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leurs quelles étaient les mœurs de la gent nobiliaire de Versailles : les illustrations et les gentillesses du dix-huitième siècle sont connues; leur histoire est restée la meilleure école de débauche et de dépravation, après celle des Césars romains. Or alors ces hommes et ces femmes vivaient encore; on les entendait, ministres et duchesses, versifier des ordures, chanter des couplets qu'oseraient à peine aujourd'hui répéter les bouches les plus impures. Toute cette ignominie, conquise par les courtisans, était attribuée à la noblesse tout entière; il suffisait presque qu'un homme portât un habit de cour pour qu'il en fût soupçonné. Aussi le rang, et, par une conséquence naturelle, la qualité de noble n'était plus une recommandation; on estimait l'homme d'après ses actions, et non plus d'après ses titres.

Le clergé était partagé en deux classes: l'une riche, honorée, puissante, composée presque uniquement de fils de grandes familles; l'autre pauvre, laborieuse, et qu'on appelait, à cause de cela, le bas clergé. L'Eglise avait donc une noblesse et un peuple. On reprochait au haut clergé ses richesses; on lui opposait la pauvreté des apôtres; on lui demandait compte de ses devoirs; on rendait enfin le corps entier solidaire des mauvaises mœurs de ses membres. En effet, à quoi servaient tant de prélats oisifs, et cette bande d'abbés coureurs de boudoirs, faiseurs de petits vers et de sales contes? Un scandale tout nouveau venait d'ailleurs de compromettre le clergé : nous voulons parler de cette affaire du collier, dans laquelle on vit un cardinal de Rohan traité en prisonnier d'État, amené et acquitté en cour du Parlement pour avoir voulu acheter la possession de la reine de France par le don d'une parure de diamans de seize cent mille francs.

Le peuple seul offrait des occasions de sympathie, car il avait la probité du travail; il souffrait dans le plus grand nombre de

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Il y en a au

tois, roi de Botany-Bay. — Boudoir de madame de Polignac. - Confession de madame de P***. Maladie de madame de P***. Vie de L.-P.-D., duc d'Orléans, traduit de l'anglais, Londres, 1789 etc. moins une centaire, et dans le nombre il en est dont nous n'oserions répéter es titres.

ses membres. Depuis long-temps d'ailleurs c'était lui qui tenait surtout la plume, qui écrivait pour les romans, pour le théâtre, pour la philosophie; et depuis long-temps il plaidait ainsi sa cause. Aussi nul ne pouvait l'accuser, et toutes les âmes qui n'étaient point pourries d'égoïsme inclinaient vers lui.

Le tableau que nous venons de présenter montre qu'il y avait partout au fond des cœurs désir de grands biens, ou crainte de beaucoup perdre. De là une disposition à sacrifier tout ce qui n'était pas soi, une volonté d'atteindre son but à tout prix; de là une méfiance universelle, qui fut l'occasion de ces terreurs subites et sans objet apparent, qui firent le caractère des premiers temps de la révolution; enfin une avidité, un empressement à agir inconcevables.

Tout était donné et fatal dans ces conditions vivantes du mouvement révolutionnaire; la fatalité des choses vint encore aider à leur développement. L'année 1788 avait été affligée d'une sécheresse extraordinaire qui avait tari les fontaines et les puits et avait perdu les récoltes: la disette était menaçante; le crédit était nul. En effet, toujours, lorsque le gouvernement vient déclarer un déficit, le commerce du pays est frappé de mort. Les capitaux se resserrent, et les manufactures et les échanges qu'ils alimentent, languissent. C'est ce qui arriva en France. La caisse d'escompte offrait au commerce une garantie aussi douteuse que la fortune du gouvernement lui-même. La solidité de son papier était établie sur des probabilités; son avenir dépendait tout entier des mesures financières qui seraient arrêtées par les États-Généraux. Or, en face des intérêts et des passions hostiles qui présidaient à leur élection, qui pouvait être assuré de l'événement? Le papier de la caisse d'escompte aurait pu obtenir encore quelque confiance en France; cependant il perdit dès le premier jour: on fut obligé de lui donner un cours forcé; mais à l'étranger il ne pouvait être toujours qu'une monnaie nulle. Ainsi, le moyen des échanges pour acheter du blé était réduit au scul numéraire, car on ne pouvait déjà plus payer en exportant des produits manufacturés. Les ateliers étaient inactifs faute de capitaux. Toutes les circonstances con

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coururent donc à accroître la disette, et ne pouvant plus compter sur le commerce régulier pour approvisionner le pays, le gouvernement avait, le 25 novembre 1788, accordé une prime pour l'importation des grains d'Amérique; le 11 janvier 1789, pour les grains et farines venant des ports d'Europe. Le 20 avril la prime fut doublée. Enfin, le 25 avril, on lança une ordonnance contre les accapareurs, en prescrivant aux juges et officiers de police de tenir la main à ce que les propriétaires, fermiers, marchands et autres dépositaires de grains, eussent à garnir suffisamment les marchés. En même temps un hiver rude et long, tel que de mémoire historique la France n'en avait pas éprouvé un pareil, vint affliger le pays et réduire les pauvres au désespoir. Le 31 décembre 1788, le thermomètre de Réaumur marquait à Paris 18 degrés trois quarts au-dessous de glace. La gelée avait commencé le 24 novembre, et la Seine était prise dès le 26. Ce froid ainsi que la disette, désola tout le pays, et imposa partout aux classes pauvres une même impulsion dont nous verrons plus tard les effets.

