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a 'des droits sur les biens de son mari, car si elle est pauvre et justifie qu'elle n'a pas de dot, la loi lui accorde le quart desdits biens dont elle peut disposer en faveur de qui elle voudra, en sauvant toujours la portion légitime des fils. Mais ordinairement lorsque le nombre des fils dépasse trois, si le père vient à mourir sans faire un testament, la mère renonce à son droit au quart et obtient par la loi qu'on la nomme héritière avec les fils et qu'on lui accorde une portion égale à la leur. En sorte que ce n'est que dans le cas où le père meurt intestat, et sans qu'il ait été stipulé dans le contrat de mariage un hérêtement préventif, qu'il y a partage égal des biens entre les fils. Parfois il y a des parents qui l'ordonnent dans leur testament, mais c'est très rare, parce que toujours le désir des pères est la conservation de la famille, et elle est plus facile avec la nomination d'un héritier qu'avec le partage des biens. C'est pour cela que, tandis qu'en Catalogne vous trouvez des personnes qui se transmettent de père en fils de grandes propriétés, dans la Castille vous trouverez de petites propriétés qui sont possédées par un grand nombre de personnes. En effet, dans cette partie du royaume, le père ne peut disposer que du quart des biens; le reste doit être partagé. La subdivision de la propriété produit des phénomènes tels, comme par exemple: il s'est vu en Galicie un arbre appartenant à trois familles, lesquelles devaient partager ses fruits par tiers lorsqu'arrivait l'époque de la récolte.

Il est vrai que ceci peut se remédier par la vente dont on partage le produit, comme on le fait en France. Mais comme pour que cela puisse avoir lieu, il faut que la vente soit réclamée par la majorité des communistes, et comme il est assez difficile de mettre d'accord plusieurs volontés, que de plus les droits d'hypothèque où d'enregistrement sont assez importants, il arrive ce qui se passe dans votre pays. L'Etat est pareil au dieu Saturne; au bout de quelques successions, c'est lui qui dévore la valeur des biens de l'héritage, malgré que les gens ne calculent jamais cette vérité indiscutable.

Il faut aussi que je vous fasse encore une autre observation assez importante sur les droits de la femme.

Lorsque la femme a apporté une dot, et que dans les chartes dotales on n'a pas songé à la stipulation d'un hérêtement préventif ou à celle d'usufruit; si le mari meurt sans faire testament, la loi lui accorde pendant un an la possession de tous les biens de son époux, droit connu sous le nom de tenuta. La femme la conserve indéfiniment jusqu'à ce que les successeurs légitimes lui paient la dot s'ils veulent entrer en possession des biens. Comme un usu

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fruitier, elle fait siens les produits de l'héritage et doit alimenter les fils jusqu'à ce qu'elle perde ladite possession.

Jusqu'ici je vous ai parlé de la constitution de la famille. catalane, et ce qui vient d'être dit vous prouve que la liberté testamentaire y existe et qu'on lui doit la conservation des familles, la conservation des biens ainsi que des traditions; car, en examinant les archives des familles, on trouve un grand nombre de documents qui ont beaucoup servi aux historiens, soit par l'histoire générale, soit pour le récit des faits particuliers ou monographies.

Mais il me semble qu'après ce dont nous nous sommes occupés, puisque j'ai parlé de quelques droits des femmes, vous ne trouverez pas mal que je vous en fasse connaître un qui est très remarquable; il est relatif aux biens connus sous le nom de parafernales.

