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que le pouvoir du propriétaire sur ses biens puisse s'étendre au delà de la mort (1), dans certaines limites, et que le testateur puisse prescrire à son héritier des conditions conservatrices de son bien. Les substitutions à deux degrés devraient être permises. Le droit, la tradition nationale, l'expérience, portent à en conseiller le rétablissement (2).

Pour être complète, l'étude des modifications à introduire dans nos lois de succession devrait porter encore sur les droits du conjoint survivant, sur certains détails des lois fiscales en matière de partage, sur la situation des héritiers mineurs de la petite propriété, enfin sur tout le régime ab intestat et sur la convenance de rétablir, dans des cas législativement déterminés, le droit d'exhérédation. Une proposition, d'ailleurs, est faite au Congrès à cet égard.

La deuxième Commission n'a pas eu le temps d'étudier toutes ces questions; elle a dû se borner à indiquer les points essentiels d'une réforme immédiatement réalisable. Elle pense que le Congrès, s'il doit formuler une conclusion, ne peut émettre un vou qu'en faveur d'un minimum de réforme, c'est-à-dire en faveur de ce qui paraît en même temps désirable et possible dans l'état présent de notre société.

Le père a des droits incontestables, aussi bien que des devoirs, quant à la transmission de ses biens.

Mais, sur quelque fondement doctrinal qu'on appuie ces droits du père de famille, l'Etat peut intervenir pour en réglementer l'exercice par des dispositions législatives. La Commission écarte donc d'abord, à l'unanimité, les deux théories extrêmes :

Celle de la conservation forcée de tout le patrimoine, qui détruit les droits du père de famille ;

--Celle de la liberté testamentaire absolue, qui supprime entièrement l'intervention de l'Etat.

Restait à déterminer le but et la mesure de cette intervention :

La Commission reconnaît unanimement que l'intervention législative doit avoir pour but capital la conservation du foyer domestique.

Quant à sa mesure, entre un grand nombre de systèmes, trois ont été étudiés :

(1) Coquille, Les Légistes et leur influence. p. 414.

(2) Le Play, La Réforme sociale en France, t. 1, 1. 11, chap. 21, xi.

Le premier donne au père la liberté de tester, avec le droit de substituer, à quelque degré que ce soit, même indéfiniment, non la totalité de ses biens, mais ceux qui constituent le foyer domestique » ou « biens de famille,» au profit de l'un de ses enfants.

Ce système tend à mettre en état de substitution et à immobiliser, au bout de quelques générations, une portion considérable du territoire.

- Le second maintient, dans son ensemble, le régime testamentaire du Code (réserve et partage forcé égal de cette réserve entre les enfants, quotité disponible variant avec le nombre des réservataires).

Il le modifie seulement par la suppression des articles 826 et 832, relatifs à l'obligation du partage en nature, et rend ainsi plus facile la conservation, dans la famille, de l'établissement agricole ou industriel.

Ces deux théories, soutenues par quelques membres n'ont pas été acceptées.

La majorité de la Commission en a adopté une troisième qu'elle formule ainsi :

-Le droit, pour le père de famille, de régler librement son hérédité entre ses enfants ou successeurs légitimes, sans sortir du cercle de la famille, et celui de tester au profit d'un étranger, sont distincts et ne doivent pas être confondus.

-La liberté qu'a le père de famille de disposer d'une partie de ses biens au profit d'un étranger, peut demeurer ce qu'elle est aujourd'hui, c'est-à-dire restreinte à la quotité disponible variable, établie par le Code.

- En ce qui concerne, au contraire, la réglementation de son hérédité entre ses enfants, et sans sortir du cercle de la famille, le père doit devenir entièrement libre.

Son droit n'a d'autres limites que celles qui lui sont imposées par les obligations de sa conscience."

Il en résulte pour le père le droit de créer des substitutions. La Commission admet cette conséquence spéciale du régime qu'elle propose, n'autorisant toutefois ces substitutions que pour deux degrés, conformément à nos anciennes ordonnances (1) et à la loi de 1826.

Ce système rejette les nombreuses critiques dont les lois testamentaires de notre Code sont l'objet.

Ce système, aux yeux de la Commission, réunit presque tous les avantages incontestables du régime de liberté absolue, sans entraîner les inconvénients qui le font surtout repousser par les partisans du Code civil.

(1) Ord. de 1560 et ord. de 1747.

Il faut remarquer d'ailleurs :

1° Que la Commission comprendrait une loi de transition qui, par des accroissements successifs, mais rapides, de la quotité disponible, amènerait, sans changement trop brusque, à cette liberté absolue de tester dans le cercle de la famille;

2o Que la Commission réserve toujours et dans tous les cas, le droit indestructible aux aliments.

Résumé des observations de M. BELLANGER, en réponse aux conclusions de la Commission.

M. Bellanger commence par déclarer que, membre de la minorité, il considère comme un devoir de venir combattre les conclusions de la Commission en faveur d'une thèse contre laquelle protestent ses convictions les plus anciennes et les plus persistantes.

M. Bellanger fait tout d'abord remarquer que la suppression de toute limitation du droit de disposer à titre gratuit, ne répondrait nullement à l'une de ces légitimes et pressantes réclamations de l'opinion, qui imposent en quelque sorte aux pouvoirs publics l'obligation de modifier la législation existante.

Dans les pays autrefois régis par le droit coutumier, les pères de famille, loin d'user de la faculté que leur confère la loi, de disposer librement d'une portion déterminée de leur patrimoine, ne se décident que très rarement, et dans des cas vraiment exceptionnels, à ne pas maintenir l'égalité entre leurs enfants.

