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purs, au fur et à mesure que les circonstances le permettraient.

Notre idéal est la liberté absolue pour le père de famille de disposer de tous ses biens comme il le jugera convenable et à cet effet nous voudrions inscrire, en tête de la matière des successions ab intestat, un article calqué sur l'article 1387 de notre code qui ouvre la matière du contrat de mariage. Il serait ainsi conçu : « La loi ne régit la suc> cession qu'à défaut de dispositions testamentaires, laissées » par le défunt, et qu'il peut établir comme il le juge à pro» pos, pourvu qu'elles ne soient pas contraires aux bonnes

» mœurs.

Cet article résume tout le système et donne satisfaction à toutes les exigences. En effet, la loi règlera la succession pour le cas où il n'y aura pas de testament. Elle le fera selon l'esprit politique du jour de sa rédaction; elle partagera les biens également ou non entre les enfants, elle établira ou elle n'établira point un droit d'aînesse ou un privilège de masculinité; elle accordera à la femme survivante tel droit qu'elle jugera bon, elle établira ou n'établira point des réserves au profit des divers membres de la famille, elle consacrera ou repoussera les droits des enfants naturels, peu nous importe, car elle n'aura statué que pour le cas où il n'aura pas été fait de testament.

Si l'ordre légal établi, quel qu'il soit, agrée au père de famille, il pourra mourir intestat; si au contraire il pense qu'il y a mieux à faire et que ses biens sont mal attribués par la loi, usant de la liberté que nous réclamons pour lui, il testera et fera le partage de ses biens, comme il le jugera convenable.

Qu'on ne dise point, comme M. Le Play, que la liberté testamentaire absolue ne saurait être imposée en l'état de nos mœurs. Qu'on n'invoque pas les usages actuels du nord, du midi, de l'est ou de l'ouest, les traditions des pays de coutume ou des pays de droit écrit; toutes les affirmations apportées à ce sujet n'ont qu'une valeur fort restreinte en l'état de notre législation qui hérisse de procès de toute nature la disposition que peut faire un testateur de la quotité disponible.

A M. Le Play, nous répondons que nul ne sera tenu d'user de la liberté, une liberté imposée ne serait plus une liberté, mais au moins celui qui voudra disposer librement le pourra. Si les mœurs repoussent cette liberté, elle restera lettre morte. Si un petit nombre seulement en use, elle sera un véritable bienfait; pourquoi donc la refuser.

Nous contestons d'ailleurs les affirmations énoncées plus haut, nos mœurs, nos usages locaux ne repoussent nullement la liberté testamentaire, notre pratique notariale

aussi bien que notre postulation au barreau, nous ont révélé dans maintes circonstances les efforts tentés et les moyens employés par le père de famille pour arriver indirectement à se procurer une liberté que la loi lui refuse.

Si aujourd'hui les testaments disposant de la quotité disponible sont relativement peu nombreux, il y a deux raisons à cela La première, qui sera, nous l'espérons, permanente, est que la bonne entente entre les enfants et le père permet le plus souvent à ce dernier de ne pas exprimer ses volontés en la forme solennelle. La seconde raison qui détourne de ces dispositions, est la crainte des procès à venir; sous l'empire du code, le disponible étant limité, un héritier mécontent peut toujours prétendre qu'il a été excédé, de là enquête, expertise, et s'il s'agit d'immeubles, la licitation, moyen suprême et ruineux d'établir la valeur des immeubles.

Avec la liberté absolue ces inconvénients disparaîtront; le père de famille disposera dans sa sagesse et ses dispositions seront respectées; les procès en détermination de valeur ne pourront même plus naître, puisque la quotité disponible ne sera plus déterminée dans son quantième, et que les héritiers devront reconnaître la volonté du de cujus comme leur seule loi, Jus quod jussum.

