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On ne connaît alors aucun emploi productif du capital, si ce n'est dans des cas tout particuliers. L'idée de consommation est si étroitement liée à celle d'argent que lorsque la somme remise ne doit pas être absorbée par l'usage, ainsi qu'il arrive d'un capital prêté pour servir de cautionnement, la perception d'une indemnité est autorisée (1). Ce capital est alors considéré comme loué : « Materia commodationis quod non consumitur. » (Saint Thomas.)

Même au temps de Bossuet, c'est exceptionnellement que l'argent rapporte « d'autres profits que d'être comptant dans les coffres (2), » et d'y rester à la disposition de son possesseur. Nous devons pourtant ajouter que l'activité du capital est prévue par les moralistes quand le prêt doit entraîner une perte ou une cessation de bénéfices, tous les auteurs ont enseigné la nécessité d'exiger au nom de la justice un dédommagement pour le prêteur.

Combien est différent le rôle de l'argent aujourd'hui! Un capital ne s'emprunte plus, du moins dans le cas général qui nous occupe, pour être directement dépensé, l'usage auquel il est destiné ne ressemble en rien à sa consommation pure et simple; il fournira à l'agriculture les amendements et les engrais nécessaires pour rendre au sol la richesse que des siècles de culture ont épuisée ; il donnera à l'industrie les machines qui décuplent la force et la vitesse du bras humain; il devient le premier instrument du travail dans les conditions que nous ont faites la vapeur et l'électricité.

Cette fin productrice est tout spécialement celle de l'argent apporté à la Bourse.

L'or est aujourd'hui si vivement et si universellement réclamé que l'on ne trouve plus d'avantage à garder un capital comptant, dans des coffres, » que la plus petite monnaie versée dans les caisses d'épargne produit des intérêts et que nul ne prète plus, à moins de vouloir faire un acte de charité, sans exiger de son débiteur l'équivalent du bénéfice que le placement de son argent lui eût assurément rapporté.

Envisagé sous cet aspect, l'argent n'est donc plus l'objet du prêt il devient l'objet d'un vrai contrat de louage. Locatio definitur contractus onerosus quo usus vel

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Summa sancti Thomæ, Tomus IV De Mutuo et Usurâ,
Traité de l'Usure.

fructus rei traditur ad certum tempus pro pretio. » (Billuart. De Locatione.)

Un capital n'étant pas une entité mais un total d'unités monétaires, et le capital devant se trouver exactement rendu dès qu'une somme d'unités équivalentes sera remise au prêteur, la totale propriété de l'objet reste garantie au bailleur par le titre qui lui est cédé en échange de ses espèces. Seul, le produit qui sera donné par l'argent est acquis par le locataire pour une durée fixée d'avance et sous promesse de certains intérêts payables annuellement. Aucun engagement n'oblige d'ailleurs le propriétaire des titres créés par cette opération à garder cette valeur en aain: il peut donc à toute époque la vendre contre de l'argent comptant.

Il peut encore la céder à un prix convenu sous la condition de ne la livrer qu'à un terme déterminé, sans que les variations possibles du prix de cette valeur puissent entacher la légitimité de son marché.

Aucun principe de morale ne lui interdit de conclure cette vente en laissant à son acheteur le droit, une fois le terme échu, de tenir son marché ou d'y renoncer, moyennant un certain abandon d'argent.

Ces trois opérations sont : le marché ferme, le marché à terme et le marché à prime, tels qu'ils se pratiquent à la Bourse.

Le capitaliste qui place son argent en report apporte le numéraire nécessaire pour solder ces divers achats; il loue son or et se trouve, au point de vue de la moralité de ses actes, dans la situation des acheteurs et des vendeurs au comptant et à terme.

Le cadre de cette étude sommaire ne nous permet pas d'exposer en détail les avantages que donne au commerce et à l'industrie le pouvoir de transformer rapidement des valeurs mobilières en capitaux disponibles, ou inversement de changer pour quelques mois de l'argent comptant en titres qui rapportent un intérêt immédiat. Nous ne pouvons qu'indiquer l'impossibilité de réunir ailleurs qu'à la Bourse les formidables masses de numéraire réclamées pour les grands travaux modernes. Il est, d'autre part, indispensable, pour une nation comme la nôtre, de ne pas dépendre d'un marché étranger dans le cas des emprunts que rendent inévitables les frais d'une guerre. Il nous suffit ici de montrer qu'en principe les opérations de Bourse sont légitimes et qu'elles sont expliquées par le rôle nouveau de l'argent dans le système économique contemporain.

XIIe-I

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Les conditions requises, pour qu'une location ou une vente quelconque soient faites avec équité, devront être évidemment remplies dans toutes les affaires de Bourse :

1o La première de ces conditions est que la cession ait lieu à juste prix, et la juste valeur d'une marchandise est celle qui lui est assignée par l'ensemble des acquéreurs. Ainsi est-il fait à la Bourse;

Le prix peut d'ailleurs être faussé par le bailleur qui rachèterait lui-même l'objet offert, le ferait demander par des preneurs fictifs ou par l'acheteur qui accaparerait des marchandises, et, pour en diminuer la valeur, les jetterait en grande quantité sur le marché;

2o La vente exige, enfin, que l'objet proposé ait réellement les qualités qu'il est dit ou même qu'il paraît avoir.

