Page images
PDF
EPUB

par la nature, fondé une œuvre pie, ou réglé entre les siens le partage utile de ses biens.

Où est la moralité d'une loi qui fixe ainsi le disponible testamentaire et ne met pas de limite à la prodigalité ou à la folie? Comment justifier un Code qui se méfie des sentiments paternels et qui laisse toute liberté de tester à son gré au célibataire qui s'est affranchi, le plus souvent par égoïsme, des charges et des devoirs qu'une famille impose? Pourquoi ne pas établir, dans ce cas, une réserve au profit des frères ou des neveux mariés et empêcher ainsi le détournement des biens de la famille? Cela paraîtrait à coup sûr une règlementation exagérée, elle serait cependant bien plus juste, ce serait de toutes les réserves la plus raisonnable. Pour nous, partisans de la liberté pour tous, nous ne la réclamons point.

Nous nous résumons: la méfiance envers le père est une injure gratuite à la paternité, lui accorder une liberté entière, l'armer contre les écarts et les erreurs de sa postérité, est au contraire dans l'ordre : Timor Domini, initium sapientiæ:

Le père a acquis, possède les biens, il en est le maître; il peut les dilapider, il doit pouvoir, s'il les conserve, en disposer, dans l'avenir, les partager, comme il le croit utile. Qui peut détruire sa chose, doit pouvoir en user comme il l'entend.

Nous ne voulons ni nier ni examiner les cas d'abus. Ces cas exceptionnels ne feront jamais la règle, et nul n'établira qu'ils soient fréquents.

Nous affirmons d'ailleurs, sans crainte d'être démenti, que, lorsqu'il devra y avoir abus ou excès, la loi actuelle est impuissante à y faire obstacle. La vente des immeubles, la conversion de la fortune en titres au porteur, leur remise de la main à la main ou par un intermédiaire sûr, permettent de faire aujourd'hui illégalement ce qu'on feint de redouter pour le cas où règnerait la liberté.

On ne saurait trop répéter que la liberté profite toujours aux causes saintes et justes, et que la fraude provoquée par les règlementations exagérées vient toujours en aide, quelle que soit la loi, aux causes injustes et criminelles. TravailTons donc à préparer le retour à la liberté, et ne confondons point la liberté testamentaire avec des privilèges quelconques de transmission au profit de qui que ce soit.

La liberté exclut aussi bien le droit d'aînesse que le droit de masculinité; elle n'impose rien et ne met au droit du père d'autre limite que celle que la loi divine elle-même a gravée dans son cœur en lui traçant rigoureusement ses devoirs envers ceux qui lui doivent le jour ou qui tiennent à lui par les liens de la famille.

Réponse de M. BELLANGER.

M. Bellanger demande et obtient la parole pour donner lecture de la réponse qu'il désire faire à la première partie des observations présentées par M. Guigou à la fin de la séance d'hier.

Voici la teneur textuelle de cette réponse :

« J'ai admiré et applaudi avec vous, Messieurs, la charmante désinvolture avec laquelle, à la fin de la séance d'hier, notre collègue M. Guigou, professeur d'histoire du droit à la Faculté libre de Marseille, a déclaré vouloir écarter absolument l'élément historique pour résoudre la question soumise en ce moment à nos délibérations. »

<< Pourtant cette question est essentiellement une ques tion de droit positif, de législation pratique, qui peut se formuler ainsi : >>

<< Est-il licite, est-il bon que, dans l'état actuel de nos mœurs et avec nos traditions nationales séculaires, on maintienne dans notre législation française la limitation du droit du père de famille de disposer de sa fortune à titre gratuit, soit par acte entre vifs, soit par testament? >>

«Toutes les théories les plus ingénieuses et les plus séduisantes que l'on pourra développer, tous les raisonnements abstraits que l'on pourra faire à l'appui d'une solution négative de la question ainsi posée viendront se heurter et se briser contre un fait indiscutable, indéniable: c'est que, dans notre ancienne France, avant 1789 et de temps immémorial, dans les pays de droit écrit comme dans les pays de coutume, au moyen, soit de la légitime, soit de la réserve, le législateur a toujours jugé indispensable et voulu qu'une limitation importante fût apportée au droit, au pouvoir du père de famille de disposer à titre gratuit du patrimoine que, en l'absence de dispositions de sa part, ses enfants auraient été appelés à recueillir. »>

