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les intérêts de l'Autriche bénéficieraient peu de cette circonstance, et que le déplacement de l'axe politique dans la Grande-Bretagne aurait seulement pour effet de hâter la conclusion d'une paix dont le besoin devenait général, étant donnée la lassitude des combattants.

Cette paix fut faite à Utrecht, le 11 avril 1713, entre les diverses puissances, sauf l'Empereur qui n'avait voulu prendre aucune part directe aux conférences. Six traités furent signés le même jour.

La paix d'Utrecht consacra dans le chef de Philippe IV l'avènement des Bourbons au trône espagnol, à la condition que les deux couronnes de France et d'Espagne ne pourraient jamais être réunies, et que les possessions de cette dernière puissance dans le reste de l'Europe passeraient sous une autre souveraineté. Elle reconnut aussi l'avènement de la Maison d'Autriche à la souveraineté de nos provinces. Mais loin de stipuler la remise des PaysBas espagnols entre les mains de ses futurs maîtres, le traité conclu entre la France et la Hollande consacra la remise aux Seigneurs États-Généraux, en faveur de la Maison d'Autriche », de tout ce que la France possédait encore des Pays-Bas, tels que le roi Charles Il les avait possédés ou avait dû les posséder en vertu du traité de Ryswick. Il ajouta, pour plus de précision, que la Maison d'Autriche entrerait en possession « aussitôt que les Seigneurs États-Généraux seront convenus avec elle de la manière dont les dits Pays-Bas espagnols leur serviront de barrière et de sûreté ».

Ainsi la Hollande obtenait, cette fois de la France elle-même, la reconnaissance de sa garantie-barrière et s'installait en même temps dans la meilleure position pour dicter ses lois à l'Autriche. Celle-ci, malgré qu'elle

en eût, fut bientôt obligée de cesser la guerre avec la France.

La convention de Rastadt, négociée le 6 mars 1714 et convertie en paix solennelle signée à Bade, le 7 septembre de la même année, fut conclue sur les bases des traités d'Utrecht. Ces deux traités constatent à leur tour la cession de nos provinces faite à la Hollande, en faveur de la Maison d'Autriche, en subordonnant l'entrée en jouissance de celle-ci aux « conventions à faire avec les Seigneurs États-Généraux touchant leur barrière ». (Art. 19 et 21.) Par ces dispositions, l'Autriche elle-même accédait à ce qui avait été fait à Utrecht par la France et se trouvait face à face avec le possesseur attitré des Pays-Bas, forcée enfin de négocier avec lui, avant toute remise de nos provinces, l'organisation de la garantie-barrière.

Nous sommes arrivés à la quatrième et dernière étape de la politique hollandaise cherchant sûreté hors du territoire hollandais.

6. La Barrière dans le traité d'Anvers.

Le nouveau et troisième traité rendu nécessaire par les conventions que nous venons de faire connaître, fut conclu à Anvers, le 15 novembre 1715, entre les deux puissances intéressées, sous la médiation et avec la garantie de l'Angleterre. Les conditions de ce traité, entre associés de la Grande-Alliance, semblent autant de capitulations dictées à un ennemi vaincu, frappant nos provinces, laissées en quelque sorte sans défense entre l'enclume hollandaise et le marteau anglais.

C'est d'abord le droit de garnison exclusive à Namur,

Tournai, Menin, Furnes, Warneton, Ypres, dans le fort de Knocke, et le droit de garnison commune à Termonde, avec la faculté de faire réparer et améliorer les fortifications des villes de barrière, sous la seule réserve de ne pas employer dans les places « des troupes qui, bien qu'à la solde hollandaise, pourraient être d'un prince ou d'une nation qui soit en guerre ou suspect d'être dans des engagements contraires aux intérêts de Sa Majesté Impériale et catholique ».

C'est d'autre part la détermination du nombre des troupes d'occupation de la Belgique : en temps ordinaire, trente à trente-cinq mille hommes, dont l'Autriche fournira les trois cinquièmes, la Hollande les deux cinquièmes, avec faculté pour celle-ci de diminuer son contingent proportionnellement aux réductions opérées par celle-là; en cas de guerre, fixation des contingents respectifs d'après convention.

