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CHAPITRE III. ·

L'essai de Constitution internationale de la Belgique fondé sur la fusion forcée des intérêts belges et hollandais, subordonnés à un intérêt européen. Le royaume des Pays-Bas.

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Le système de la Barrière de 1715 était bizarre, vicieux, odieux : il devait disparaître. L'idée même de barrière appliquée à la Belgique était juste à certains égards elle devait survivre à la fausse application qui en avait été faite.

A un siècle de distance, année pour année, les traités de 1815 devaient consacrer la réalisation, par d'autres moyens, de la pensée mère qui avait servi de point de départ au traité de 1715.

Ici encore, c'est à la suite d'une grande crise d'équilibre causée par la France et portée à son paroxysme par Napoléon, que fut préconisée la nécessité d'approprier la Constitution internationale de la Belgique à une fonction européenne de préservation contre des retours belliqueux offensifs, et à une mission de paix générale.

La reconstitution de l'Europe en 1815.

Napoléon avait fait la guerre à tous les États européens. Dans ce duel gigantesque entre le génie d'un homme et la puissance d'un monde, l'Europe, plus d'une fois enchaînée et terrassée, devait finir par briser ses fers et par écraser son dominateur éphémère, trop insatiable de gloire et de conquêtes pour faire œuvre durable.

En chassant devant elles, dans leur marche vers la capitale de la France, les débris des armées françaises, en pénétrant sur le territoire des nations tenues sous le joug impérial, les puissances alliées déclaraient qu'elles ne faisaient pas la guerre aux peuples, mais à l'ennemi du repos de l'Europe; qu'elles ne voulaient pas de conquêtes, mais le rétablissement sur ses bases conservatrices de l'ordre public européen.

Faisant son entrée à Bruxelles, le duc de Saxe-Weimar promettait aux Belges, dans sa proclamation, une «< indépendance qui désormais n'était plus douteuse ». Les peuples avaient entendu la voix des souverains coalisés et, après tant d'épreuves, renaissaient à l'espérance en attendant la reconstitution de la société internationale.

Le but général assigné par les alliés à cette reconstitution, c'était « une juste répartition des forces européennes, l'établissement d'un équilibre réel et durable ». La fin spécialement poursuivie en commun par eux était le cantonnement solide de la France dans ses anciennes frontières. Les visées ultérieures consistaient dans les avantages à retirer par chacun des combinaisons à élaborer; ces visées étaient assez divergentes.

Les bouleversements, les usurpations, les injustices avaient altéré la face de l'Europe. Il était nécessaire que les puissances se concertassent sur les arrangements que réclamait cette situation. Ces arrangements ne pouvaient manifestement consister dans la mise en une sorte de masse commune des territoires et des peuples, et dans leur partage suivant certaines proportions. Ils devaient, prenant pour point de départ la conservation des droits existants et le rétablissement des droits violés, s'attacher à réaliser, dans l'ordre des combinaisons légitimes, un

équilibre qui, après la justice, était le premier besoin du monde européen. C'était le seul moyen pour les puissances de ne pas commettre elles-mêmes les crimes qui avaient justifié leur intervention et couvert l'Europe de ruines, le seul moyen de ne pas compromettre leur œuvre en ouvrant la voie à de nouveaux bouleversements.

Les grands États alliés contre la France et mis en goût de profits personnels, ne se plaçaient pas précisément à ce point de vue. La question de la reconstitution de l'ordre social européen se confondait trop pour eux avec la question du « partage entre les vainqueurs des dépouilles enlevées au vaincu (1) ». Sur ce terrain, le déchaînement des convoitises devait être très violent. Des conflits menaçaient d'éclater et de renouveler entre les principaux intéressés les horreurs de la guerre. On préféra toutefois aux collisions où la force eût décidé, les collusions où la justice fut souvent méconnue et dont les petits firent les frais.