Si dans les pays qui étaient anciennement pays de droit écrit il en est autrement, rien ne prouve que les pères de famille fussent portés, s'ils le pouvaient faire, à dépasser, dans leurs dispositions à titre gratuit, les limites de la quotité disponible actuelle, alors que, en somme, la réserve stipulée par le Code civil ne diffère guère, comme résultat pratique, de la légitime attribuée aux enfants par le droit romain.

Ce qui est vrai, et ce contre quoi l'opinion tend de plus en plus à protester et à réagir, c'est que, grâce aux dispositions édictées dans les articles 826 et 832 du Code civil, sous l'influence de la défaveur haineuse dont les grandes propriétés, ou plus exactement les grands propriétaires, étaient l'objet à la fin du siècle dernier, le père de famille

n'est pas libre de faire la part de chacun de ses enfants avec les biens qu'il lui convient de choisir.

Là est peut-être le véritable obstacle à un usage plus général de disposer de la quotité disponible.

En tout cas, de là découlent manifestement les inconvénients les plus sérieux au point de vue moral et même au point de vue économique, en favorisant d'une manière désastreuse, on peut le dire, le morcellement des immeubles; en rendant trop fréquemment impossible la conservation si désirable du foyer domestique, voire même de l'établissement industriel ou commercial, aux mains d'un membre de la famille; en aboutissant enfin graduellement, fatalement, à la destruction de la véritable propriété patrimoniale.

Aussi, tous ceux qui réfléchissent sans passion et sans parti pris semblent aujourd'hui d'accord pour réclamer, avec la suppression de la limitation apportée par les articles 826 et 832 au pouvoir du père de famille de choisir les biens attribués à chacun de ses enfants, une modification profonde des règles en matière de partage et de formation de lots.

Mais c'est faire une confusion regrettable que de vouloir attribuer à la limitation du droit de disposer à titre gratuit des inconvénients, des résultats qui, en réalité, sont dus exclusivement au mode de partage et de lotissement imposé par le Code civil.

Quant à prétendre imputer à l'absence d'une complète liberté de tester la dépopulation progressive qui se manifeste en France d'une manière si effrayante pour l'avenir de notre patrie, rien ne semble à M. Bellanger plus faux et plus contraire à la vérité des faits.

L'exemple de ce qui s'est produit au cours du siècle dernier, où l'usage de ne marier que les aînés était presque général parmi la noblesse, et où les naissances se restreignaient singulièrement dans la haute classe et surtout parmi la noblesse de cour, l'autorise, au contraire, à penser que, avec les exigences croissantes du bien-être et du luxe, la liberté absolue de tester, pas plus que l'existence du droit d'aînesse, n'entraverait, ne diminuerait en rien une tendance contre laquelle les mœurs, épurées et vivifiées par le Christianisme, peuvent seules réagir efficacement.

En terminant, M. Bellanger insiste sur le danger qu'il y aurait, suivant lui, à vouloir, sans tenir compte des faits et de l'expérience du passé, supprimer toute limitation au droit du père de famille, de disposer à titre gratuit; car, ajoute-t-il, on ne doit jamais oublier, perdre de vue que notre législation actuelle, que le Code civil, loin d'innover à cet égard, n'a fait que reproduire, avec quelques modi

fications de forme et de détail, les dispositions essentielles de notre ancien droit éminemment conforme à notre tempérament et à nos traditions nationales.

Au cours de la discussion dont le résumé précède, M. Bellanger a particulièrement invoqué les renseignements historiques et les précieuses données statistiques contenus dans une récente brochure sur La Liberté de tester et la copropriété familiale publiée par M. G. d'Espinay (1), alors conseiller à la Cour d'Appel d'Angers, mais depuis prématurément mis à la retraite par application de la nouvelle loi sur l'organisation de la magistrature. Il a fait d'ailleurs, plusieurs citations textuelles de cette brochure, qui, dans son opinion, par son exposition claire et méthodique, par la sobriété de sa forme, le nombre et la variété de ses aperçus, la sûreté de son érudition, non moins que par la sagacité et l'équitable modération de ses appréciations, constitue l'un des travaux les plus remarquables et les plus complets publiés dans ces dernières années sur la liberté de tester et la propriété patrimoniale.

Résumé des observations présentées par M. Just GUIGOU, doyen de la Faculté libre de droit de Marseille, en faveur de la liberté absolue du droit de tester pour le Père de famlile.

Nous ne pensons pas que le Congrès puisse entrer dans l'examen approfondi des divers systèmes proposés par nos confrères, pour atténuer les effets désastreux du régime successoral du Code civil. En pratique, on pourrait accepter chacun de ces systèmes pris isolément, plusieurs groupés ensemble ou même les fondre tous et en extraire un ordre successoral qui serait excellent; nous ne saurions le nier, car tous ces systèmes valent mieux que celui que nous subissons depuis la révolution.

Nous pensons toutefois que notre tâche ici n'est pas de faire une loi nouvelle mais de dégager les principes vrais ; afin que ces principes établis, nous puissions demander au législateur de les appliquer de la façon la plus absolue possible. Nous disons possible à dessein, afin de montrer que nous saluerions avec reconnaissance chaque étape faite par le législateur pour se rapprocher des principes

(1) Elle a été analysée dans la livraison de juillet 1883 de la Revue (couverture).

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