Si nous sommes partisans de la liberté absolue c'est que nous avons la confiance la plus entière qu'il en sera fait le plus souvent un bon usage, qu'elle ne tendra ni à des exhérédations d'enfants non justifiées, ni à de capricieuses attributions. Nous connaissons les sentiments inspirés par la nature au cœur du père et les lois gravées dans la conscience du chrétien par le divin Maître. Le père n'usera de la liberté que pour corriger, pour punir au besoin pour attribuer à chacun de ses enfants une part plus ou moins forte, en capital ou en revenus, selon les exigences de sa situation. Pendant la vie du père, l'éventualité d'une exhérédation retiendra dans le devoir, dans l'obéissance, le fils que les passions agitent et éloignera de lui les offres malsaines de l'usurier, qui ne pourra plus escompter la réserve légale. A sa mort le père pourra laisser son industrie, son commerce, sa terre, en garde ou en propriété, à celui qui sera le plus apte à les faire prospérer, constituant ses autres enfants créanciers de leur frère, à court ou à long terme, selon la convenance. Au fils infirme, il laissera plus de revenus et pas de capital. Au religieux il fera la part la mieux adaptée au saint état qu'il a choisi. Au fils déjà acheminé dans une carrière prospère, il fera une part moindre et avantagera celui qui encore éloigné des gains que le travail procure, a besoin de ressources plus abondantes pour achever son éducation ou pour faciliter ses

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débuts dans la vie. Il pourra enfin assurer à la veuve, par la voie qu'il jugera la meilleure, une existence honorable et les moyens d'exercer, après lui, sur la famille, cette autoritě paternelle salutaire que notre code lui concède en droit, mais ne lui donne aucun moyen efficace d'exercer, en ne lui faisant aucune part dans la succession paternelle. Voilà, nous dit-on, le beau côté de la liberté testamentaires, mais elle à un revers. Le père peut avoir des faiblesses, être en butte a des captations, avoir des préjugés, une aversion non justifiée qui inspireront ses dispositions testamentaires.

Nier d'une manière absolue que le père de famille puisse errer serait dépasser la juste limite, mais soutenir que cette erreur sera fort rare, c'est être dans le vrai. Le père de famille soutenu par les sentiments naturels, mû par l'amour paternel, animé du désir d'assurer le bonheur de ses enfants, de laisser une mémoire chérie et honorée, saura dans l'immense majorité des cas se défendre contre les captations, résister aux passions et rechercher le bien être seul de sa postérité. Le désir de chaque père est et sera toujours de pouvoir établir entre ses enfants l'égalité la plus entière dans le partage de ses biens, comme il leur fait à tous une place égale dans son cœur et dans ses affections. Il pourra seulement donner à cette égalité des formes appropriées aux besoins divers, comme il sait donner à son affection des expressions diverses.

A ces considérations générales tirées de l'autorité paternelle et des relations établies par le créateur, entre le père et ceux dont il lui a confié la vie et l'éducation, nous devons joindre certaines considérations, tirées plus directement 'de l'ordre social.

Dieu à créé l'homme et lui a dit : croissez et multipliez. Ce précepte a été suivi et la terre s'est couverte de multitudes innombrables. Mais aujourd'hui on constate que quelques nations croissent encore et se multiplient, que partout où se trouvent des moyens d'existence, elles les utilisent et qu'elles envoient au loin l'excédant de leur population prendre racine partout où une terre inoccupée n'a pu atteindre encore la fin pour laquelle Dieu l'a formée. Tandis que d'autres nations, au contraire, restreignent leur accroissement, que les mariages y sont plus rares et moins féconds et que l'association de deux êtres tend le plus souvent à la procréation d'un être unique.

Les premières nations sont généralement celles qui usent de la liberté testamentaire comme l'Angleterre et l'Amérique, ou celles dans lesquelles les lois assurent la force et l'énergie de la puissance paternelle, comme l'Allemagne.

Notre patrie, notre chère France au contraire est stationnaire. Si la liberté testamentaire lui était rendue, disent quelques économistes, la France reprendrait son essort et sa population redeviendrait plus nombreuse; elle jetterait de nouveau au-delà des mers, sur notre continent africain et dans nos colonies, son excédant de population et son nom brillerait d'un nouvel éclat dans des régions où il a perdu son prestige. L'obligation du partage égal ne viendrait plus conseiller au père de restreindre, par des voies que la nature et la conscience réprouvent, l'accroissement de sa famille. Il pourrait réserver pour un de ses enfants son industrie ou son modeste patrimoine et assurer aux autres une existence laborieuse et fructueuse; les enfants habitués à ne pas compter, comme sur une chose due, sur une part déterminée de sa succession, deviendraient, comme les cadets d'Angleterre, des pionniers courageux, des commerçants habiles ou des colons assurant au dehors l'influence de la mère patrie.

