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minels, il sera déclaré complice, on lui rappellera que l'article 291 est abrogé et pour avoir « loué ou prêté sa maison à une section d'association prohibée » il paiera une grosse amende et pourra, pendant six mois, faire, entre quatre murailles, des réflexions utiles sur les libertés nécessaires.

Quant aux biens et valeurs appartenant aux membres de la communauté, ils seront confisqués.

Il serait du reste puéril de penser que jamais une autorisation sera accordée à une congrégation religieuse. Les motifs invoqués par le gouvernement pour exiger l'autorisation, lui interdisent de l'accorder.

Voici ces motifs tels que les donne l'exposé dont le ministre a fait précéder son projet :

«Notre droit public, toutes les constitutions républicaines ont à maintes reprises proscrit tout ce qui constituerait une abdication des droits de l'individu, une renonciation à l'exercice des facultés naturelles de tous les citoyens, au droit de se marier, d'acheter, de vendre, de faire le commerce, d'exercer une profession, de posséder, en un mot, tout ce qui ressemblerait à une servitude personnelle. De là vient que tout engagement personnel doit être temporaire, et que, même temporaire, il ne peut être absolu, porter sur l'ensemble des droits de la personne.

« L'association qui reposerait sur une abdication de cette nature, loin de tourner au profit de chacun de ses membres, tendrait directement à le diminuer, sinon à l'anéantir.

» Or, tel est le vice de la congrégation proprement dite, elle n'est pas une association formée pour développer l'individu, elle le supprime, il n'en profite pas, il s'y absorbé. Ce renoncement est assez hautement proclamé par la constitution de la plupart des Ordres Monastiques, pour qu'une société vigilante, soucieuse de sa conservation, ne se désintéresse pas de leur formation, de leur développement. »

Vous avez bien lu. Le vice de la congrégation religieuse c'est qu'elle n'est pas faite pour développer l'individu, mais pour le supprimer. Cette niaiserie, dédaigneusement bannie depuis longtemps de toute discussion sérieuse est remise en circulation par un ministre de la république, avec la garantie du gouvernement. Nous savons, désormais, qu'il existe deux catégories d'individus, les « supprimés »>< et les développés. » Tous les religieux, Bénédictins, Jésuites, Dominicains et autres, tous, savants, écrivains, philosophes, orateurs, sont compris dans la première. Au contraire tous nos politiciens laïcisants, n'étant, on le sait, liés par aucun vou de pauvreté ni de chasteté, sont de plein droit dans la seconde. Rien ne fait obstacle au « développement » du Président de la République et du ministre de l'intérieur, mais Ravignan et Lacordaire n'ont été, dans leur temps, que des « individus supprimés. >>

Voilà dévoilé et jugé par un contraste saisissant, le vice de la congrégation.

Il est donc bien naturel qu'une « société vigilante, soucieuse de sa conservation » ne se désintéresse pas de la formation de ces congrégations vicieuses,et le plus simple n'est-il pas de les interdire? Un état libéral ne saurait permettre à l'individu d'abdiquer ses droits, de renoncer à l'exercice de ses facultés naturelles. La loi protégera le religieux contre lui-même. Et, pour l'obliger d'être libre, (le mot est de Rousseau) elle l'emprisonnera au besoin. Que peut-on raisonnablement exiger de plus ?

On croit rêver quand on se trouve en face de ces réalités monstrueuses.

Voici des citoyens français, électeurs, éligibles, jouissant de tous leurs droits civils qui, ayant lu l'article premier de la loi sur les associations, déclarent vouloir « mettre en commun leurs connaissances et leur activité dans un autre but que de partager des bénéfices. » Les futurs associés font la déclaration voulue. Quel est, demande le préfet ou le maire, le but de votre association? - Nous voulons, disent les uns, nous livrer à des études philosophiques; nous sommes positivistes. Nous voulons, disent les autres, nous occuper de questions religieuses, nous sommes protestants, néo-catholiques, israélites. Peu importe, Messieurs, les opinions philosophiques et religieuses sont libres. Mais nous avons accepté un règlement qui oblige chacun de nous à subir toutes les exigences de la vie commune. - L'Etat n'a à s'occuper ni de l'emploi de votre temps ni de l'heure à laquelle il vous plaît de commencer ou de finir votre journée. Mais nous avons décidé que