On sait ce que sont ces biens les acquisitions que la femme fait par succession et qu'elle possède en dehors de la dot. Par exemple, une femme se marie et apporte sa dot; suivant l'usage et la loi, le mari la fait sienne, l'administre, en touche les revenus, enfin se l'assimile. A ce moment, la femme n'a d'autres biens que ceux qu'elle s'est constitués en dot. Mais arrive la mort d'un parent ou de n'importe qui, lui faisant un legs. Alors comme ces biens sont indépendants de la dot, c'est elle qui en est la maitresse, qui les administre indépendamment du mari, et sur eux, elle peut faire des contrats sans avoir besoin de l'intervention de ce dernier, ni même de son consentement, encore que ce soit pour les vendre. Mais du moment qu'elle Jui en cède l'administration, alors finit le droit qu'elle a, et seulement après l'avoir revendiqué il ne renaît pas, et recommence de nouveau la faculté d'administrer par soimême. Cette circonstance, j'ai voulu vous la faire connaître parce que, comme cela, on peut apprécier que la femme chez nous est considérée dans la famille, et que, quoiqu'en entrant in manus mariti elle passe sous le pouvoir d'autrui, nonobstant elle a encore des droits qui lui permettent d'exercer des actes propres et d'obtenir les égards qui lui sont dus, soit de la part de son mari, soit de la part des fils.

Les mariages dans notre pays sont le fruit de l'estime, jamais le fruit du calcul. On n'étudie pas quels sont les revenus de la femme, ni ce qu'elle doit apporter au mariage; on étudie ses qualités, et lorsqu'on voit qu'elle pourra être une bonne mère de famille soit par son caractère, soit par son éducation, alors le mariage se contracte et se célèbre.

Malheureusement la mode, cet esprit damné du XIXe siècle,

l'idée de parodier chez nous ce qui nous vient de l'étranger, et les effets de la Révolution ont perverti le sens commun dans les grandes villes. Là entre déjà le calcul lorsqu'on doit contracter un mariage. Mais comme le frein de la Religion tient à conserver les mœurs patriarchales, il se trouve heureusement que la majorité méprise ce qui est mauvais, préfère supporter le ridicule de l'ancien et n'abandonne pas facilement les traditions.

L'expérience nous fournit à nous autres, gens de bureau, l'exemple de ce qui arrive, et nous permet de distinguer la différence qui existe entre les mariages qui ont été contractés par amour et ceux qui l'ont été par calcul. Dans les premiers, à peine s'il existe des discussions; les fils sont le reflet du calme de l'intérieur; par leur éducation, leur amour et leur respect pour les parents, ce sont des modèles; tandis que, dans les seconds, la tranquillité est bientôt bannie, et si par malheur il y a des fils, ils sont le pire de l'espèce par leur fatuité et leurs débauches, car il suffit que le père blâme l'enfant pour que la mère le protège et vice versa.

Vous voyez bien, avec ce que je viens de vous dire, qu'il faut pour constituer la famille deux circonstances principales la première, que le mariage soit contracté par amour; la seconde, qu'il doit exister la liberté testamentaire non-seulement en faveur du père de famille, mais aussi en faveur de la mère.

Un jurisconsulte (1) catalan, qui rédigea un mémoire lorsqu'en 1862 une Académie soumit à discussion le thème de la liberté testamentaire, après de longues considérations, résume son travail, en disant : « La succession forcée est > le principe de la méfiance, le sacrifice d'un droit positif » à un droit imaginaire, tient à l'immoralité, détruit l'ins>>titution du mariage, énerve la volonté du père de >> famille, rend le père esclave ou tributaire de ses propres >> fils, constitue le père usufruitier des biens des fils, » inspire aux fils la paresse et la désobéissance, leur fait » désirer la mort des parents. C'est une déclaration de » guerre entre les membres d'une famille; elle rompt les » harmonies, les exemples et les traditions, habitue les » fils à avoir une seconde intention; c'est la machine de » guerre du despotisme et de la démagogie pour détruire » les résistances légitimes; c'est la négation d'une liberté. » origine des autres libertés; finalement elle conduit au > communisme.

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(1) D. Joaquin Cadafalch. - Certámen de la Real Academia de Ciencias morales y politicas.