Sans exagérer la portée de ce raisonnement en faveur de la liberté testamentaire et en reconnaissant que la cause du mal réside surtout dans la déchristianisation du pays par les doctrines modernes et dans la décadence morale du siècle, on ne peut nier toutefois que la faculté pour le père de famille de régler la distribution de ses biens, d'aménager l'avenir de ses enfants selon ses propres vues et au mieux de leurs intérêts, ne viendrait diminuer ses préoccupations et chasser la crainte de livrer à l'émiettement son modeste héritage. Il userait moins de la contrainte morale, pour ne parler que cette cause de dépopulation et les familles seraient assurément plus généralement nombreuses.

La liberté du père de famille de disposer librement viendrait encore assurer à la société une force incontestable qui s'en va disparaissant chaque jour. Les grandes entreprises, les grandes industries, les maisons commerciales puissantes, sont au point de vue sociale et économique un bien considérable et au point de vue national une gloire véritable. L'homme qui les personnifie appartient à l'élite de la société, à l'aristocratie nationale; il représente sous la forme tangible et appréciable l'intelligence, l'activité du pays. Avec le partage égal, avec la quotité disponible restreinte de nos lois, cette aristocratie sociale, cette force du pays s'évanouit et le père prudent a à peine atteint à ces sommets désirés, qu'il doit envisager le morcellement de son œuvre et se résigner à céder à une société anonyme le fruit des travaux de sa vie entière, pour éviter qu'une licitation malencontreuse ne l'anéantisse sans profit pour ses enfants.

Nous ne voyons plus se transmettre ainsi de génération

en génération, les grands noms, les grandes renommées commerciales ou industrielles, la liberté seule peut rendre de nouveau possible cette transmission.

L'association entre les enfants ou des enfants avec le père n'est qu'un remède insuffisant; car cette association possible peut-être à la première génération, cessera de l'être à la seconde sûrement.

Ce que nous disons de l'industrie et du commerce est vrai aussi de la propriété foncière et l'intérêt agricole milite ici à côté de l'intérêt commercial et industriel. La conservation des traditions de famille si intimément unie à la conservation du foyer, serait ainsi assurée et on ne verrait plus à chaque génération, la maison paternelle du pauvre mise aux enchères par licitation et vendue à un prix insuffisant pour payer les frais de la procédure, sans profit pour les colicitants., Ne vaudrait-il pas mieux la conservation même au profit d'un seul.

Qui ne connaît d'ailleurs le but révolutionnaire et césarien poursuivi par Napoléon en imposant le partage forcé; la lettre du 6 mars 1806 à son frère, le roi de Naples, nous le montre tout en entier. Ce but a été atteint et déjà en 1815, au Congrès de Vienne, les résultats forcés de notre régime successoral réjouissaient les ennemis de la France et étaient constatés par lord Castlereagh.

Revenons donc à cette théorie juridique et vraie de la liberté absolue; seule elle est compatible avec la notion juridique de la propriété et de l'autorité paternelle.

Le père doit élever ses enfants, chercher à assurer leur in en ce monde et dans l'autre. Il doit conseiller, diriger, ordonner et au besoin punir. Punir de son vivant est insuffisant, si le fils peut escompter déjà le terme de la vie de son père, s'il sait qu'un jour incertain, mais inévitable, arrivera où, le père mourant, il aura dans ses biens une part réservée, malgré son inconduite et ses vices.

Le propriétaire n'est maître de sa chose, qu'à tant qu'il peut en user, comme il le juge bon, qu'il peut acheter, vendre, user et abuser; hors de là, pas de propriété. Iĺ peut donc, et notre loi le reconnaît, dépenser en spéculations plus ou moins risquées sa fortune entière; il peut la dilapider follement dans le tourbillon d'une vie de luxe, de jeu, de plaisirs même inavouables; il peut ruiner ses enfants, s'il est fou. Il ne peut assurer leur avenir, comme il le croit bon, s'il est sage. Les enfants n'auront rien à réclamer à la femme que le mauvais père aura nourrie, enrichie et comblée des biens de la famille ruinée; et ils pourront contester les dispositions pleines de sagesse, par lesquelles un père, fidèle à ses devoirs, aura assuré l'existence et l'autorité de sa compagne, procuré un avenir à un fils déshérité

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