodot, curé de Saint-Vénérand, Griveau, curé de Bonchamps, et Bichard, curé de Courbeveilles, qui s'établirent maîtres d'écoles à Laval. Quelques autres s'engagèrent comme soldats ou firent leur service dans la garde nationale tels Ruffin, vicaire épiscopal; Roche, curé de Changé ; Bourgeois, curé de Saint-Berthe

Quelques-uns de ces prêtres renoncèrent au métier de prêtre, ou simplement à l'exercice de leurs fonctions, devant les autorités de leurs communes. Les archives départementales contiennent de nombreux procès-verbaux relatifs à ces renonciations.

vin, etc. Plusieurs s'occupèrent de commerce, comme Griveau, qui avait ouvert une épicerie à Laval; Drouet, vicaire de Louverné, devenu cabaretier dans sa paroisse; Oger, curé de Commer, tenant une auberge dans la sienne, etc.; tous cherchèrent à faire oublier leurs anciennes fonctions et le caractère dont ils avaient été revêtus.

Plusieurs d'entre eux donnèrent dans tous les excès de la Révolution, comme Guilbert, ancien vicaire de Viviers; Thulot, curé de Grenoux ; Volclair, curé de Lassay, et Chédeville, prêtre de l'Orne; ou se marièrent, comme Rabard, Guilbert, Lévenard et quelques autres. On trouvera de très curieux renseignements sur tous les prêtres assermentés des districts de Laval et d'Évron dans les Mémoires ecclésiastiques de MM. Boullier et Gérault.

Après la chute de Robespierre, quelques-uns de ces prêtres constitutionnels songèrent à reprendre l'exercice du culte. C'est l'histoire des efforts tentés par ceux-ci pour relever leur église que nous nous proposons de raconter dans les pages suivantes, d'après la correspondance inédite de Charles-François d'Orlodot qui, soit comme curé de Saint-Vénérand, soit ensuite comme évêque constitutionnel de la Mayenne, prit la part la plus active à ce relèvement.

D'Orlodot, né à La Chalade, diocèse de Verdun, le 19 septembre 1756, d'une famille noble et ancienne de gentilshommes verriers, avait fait ses études à Reims où il avait été ordonné prêtre. Après avoir été employé quelque temps dans ce diocèse, il avait été nommé, en 1785, curé d'Authon, au Perche, et était devenu, en 1790, maire de cette commune, où il rendit de réels services pour le maintien de l'ordre, grâce à son influence sur le peuple de sa paroisse. C'était un homme d'une superbe figure, dit M. Boullier, et de manières tout à tait distinguées; il avait de l'esprit, beaucoup d'instruction, parlait fort bien, en particulier et en public, et possédait des talents d'agré

ment, entre autres celui de la musique. Un électeur de Laval l'ayant rencontré au Mans, où il était venu sans doute pour chercher une position plus en rapport avec son mérite, fut séduit par sa distinction. Il le recommanda à ses collègues et le fit élire à la cure de Saint-Vénérand de Laval, vacante par le refus de l'ancien doctrinaire Séguéla. D'Orlodot prit possession de cette cure le 21 août 1791. Pendant la Terreur, le curé de Saint-Vénérand ne fit aucune abjuration ni renonciation à ses fonctions. Menacé d'être compris parmi les suspects, il s'était borné, dans une séance de la Société populaire, où il avait été entraîné par quelques amis, à fouler aux pieds un livre de blason en déclarant que, quoique né dans la caste nobiliaire, il était partisan de l'égalité et détestait les hochets de la vanité. Cela avait suffi, et d'Orlodot, employé quelque temps à la mairie pour le rétablissement des archives brûlées par les Vendéens', avait ouvert ensuite, à son domicile, une école avec pensionnat qui lui procurait de quoi vivre et qu'il conserva jusqu'à sa nomination à l'évêché de la Mayenne.

Lorsque le 9 thermidor eut rendu à la France quelque apparence de liberté, d'Orlodot, sincèrement attaché à la religion, songea à relever de ses ruines l'église constitutionnelle qu'il croyait appelée à rallier tous les prêtres catholiques, se berçant de l'illusion que le Pape consentirait alors à entrer en communication avec elle. Une semblable conviction, partagée du reste par les membres les plus distingués de l'église nationale de France, notamment par l'évêque de Loir-et-Cher, Grégoire, a lieu de nous surprendre. Les efforts de d'Orlodot ne purent arriver à donner de la vie à son église. En dehors des villes et de quelques paroisses, peu nombreuses, dans lesquelles ils avaient conservé des partisans, bien peu de prêtres asser

1 Arrêté du 29 pluviôse an II. Arch. mun. de la ville de Laval. Registre des délibérations du Conseil général de la commune.

mentés consentirent à reprendre l'exercice du culte, les uns retenus par quelque abjuration de leur qualité de prêtres ou quelque renonciation à leurs fonctions, les autres regrettant leur serment et attendant une occasion pour rentrer en communion avec l'Église romaine. A l'époque du Concordat, il n'existait peut-être pas dans le département plus d'une vingtaine de communes desservies par des prêtres assermentés.

Il nous a paru curieux, toutefois, de rappeler, d'après des documents inédits, les conditions dans lesquelles l'exercice du culte fut repris dans la Mayenne après la Terreur, les efforts tentés par le clergé de ce département pour décider l'évêque Villar à ressaisir la direction de son diocèse ou à donner sa démission; les circonstances dans lesquelles d'Orlodot fut élu pour remplacer celui-ci; les soins pris par le nouvel évêque pour administrer son diocèse et diriger le petit nombre de prêtres soumis à son autorité; enfin ses illusions persistantes de conserver ses fonctions jusqu'à la mise à exécution du Concordat.

Peut-être le lecteur trouvera-t-il dans les documents reproduits ou cités par extraits quelques détails intéressants pour l'histoire religieuse du département de la Mayenne.

Après la Terreur, l'église constitutionnelle, ayant été à son tour l'objet des persécutions des révolutionnaires, se trouvait entièrement désorganisée dans la Mayenne. L'évêque, Noël-Gabriel-Luce Villar, ancien doctrinaire du collège de La Flèche, nommé député à la Convention, où il avait été placé dans le comité d'instruction publique, avait cessé toute relation avec son clergé et paraissait résolu, bien qu'il n'eût fait aucune rétractation ou renonciation, à ne pas reprendre ses fonctions.

Ses vicaires épiscopaux s'étaient aussi dispersés: Séguéla était mort, le 6 mars 1794, à Saint-Martin-le-Blanc (SeineInférieure); Rabard avait été tué en Anjou, au combat du

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