notre association serait une association de célibataires. Rassurez-vous, Messieurs, vous avez le droit de choisir vos associés et je vous suis témoin que le mariage n'est pas obligatoire. Mais nous avons décidé qu'un supérieur administrerait les biens de la communauté et que nul de nous ne pourrait, tant qu'il resterait associé, s'occuper d'aucune affaire, commerciale ou autre, étrangère à l'association. Ah! ceci pourrait être plus grave. Mais ditesmoi, est-on toujours libre de se retirer de votre association ? Assurément; chacun peut à chaque instant se retirer sans qu'il lui en coûte rien. Voilà qui est parfait. Cependant, si vous demandiez au gouvernement le privilège de la personnalité civile, nous aurions à y regarder de plus près. Pas du tout, nous désirons tout simplement vivre ensemble sous le même toit, à la condition de respec

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ter les lois du pays. C'est très bien; le gouvernement ne peut pas exiger autre chose. Associez-vous donc; votre

pacte sera régi « par les principes généraux du droit applicables aux contrats et obligations. » C'est le droit commun.

C'est aussi le droit commun que nous invoquons, disent à leur tour quelques citoyens français, venus aussi pour faire une déclaration. Nous sommes catholiques et notre but est de nous associer pour prier et nous occuper, en commun, d'œuvres de charité.

Le fonctionnaire devient soucieux Permettez-moi, Messieurs, dit-il, de vous demander si vous n'auriez pas pris Dieu à témoin de vos engagements ? Nous l'avons fait, Monsieur, et sommes trop amis de la vérité pour le nier; mais oserions-nous vous demander en quoi cela peut intéresser l'Etat laïque? - En quoi? Mais ignorezvous que toutes nos constitutions républicaines ont proscrit tout ce qui constituerait une abdication des droits de l'individu?.. Ah! je vous entends, vous me dites que vous restez libres puisque nulle puissance humaine ne peut vous retenir dans des liens que votre volonté éclairée, ou votre caprice peut briser à toute heure ; vous me dites que votre personnalité civile n'est ni engagée, ni atteinte; que vous conservez tous vos droits; que l'Etat moderne ne connaissant plus les vœux pour les protéger et les rendre civile. ment obligatoires, ne peut les connaître pour les interdire; que le forintérieur est hors du domaine de l'autorité civile. Nous connaissons ces sophismes. Sachez que l'Etat, gardien des conquêtes de la Révolution, veille avec un soin jaloux à la conservation de la plus précieuse de toutes la liberté de conscience. Vous avez aliéné cette liberté. L'Etat vous la restitue. Rendez-lui grâce et n'essayez plus de cesser d'être libres, sinon vous iriez en prison. Mais ajoute timidement l'un des interlocuteurs, mais le droit commun!... Brisons-là, Messieurs, et souvenez-vous qu'il n'y a plus de priviléges.

Plût à Dieu que tout ceci ne fût qu'une plaisanterie! Mais hélas ! le péril est là, péril flagrant, péril de mort pour les Congrégations religieuses. Et qui ne prévoit le parti que la haine des sectaires pourra tirer de la disposition qui exige pour toute association entre Français et étrangers, l'autorisation du gouvernement? Quelle œuvre catholique échappera aux étreintes de cette hostile et insidieuse légalité ?

Les jurisconsultes, dont nous avons plus haut rappelé la déclaration, avaient constaté d'abord « qu'une législation pareille serait en contradiction formelle avec les principes du droit naturel et avec la doctrine catholique. » Nous nous contenterons pour le moment de l'affirmer après eux. Toute démonstration serait superflue.

Puis, se plaçant au point de vue exclusif du droit fran

çais actuel, ils signalaient toute tentative de la nature de celle qui est faite aujourd'hui comme injuste et tyrannique. Elle violerait, disaient-ils les principes essentiels de notre droit public, la liberté de conscience, le libre exercice de la religion catholique, l'égalité devant la loi.

Toutes ces affirmations saisissent l'esprit par leur évidence. Il faudra cependant les fortifier par des études approfondies qui ne laissent debout aucun des sophismes des légistes révolutionnaires. Il faut infliger la honte du cynisme de leurs contradictions, à ces libéraux qui puisent dans des édits royaux et des arrêts de parlements les textes des lois républicaines, et cherchent dans les institutions et surtout dans les abus de cet ancien régime si décrié, la justification de la tyrannie moderne.

