Page images
PDF
EPUB

2.

L'individualité politique

et la personnalité internationale du pays.

Notre histoire ne constate pas seulement chez nos ancêtres le tempérament d'un peuple qui veut et sait rester lui-même à travers les siècles et sous toutes les dominations. Lorsqu'on brise l'enveloppe des systèmes inventés par les savants pour parquer les institutions, lorsqu'on va au fond des choses et que l'on atteint la réalité de la vie publique dans notre ancienne Belgique, on se trouve, dès l'ère bourguignonne, en présence de principautés diverses mais sœurs, groupées autour d'un foyer où la nationalité belge, élaborée de longue main, cimentée par l'unité de culture intellectuelle et morale comme par une certaine solidarité économique, consolidée par la possession commune de nombreux privilèges, dotée d'institutions organiques centrales et d'une législation édictale visant l'ensemble du pays, fortifiée de bonne heure par l'institution d'États Généraux, apparaît non seulement comme possédant en fait une véritable continuité de vie, mais encore comme juridiquement constituée dans des conditions qui assurent l'individualité politique et la personnalité internationale du pays.

Pour mettre ce point en pleine lumière, il convient de porter successivement notre attention sur la notion de l'État dans sa claire et ferme essence juridique, et sur la forme en laquelle s'est historiquement individualisée chez nous cette essence.

Il n'y a point d'État sans la réunion de ces trois éléments un territoire, une population groupée dans l'ordre de la vie publique, un gouvernement régulateur

en chef de cette vie en vue de quelque bien commun. Et ce sont précisément les combinaisons auxquelles peut donner lieu l'aménagement organique de ces trois facteurs soit entre eux soit dans leurs rapports communs avec les autres organismes de même nature, qui donnent aux États une physionomie juridique propre au double point de vue national et international. Dans leur économie interne, ces combinaisons comportent tous les accommodements compatibles avec l'existence, sous quelque forme et à quelque degré, d'une certaine centralisation gouvernementale. Dans leur rayonnement externe, elles admettent toutes les modalités conciliables avec l'existence de personnalités internationales distinctes. La vivante richesse des formes de la vie sociale déborde facilement les classifications théoriques trop étroites. Il convient de se rappeler que les institutions sont faites pour régir les hommes et non les hommes pour être catalogués dans les institutions: hominum causâ omne jus constitutum esse (1); non ex regula jus sumatur sed ex jure quod est regula fiat (2).

Envisagé dans sa constitution intime, le type d'organisation politique formé par nos anciennes provinces se présente à nous comme un «< État de principautés >> composé de petites souverainetés groupées successivement sous une hégémonie commune, et dont la centralisation gouvernementale, ramenée en principe à la convergence dans un seul chef de la variété des pouvoirs possédés

(1) HERMOGÉNIEN, L. 2, De statu hominum, 1, 5. (2) PAUL, L. 1, De Re J., 50, 17.

divisément par ses prédécesseurs princiers, se traduit en fait par une direction politique unique adaptée à un intérêt d'ensemble, et harmonisée avec la part variable d'intervention que les constitutions des diverses principautés ont conservée aux gouvernés dans l'exercice de la puissance publique.

Toute limitée qu'elle demeurât en fait et en droit à ce dernier point de vue, l'association politique qui reliait entre elles nos anciennes provinces dans la personne d'un chef unique ne conserva point cependant le simple caractère d'un événement historique, accidentel de sa nature. Elle prit le caractère d'une communauté permanente et juridique, constitutionnellement reconnue comme telle par les éléments qui la composaient en vertu de leur adhésion à la Pragmatique; ayant pour objectif un nombre très saisissable, quoique restreint, d'intérêts d'ensemble, tels que la défense commune; longtemps accusée, quant à l'exercice de la fonction gouvernementale dans cet ordre, par l'action combinée du Prince et des États Généraux. Sans confisquer l'individualité des principautés, cette communauté devint le support naturel d'une personnalité collective propre appelée à prendre position dans le monde des États. C'est ainsi que considéré dans sa vie de relation avec les autres sociétés

politiques, le type d'État constitué par nos anciennes provinces offre le caractère d'une personne de droit international, nettement distincte des autres souverainetés de droit des gens, encore que rattachée à certaines d'entre elles par des liens de droit public dont nous préciserons bientôt la teneur et la portée.

3.

La Constitution historique de la patrie.

Vers la fin de son règne, Philippe le Bon avait réuni dans sa personne les titres de duc de Bourgogne, de Lothier, de Brabant et de Limbourg, comte de Flandre et d'Artois, palatin de Hainaut, de Hollande, de Zélande et de Namur, marquis du Saint Empire, seigneur de Frise, de Salins et de Malines. L'histoire nous a conservé, sous la forme d'avis d'un conseiller du grand Duc, un document que l'on a pu appeler le programme d'un gouvernement constitutionnel en Belgique au XVe siècle. Le prince devait «< assembler selon l'usance et manière de ses pays les notables tant d'église, nobles comme bonnes villes »>, leur demander les ressources nécessaires à la création d'une armée permanente, leur exposer « qu'il est à tout conclu et délibéré de ce jour en avant de se gouverner par conseil esleu, par raison et justice, et espargnier et défendre son peuple comme bon prince droiturier est tenu de faire ». Le prince devait assurer la fidélité des membres de ce conseil en leur faisant prêter le serment de n'avoir égard à aucune considération étrangère à l'État. Ils seraient au surplus justiciables des États du pays (1). Ce plan fut loin d'être suivi par Philippe le Bon et surtout par Charles le Témé

(1) BULL. DE L'ACAD. ROY. DE BELGIQUE, 2e sér., t. XIV, pp. 218 et suiv. Voy. QUOIDBACH, Mémoire historique sur la persistance du caractère national des Belges, couronné par l'Académie, 1877, p. 75.

raire. Le duc Philippe convoqua cependant, en 1465, à Bruxelles, les États Généraux de tous ses pays, pour assurer l'intégrité de sa succession à son fils et pour obtenir une aide destinée à soudoyer une armée qu'il envoyait en France.

A la mort de Charles le Téméraire, les États Généraux, convoqués par Marie de Bourgogne, exercèrent en réalité le pouvoir souverain, ordonnèrent qu'il fût levé des troupes, envoyèrent des ambassadeurs à Louis XI et se firent concéder le Grand Privilège de 1477, premier acte constitutionnel concernant l'ensemble des provinces. C'est de cette époque que datent également les premiers privilèges collectifs des États de Flandre, de Hollande, du Namurois et pour les États de Brabant une Joyeuse Entrée plus développée que les précédentes : actes constitutionnels où s'accuse une réaction particulariste provoquée par les procédés de la Maison de Bourgogne tendant à réaliser l'unité politique par la prépondérance absolue de la prérogative du prince.

Sous les règnes de Maximilien et de Philippe le Beau, les États Généraux furent assez souvent réunis, sur convocation du prince, pour discuter les plus grands intérêts du pays; et pendant la minorité de Charles-Quint leur influence ne fit que s'accroître. « Les actes des États Généraux de Belgique se rattachent pendant deux siècles à tous les grands événements de son histoire, à toutes les questions importantes de son droit public; on y voit les mandataires de la nation statuer sur la régence du pays, sur la tutelle du prince et son émancipation, participer à la confection des lois, intervenir, avec l'assentiment des souverains, dans les négociations diplomatiques,

« PreviousContinue »