Rien d'ailleurs ne détournait la France du sentiment de sa position présente; elle était tranquille sur toutes ses frontières.

La Russie, sous le gouvernement de Catherine II, et l'Autriche sous celui de Joseph II, faisaient la guerre à la Porte-Ottomane. La Suède, alliée au sultan, occupait la flotte russe dans la Baltique, et une armée moscovite en Finlande. La république de Pologne préludait à l'établissement d'une nouvelle constitution; la Prusse était occupée à maintenir en possession de la couronne de Hollande, son allié le prince d'Orange. Enfin, les Pays-Bas venaient de déclarer leur indépendance, et présentaient un aliment aux armées de l'empereur d'Allemagne, leur ancien suzerain.

Ainsi dépourvu de toute entrave, libre au milieu de tous ces égoïsmes qui mettaient leur intérêt à l'aider, soutenu par la colère et les soulèvemens des masses affamées, l'esprit révolutionnaire poursuivit et hâta sa marche. Profitant du relâchement que l'attente des États-Généraux avait introduit dans l'administration,

et du droit d'avis que l'ordonnance de convocation donnait à chacun, il s'épancha en brochures : c'est là qu'il faut l'étudier. Parmi beaucoup de discussions et de sarcasmes qui avaient quelque intérêt seulement pour les contemporains, une pensée s'y manifeste à chaque page, pensée que résume complètement l'écrit de l'abbé Syéyès. Nous avons trois questions à faire, dit l'auteur: « 1° Qu'est-ce que le tiers-état? TouT. 2o Qu'a-t-il été jusqu'à présent dans l'ordre politique? RIEN. 3° Que demande-t-il? A y devenir quelque chose. › Syéyès ne se bornait pas à ces réponses. Ce n'était là que le titre des chapitres de son livre. « Le tiers, disait-il, est une nation complète; car que faut-il pour qu'une nation subsiste et prospère, des travaux particuliers et des fonctions publiques. Tout ce qui n'est pas le tiers ne peut se regarder comme étant la nation. Je sais qu'il est des individus en trop grand nombre, que les infirmités, l'incapacité, une paresse incurable, ou le torrent des mauvaises mœurs, rendent étrangers aux travaux de la société. L'exception et l'abus sont partout à côté de la règle, et surtout dans un vaste empire; mais au moins conviendra-t-on que moins il y a de ces abus, mieux l'Etat passe pour ordonné. Le plus mal ordonné de tous serait celui où non-seulement des particuliers isolés, mais une classe entière de citoyens mettrait sa gloire à rester immobile au milieu du mouvement général ; et saurait consommer la meilleure part du produit, sans avoir concouru en rien à le faire naître. Une telle classe est assurément étrangère à la nation par sa fainéantise. L'ordre noble n'est pas moins étranger au milieu de nous par ses prérogatives civiles et publiques, etc. >

D'autres écrivains spéculaient déjà sur les devoirs de l'assemblée. Ainsi l'avocat-général Servant demandait une déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Le duc d'Orléans publiait l'instruction qu'il adressait à ses représentans aux bailliages; et cette brochure fameuse portait pour titre : Délibérations à prendre pour les assemblées des bailliages. Il y présentait le plan à suivre dans la rédaction des cahiers, et à cette occasion il donnait son opinion sur toutes les questions qui pouvaient se présenter. Pour

la faire connaître, il suffit d'en citer les deux phrases suivantes : Que tous les priviléges qui divisent les ordres soient révoqués, -le Tiers-état est la nation. ›

Nous avons sous les yeux une brochure ayant pour titre: Résultat des premières assemblées de la société publicole tenues les 20, 24, 31 décembre 1788, et 2 janvier 1789. — C'était un de ces clubs dont la mode importée d'Amérique était devenue générale. Mais celui-ci avait pour but spécial d'éclairer les esprits, et de s'occuper d'affaires publiques dans le sens le plus libéral. Nul doute qu'une multitude de sociétés ne s'occupassent alors, ainsi que celles-ci, de débattre les questions d'intérêt social.

Les prétentions de la noblesse et celles du clergé avaient échoué contre la volonté du conseil du roi dans l'assemblée des notables; mais le privilége n'était pas vaincu, et il vint essayer ses forces sur la place publique. Il s'attaqua aux ordonnances de convocation elles-mêmes. Les premières résistances éclatèrent dans des provinces privilégiées, dans des pays d'États, en Franche-Comté et en Bretagne.

En Franche-Comté, les États composés des trois ordres assemblés à Besançon, selon l'ancienne coutume, délibérèrent sur l'exécution de l'ordonnance du 24 janvier. La chambre du tiers vota pour que, selon les dispositions de l'ordonnance, les députés fussent élus par bailliages (il y en avait quatre dans la province), et que le tiers nommât autant de représentans que les deux ordres réunis.

Les deux chambres supérieures se partagèrent: les uns se rangeant de l'avis du tiers; les autres voulant que les représentans fussent élus par les États-Généraux de la province; toute la haute noblesse et tout le haut clergé étaient dans cette opinion. Ils espéraient par ce moyen obtenir la majorité pour les hommes de leur caste. Les deux partis protestèrent contre les prétentions de leurs adversaires. Le parlement se jeta dans la querelle il appuya les exigences aristocratiques, et cassa la protestation du tiers, par un acte du 27 janvier, qui a été conservé. Il est précédé de considérans qui nous révèlent les sen

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