C'est encore sous réserve de ne pas s'immiscer dans les affaires civiles, l'autonomie militaire et judiciaire des troupes d'occupation dans les villes de barrière (art. 6, 7) avec libre exercice de leur culte partout où elles se trouveront en garnison, sauf à ne pas donner marque extérieure d'église aux lieux de réunion protestante.

C'est encore nombre d'autres privilèges en matière de passage de troupes, de transport de munitions, de messageries, etc.

C'est aussi la faculté de faire réparer et améliorer les remparts des villes de barrière, sauf à prendre, pour la construction de nouvelles fortifications, l'avis du gouverneur général des Pays-Bas.

C'est ensuite,« pour mieux assurer la frontière des États-Généraux », d'une part la démolition du fort de

Roodenhuysen, à deux lieues au nord de Gand, ainsi que le démantèlement de Liége et de Huy, d'autre part des concessions territoriales dans le haut quartier de Gueldre et la cession en Flandre de tels forts et de telle partie du territoire dont les États Généraux auront besoin pour faire les inondations riveraines et « se bien couvrir jusqu'à la mer »; de plus, en cas d'attaque de la barrière, la remise aux États Généraux du fort de La Perle et des écluses.

C'est de même, pour le cas de guerre et d'entrée de l'ennemi en Brabant, le droit d'occupation de la vallée du Démer, depuis l'Escaut jusqu'à la Meuse, avec le droit d'inondation dans la mesure de la raison de guerre.

C'est en outre le paiement annuel, à titre de subside, pour l'entretien de la barrière, d'un million deux cent cinquante mille florins, somme hypothéquée sur tous les revenus des Pays-Bas et spécialement sur les revenus les plus clairs des provinces de Brabant et de Flandre, et sur ceux des châtellenies et dépendances cédées par la France.

Ce n'est pas tout il faut ajouter à ces clauses la reconnaissance d'une dette de près de huit millions contractée par Charles III et bénévolement acceptée par l'Autriche sur le refus de l'Espagne; l'approbation donnée à une autre dette de plus de quatre millions pour emprunts contractés par les deux puissances maritimes pendant leur administration provisoire; une confirmation nouvelle du traité de Munster qui avait décidé la fermeture de l'Escaut; enfin, la ratification, par l'Empereur, des actes administratifs pris par ses bons et loyaux alliés, ainsi que l'engagement de ne rien changer jusqu'à ce que les puissances en conviennent autrement par un

traité de commerce à faire le plus tôt qu'il se pourra (et qu'on ne fit pas) aux tarifs ruineux pour le commerce belge introduits sur réquisition du ministère anglobatave durant sa gestion intérimaire.

Ce n'est pas tout encore pour que le traité fût odieux jusque dans les détails de son exécution, un article séparé, en opérant la répartition du subside, autorisait la République, en cas de retard, à « procéder aux moyens de contrainte et d'exécution par voies de fait contre les receveurs et même contre les États des provinces hypothéquées »>.

Telles sont d'ensemble les dispositions du dernier traité de la Barrière. Les réclamations de la Belgique une fois encore sacrifiée, aboutirent à quelques concessions concernant le déplacement de l'hypothèque, le montant de la dette, la cession territoriale, consignées dans la convention du 22 décembre 1718.

Le reste fut impitoyablement maintenu. Le grand pensionnaire Heinsius n'avait-il pas dit déjà, depuis plusieurs années, à une députation des États de Brabant, au moment où elle prenait congé : « Souvenez-vous, Messieurs, que vous avez été conquis (1)! »

La Hollande tenait donc enfin, de droit, sa garantiebarrière. Elle campait, de par les traités, dans la Belgique expropriée du droit de se défendre elle-même. Avant de prendre possession de ses États, le souverain des PaysBas autrichiens abdiquait, entre les mains des États Généraux, une portion de l'indépendance nationale, la

(1) Reg. aux résolutions des États de Brabant: procès-verbal du 26 janvier 1713.

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