Des considérations qui précèdent découle, pour le législateur, l'obligation d'étudier deux sortes de lois les unes qui assurent la juste et pleine liberté d'échanges utiles, ou plutôt nécessaires à la prospérité matérielle et à l'indépendance de l'Etat; les autres, qui punissent les fraudes à la Bourse comme sur tout autre marché. Le rôle créé à l'argent diffère absolument aujourd'hui de ce qu'il était jadis il est nécessaire que la loi le reconnaisse, et, qu'en proclamant la légitimité des opérations honnêtement faites, elle ouvre en droit une voie qu'elle laisse suivre en fait.

AUGUSTIN BLANCHET, Ingénieur des Arts et Manufactures.

LA PROPRIÉTÉ MOBILIÈRE.

La propriété mobilière a pris depuis le commencement de ce siècle un développement considérable. Deux causes principales paraissent avoir produit ce résultat : les combinaisons fiscales et le grand développement de l'industrie et du commerce.

D'immenses progrès ont été réalisés depuis un siècle. dans l'application des sciences à l'industrie, en même temps que les nouveaux moyens de communication fournissaient des débouchés pour la production industrielle et donnaient au commerce une énorme activité. De grands bénéfices ont été réalisés.

Depuis la fin du premier Empire jusque vers 1865, l'agriculture a été prospère, des bénéfices ont été aussi réalisés de ce côté et les fermages se sont beaucoup accrus. Pendant la première moitié de ce siècle, une partie des bénéfices servait à fonder ou à augmenter des établissements d'industrie ou de commerce; une autre partie était employée à l'achat de fonds de terre. Le prix de la terre s'était considérablement élevé ; il atteignait son maximum vers 1850. Vers cette époque, des modifications apportées au service des rentes sur l'Etat en rendirent l'accès plus facile aux campagnes, puis vinrent les emprunts du second Empire, les emprunts des compagnies de chemins de fer et plus tard d'innombrables sociétés anonymes de tout genre et de toute valeur. L'épargne se lança dans cette voie nouvelle et s'éloigna de plus en plus de la terre. Nous avons à rechercher les causes de ce fait.

La première est le régime fiscal. Il est, en effet, facile de voir que les charges qui grèvent la propriété immobilière et surtout la propriété rurale sont incomparablement plus fortes que celles qui grèvent la propriété mobilière. Outre l'impôt foncier et celui des prestations, les droits de mutation, d'hypothèque, de greffe, d'enregistrement pèsent pour la plus grande partie sur la propriété immobilière; tandis que la propriété mobilière ne supporte que l'impôt assez léger qui lui est spécial et le droit de mutation par décès auquel encore on peut quelquefois échapper.

A ces avantages au profit de la propriété mobilière, il faut encore ajouter, du moins pour les principales valeurs, celui d'un paiement semestriel ou trimestriel très exact et la facilité de vendre et d'acheter, c'est-à-dire d'engager et de dégager son capital en totalité ou en partie instantanément et sans frais.

Ce n'est pas tout encore. Pendant que l'industrie faisait des progrès énormes et que le commerce prenait un grand développement, l'agriculture marchait avec beaucoup plus de lenteur. Ce n'est pas que la science agricole soit restée stationnaire depuis cinquante ans, mais ses progrès, quoique très considérables, ne sont encore entrés que pour une très faible proportion dans la pratique courante. Il serait trop long d'en expliquer les motifs, je me bornerai à en indiquer un c'est que les intelligences et les capitaux se sont portés de préférence vers l'industrie et le commerce qui donnaient des bénéfices plus grands. Ce mouvement s'est encore accentué à partir de 1865, époque à laquelle la prospérité de l'agriculture a commencé à décliner.

Ön surcharge la terre d'impôts et en même temps on ouvre la porte à la concurrence étrangère, sous prétexte que l'on ne doit pas imposer les vivres on n'a pas com

pris que l'impôt sur la terre est un impôt sur le pain. Des capitaux considérables auraient pu être employés à l'amélioration du sol; le régime fiscal leur a fait prendre une

autre route.

Voyons maintenant les conséquences de cet état de choses.

Les bras ont suivi les capitaux et se sont entassés dans les villes, surtout dans les villes industrielles, et je n'ai pas besoin de rappeler tous les inconvénients moraux et même matériels résultant de ces agglomérations.

Quand on a amélioré le sol, il y a un résultat acquis, une augmentation de production qui se maintiendra indépendamment des circonstances économiques, des révolutions, des guerres même. Il n'en est pas ainsi des valeurs mobilières. Les rentes sur l'Etat sont une valeur fictive qui ne repose que sur le crédit public. Or une guerre, une révolution, un ensemble de circonstances économiques peuvent ruiner ce crédit. La valeur des actions des chemins de fer est basée sur la continuation d'une certaine prospérité; supposez que les recettes viennent à baisser d'une manière permanente de 20 pour 100, ce qui n'a rien d'impossible, quel serait le revenu des actionnaires et la valeur des actions? Je parle des meilleures valeurs, on comprend ce que seraient les autres.

Les gouvernements qui se sont succédé en France depuis quarante ans ont commis une faute très grave en favorisant outre mesure la fortune mobilière, surtout les valeurs de Bourse, aux dépens de la fortune rurale.

Aujourd'hui notre industrie voit chaque jour ses débouchés diminuer par suite de la concurrence étrangère, notre commerce décline, notre agriculture est dans un état des plus fâcheux. La situation ne fera que s'aggraver rapidement si l'on n'y porte remède. Or le remède le plus efficace serait un changement considérable dans notre système financier réduction importante du budget des dépenses, amortissement sérieux de la dette, meilleure répartition des charges publiques.

A. DE VILLIERS DE L'ISLE-ADAM,

Avocat au Mans, Bâtonnier.

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