Un des grands États, que le malheur et un désintéressement forcé semblaient rendre en cet instant clairvoyant autant qu'habile (2), fit entendre des paroles qui sonnèrent au Congrès de Vienne comme la voix vivante de la conscience internationale : « Les principes de l'équilibre politique, ce sont les principes conservateurs des droits de chacun et du repos de tous. L'Europe, par tant de maux, par tant de larmes, par tant de sang, n'a que trop

(1) GENTZ, voy. les Mémoires de Metternich, t. II,

p. 474.

(2) ALBERT SOREL, Essais d'histoire et de critique. II. Talleyrand au Congrès de Vienne, p. 55. Voy. ID., Le Congrès de Vienne, dans l'Histoire générale par LAVISSE Et Rambaud, t. X.

chèrement acheté le droit de maudire et de proscrire ces maximes que les peuples n'ont aucun droit distinct de ceux de leur souverain; que la souveraineté s'acquiert et se perd par le seul fait de la conquête; que la confiscation d'un royaume est moins odieuse que celle d'une chaumière; en un mot, que tout est légitime à qui est le plus fort. » Ces paroles, sans autorité et sans appui extérieur, inspirées à Talleyrand par une justice de circonstance, et qui répondaient plus aux besoins momentanés de la politique française et aux sentiments des peuples qu'aux tendances universelles de la diplomatie, devaient être facilement dominées par d'autres voix impérieuses réclamant, qui la Pologne, qui la Saxe, ou par des voix plus insinuantes, mais trahissant bien la traite des peuples en dépit des exigences du droit historique : « Qu'on me laisse ma part d'Italie et je fais bon marché des PaysBas.» «Donnons les Pays-Bas à la Hollande. »

C'est en Angleterre qu'avait germé le dessein de profiter de la réorganisation internationale de l'Europe pour constituer, par la réunion des anciens Pays-Bas autrichiens à la Hollande, une nouvelle et solide barrière contre la France.

Le fils du dernier stadhouder de Hollande, le prince Guillaume-Frédéric, qui jouissait depuis plusieurs années de l'hospitalité anglaise, était appelé par la prévoyance britannique à jouer un rôle capital dans cette combinaison, dont William Pitt et lord Castlereagh furent les plus ardents promoteurs. Le soulèvement de la Hollande et bientôt l'entrée triomphale de Guillaume à La Haye allaient faciliter la réalisation du projet caressé par la Grande-Bretagne.

Les plans de fusion des deux États se sont développés dans deux séries d'actes diplomatiques, les uns secrets, les autres publics. Les premiers ont précédé de longtemps les seconds. Nous allons essayer de les suivre à la trace.

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Pendant que Napoléon, couronné empereur, s'acheminait vers l'Italie dans le dessein de poser sur sa tête la couronne de fer des rois lombards, méditant toujours l'exécution de son grand projet de descente en Angleterre, au moment où il venait d'exposer, dans une séance solennelle du Sénat impérial, tenue le 17 mars 1805, ce qu'il appelait << toute sa pensée », concernant l'aménagement des conquêtes françaises en Allemagne, en Hollande, en Suisse et en Italie, un traité de concert conclu le 11 avril 1805 à Saint-Pétersbourg entre la Russie et l'Angleterre avec accession de l'Autriche, préludait à l'organisation de la troisième coalition européenne contre la France. Dans ce traité, les hautes parties contractantes, «< animées du désir de rendre à l'Europe la paix, l'indépendance, le bonheur dont elle est privée par l'ambition démesurée du gouvernement français », convenaient «< d'employer les moyens les plus prompts et les plus efficaces pour former une ligue générale des États de l'Europe, et pour les engager d'accéder au présent concert, et de réunir, pour en remplir le but, une force qui, indépendamment de celles que S. M. Britannique fournira, puisse monter à 500,000 hommes effectifs, et de l'employer avec énergie pour amener de gré ou de force le gouvernement français à sous

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