» La liberté testamentaire, c'est, au contraire, la con>> fiance guidée par un sentiment que Dieu grava dans le » cœur du père; c'est la conviction, pour le père, que le >> bien-être de ses fils dépend de son activité et de son » esprit d'économie; c'est, par conséquent, un des mobiles >> les plus puissants du bien; c'est le sentiment dans lequel » se fonde l'utilité économique de l'héritage. Elle tient à faire » de l'homme un bon citoyen et un membre utile à la » société, assujettit les passions au devoir, relève la >> personnalité humaine; c'est l'extension du droit de pro>> priété au-delà du tombeau. Elle favorise le désir naturel » de vivre après la mort entre les fils, elle est la sanction de >> l'autorité paternelle, la base de la famille, la vie et >> l'harmonie de la famille avec la propriété et avec l'hé>> ritage. C'est l'exercice d'une faculté avec laquelle >> Dieu ennoblit l'homme; c'est finalement l'origine des >> autres libertés. >>

Il ne me reste plus qu'à vous remercier pour la bienveillance avec laquelle vous avez reçu la lecture de mon travail, et mes voeux seront accomplis s'il peut être utile et remplit le but que vous vous proposez dans vos assemblées annuelles, en étudiant les problèmes concernant la Religion, la propriété et la famille.

RAPPORT DE LA COMMISSION.

Le régime des successions, établi en France par le Code civil, est depuis longtemps l'objet de critiques très graves. Dans la discussion même du Code, on trouve la trace d'une opposition assez vive aux principes qu'il consacre en matière de succession (1).

Depuis lors, ces critiques se sont répétées bien souvent dans les écrits des publicistes, dans la presse, à la tribune des Assemblées législatives. Les faits sont venus confirmer les reproches adressés à la législation, et l'expérience a justifié les demandes de réforme.

(1) V. not mment les séances du Conseil d'Etat, des 4 nivôse, 21 et 28 pluviose an xi. Recueil de la Discussion du Code civil, par Favard de Langlade, t. 2, p. 379 et suiv.

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Nul objet n'est plus digne de la sollicitude toute particulière du législateur. Les lois de successions ont une importance capitale (1); elles touchent aux intérêts essentiels d'un peuple la propriété, la famille. « Par elles, a dit Tocqueville, l'homme est armé d'un pouvoir presque divin sur l'avenir de ses semblables (2). »

Les jurisconsultes catholiques ne pouvaient négliger l'étude de ces questions. Déjà la Revue des Institutions et du Droit, leur organe, a consacré de nombreux articles à l'examen des réformes proposées (3). Le dernier Congrès avait pour programme de ses travaux : la Liberté et l'Etat. Une des commissions s'occupait particulièrement de la liberté de la famille devant l'Etat; la liberté testamentaire trouvait sa place naturelle dans le cadre de ses études, et la question a été l'objet d'un intéressant rapport de M. Boyenval et de communications dues à MM. de la Tour du Pin et Vals de Bouffard (4). Les lecteurs des travaux du Congrès n'ont pu les oublier.

Aujourd'hui notre Congrès doit continuer cette étude qui n'avait été que commencée l'an dernier et formellement ajournée au prochain Congrès. Elle rentre tout à fait, du reste, dans l'objet de nos travaux; ayant à traiter de la propriété, il est essentiel de ne pas négliger tout ce qui se rattache à sa transmission, aux droits du père de famille, à la conservation du foyer domestiqne. C'était la partie de notre programme dont la deuxième commission avait à s'occuper.

M. le comte d'Anthenaise a tracé le tableau saisissant des effets produits par une législation qui s'écarte des principes qui consacrent la perpétuité de la famille, la permanence du foyer, la conservation de la propriété. Il nous a fait toucher du doigt les désordres économiques et moraux de notre société française contemporaine, et, autant par l'observation de notre état social, que par des exemples tirés de la situation des nations étrangères, il a éloquemment démontré la nécessité de la conservation du foyer domestique et de l'atelier.

Le mal est certain cette nécessaire transmission du foyer et de l'atelier n'est pas assurée. Le Code civil y met obstacle par l'influence destructive du partage forcé. C'est

(1) Sur l'influence du régime des successions, cf. Le Play: la Réforme sociale en France, t. 1, liv. II, chap. 17.

(2) De la Démocratie, t. 1, p. 76.

(3) V. la table générale des quinze premiers volumes, Vis., Successions, testament. Voy. aussi t. 19, pp. 51, 58, t. 20, pp. 341 et 419.

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Compte rendu du Congrès de jurisconsultes

(4) La Liberté et l'Etat. catholiques tenu à Reims en 1882, p. 123.

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