Ah! quand les voeux solennels entraînaient la mort civile et ouvraient la succession du religieux, quand le roi, évêque du dehors, veillait à l'accomplissement des engagements de conscience et mettait au service d'une religion d'Etat les armes du pouvoir civil,on s'explique, sans l'excuser, la prétention des rois par la grâce de Dieu, de s'ingérer dans le gouvernement des monastères et de se réserver l'autorisation préalable. Mais il nous semblait que sur ces institutions, la Révolution avait passé son rude niveau, et que si les gendarmes de la République entrent dans les couvents, ce n'est plus pour y réintégrer les moines fugitifs et pour prêter main forte au Père Abbé?

Dans sa déclaration du 28 avril 1693, Louis XIV s'exprimait ainsi : Le zèle avec lequel nous employons l'autorité qu'il a plû à Dieu de nous donner, pour maintenir en toutes choses la discipline ecclésiastique, et les ordres que nous avons donnés, marquent assez le désir que nous aurions de voir observer, dans leur pureté, les règles les plus étroites qui ont été faites à ce sujet... A ces causes: nous ordonnons que les saints décrets, ordonnances et règlements, concernant la réception des personnes qui entrent dans les monastères, seront exécutés...

Pense-t-on que le Président de la République puisse tenir ce langage? Eh bien, pourquoi parler de Louis XIV si l'on ne peut parler comme lui, et quelle prétention que celle qui consiste à ne garder de l'ancien régime, pour les catholiques, que les entraves sans la protection?

Oui, quand l'autorité royale, était par son étroite union avec l'Eglise, constituée la gardienne et la protectrice des saints canons, on s'explique la tolérance de l'Eglise, on comprend qu'elle ait fermé les yeux sur quelques excès de pouvoir. Mais aujourd'hui, en face de cette attaque directe, dirigée contre les œuvres vives de l'Eglise, par un Etat qui ne lui accorde pas même les bénéfices de son indiffé

rence et de sa prétendue neutralité, aujourd'hui, le silence des gardiens de la doctrine et de la liberté religieuse, étonnerait la foi des catholiques et attristerait leur fidélité! Les promoteurs de cette entreprise sacrilège savent que le silence de Rome et de l'Episcopat est impossible, et l'on se demande s'ils croient le moment venu de provoquer une rupture, dont il semblait que la prudence opportuniste n'avait pas osé, jusqu'à ce jour, prendre la responsabilité. C'est pourquoi nous avons voulu répéter à tous ceux qui souffrent du noble souci des périls dont la justice et la liberté sont menacées, ce que nous disions il y a trois ans : Il faut que les hommes qui font profession d'affirmer le droit, s'unissent dans une protestation qui ne laisse aux entrepreneurs d'une légalité odieuse, ni l'excuse hypocrite d'une apparente bonne foi, ni la paix que, dans les temps de décadence, le silence et la résignation des gens de bien accordent aux contempteurs de la justice.

Cette protestation sera-t-elle entendue? Celui-là seul le sait qui mesure à ses serviteurs la durée de l'épreuve et donne, à qui et quand il lui plaît, la victoire. Ce que nous savons, et cela suffit, c'est qu'il nous demandera compte non du succès, mais de l'effort.

Nous savons aussi que l'iniquité des hommes appelle la justice de Dieu.

LUCIEN BRUN.

DES DEVOIRS DES CATHOLIQUES DANS LES CALAMITES PRÉSENTES

I

1. La Revue des Institutions et du droit publiait dans sa chronique du mois de juillet dernier des considérations éloquentes et patriotiques sur les devoirs imposés aux catholiques français dans les calamités actuelles.

Les idées si profondément justes qui y sont exposées nous ont suggéré la pensée d'élever et d'agrandir la question, de lui donner un caractère, pour ainsi dire, universel. Nous nous sommes rappelés que la célèbre Revue Romaine la Civiltà cattolica, avait eu la même pensée en 1871, après les désastres qui venaient de frapper Rome et le monde. Les lecteurs de la Revue nous permettront-ils de lui

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