« Pourquoi, Messieurs? C'est que, s'il a toujours semblé juste et nécessaire de reconnaître au père de famille le droit, le pouvoir, par des motifs et suivant les règles dont il demeure souverain appréciateur et seul juge, soit de transmettre, en partie, à titre gratuit à des tiers, soit de répartir en proportions inégales entre ses enfants et descendants son patrimoine, qui, pourtant, est le plus souvent le produit accumulé du travail et des économies de plusieurs générations, il ne lui a semblé ni moins juste, ni moins nécessaire de protéger les enfants contre le danger trop certain de voir fréquemment le père de famille céder à des préférences imméritées, à des entrainements irréfléchis, parfois même repréhensibles, ou, plus encore, à

des captations habiles, à des suggestions honteuses et coupables. >>

On peut discuter, différer d'opinion sur l'étendue de la limitation qu'il convient d'imposer au père de famille dans l'exercice du droit de disposer à titre gratuit. Je comprends parfaitement les divergences qui peuvent se produire à cet égard, en raison particulièrement des habitudes si profondément différentes qui existent, en cette matière, entre les pays de droit écrit et les pays de coutume; mais ce que je comprends bien plus difficilement, c'est que l'on vienne contester aujourd'hui, en France, au XIXe siècle, le principe de la limitation édicté, ou, plus exactement, maintenu, consacré par les dispositions de l'article 913 du Code Civil. »

Certes si l'on voulait chercher, trouver, dans ce conflit. d'opinions sur la question telle qu'elle est et doit demeurer posée, des révolutionnaires, à coup sûr, ce seraient ceux qui n'hésitent pas à proposer une innovation aussi audacieuse, en contradiction manifeste, directe avec la législation qui, jusqu'au jour de la confection du Code Civil, a régi aussi bien nos provinces du Midi que celles du Nord; et les véritables conservateurs sont bien ceux qui, comme nous, défendent l'œuvre de prévoyance et de sagesse de nos aïeux dans toute l'étendue de notre vieille France, en demandant le maintien du principe consacré par l'article 913 du Code Civil. >>

«Quant aux motifs, aux causes de mes préférences pour l'espèce de co-propriété de famille que suppose nécessairement la réserve, les voici : »

Je suis d'un pays de coutume, là où l'hérédité naturelle est la base essentielle, primordiale du droit successoral; là où à la maxime la mort saisit le vif correspond exactement, dans l'ordre politique, le vieux cri de ralliement: le Roi est mort, vive le Roi; tandis que, dans le droit romain, le droit du chef de famille de choisir son héritier avait, comme conséquence logique, entraîné pour le César régnant le pouvoir de désigner son successeur par voie d'adoption. >>

«Ne vous étonnez pas, dès lors, que, fils d'un pays de coutume, né dans une province rattachée l'une des premières au domaine de la Maison de France, moi qui suis monarchiste, moi qui n'ai jamais été à aucun moment, ni à aucun degré, impérialiste, je préfère l'hérédité naturelle à l'hérédité fictive, à l'hérédité testamentaire, la réserve à la légitime; ne vous étonnez pas, surtout, que, fidèle à la pensée de conciliation des auteurs du Code Civil, je demeure le partisan convaincu et impénitent, je l'avoue, de la limitation apportée par la loi au pouvoir du père de famille de disposer à titre gratuit du patrimoine qui doit former l'actif net de sa succession. >>

Résumé de la discussion par M. Lucien BRUN, président.

Après une discussion à laquelle un grand nombre des membres de l'assemblée ont pris part, M. le Président a résumé en quelques mots les voeux du Congrès, tels qu'ils lui paraissaient résulter des rapports entendus et des observations échangées entre les orateurs.

La loi civile doit à la famille et à l'autorité paternelle qui la gouverne une protection efficace dans tout ce qui est indispensable à la permanence des institutions domestiques. Les jurisconsultes catholiques demandent que la législation assure ou tout au moins, et en attendant mieux, favorise la transmission intégrale du foyer et de l'atelier.

Il est donc nécessaire de poursuivre d'abord l'abrogation des dispositions législatives qui, aggravées par l'interprétation excessive de la jurisprudence, obligent les tribunaux et le père de famille lui-même, à composer les lots de biens non seulement de même valeur, mais de même nature. C'est à l'unanimité que le Congrès a accepté ces conclusions et condamné le régime du partage forcé.

Aucune législation ne peut dispenser le père des obligations que lui imposent envers ses enfants la loi naturelle et la loi révélée. Cette réserve faite, le Congrès se déclare partisan de la liberté testamentaire, sans pouvoir, dans le temps étroitement limité qu'il consacre à ces graves problèmes, déterminer dans quelle mesure il pense que l'état des esprits et des mœurs, le régime économique, les habitudes et le tempérament de la nation, permettraient d'augmenter, dès aujourd'hui, la quotité disponible légale. Une réforme, dans le sens de la liberté la plus large possible, est nécessaire; « il faut donc préparer les esprits à la comprendre, les enfants, à en reconnaître la convenance et l'utilité, les pères à en user avec justice et discernement. » Les intérêts moraux et sociaux les plus graves réclament la restauration de l'esprit de famille et à la conservation des héritages. La liberté testamentaire ne suffira pas sans doute à elle seule à produire cette restauration, mais elle en sera un des instruments les plus efficaces.

Le Congrès a donné une vive adhésion à cette expression de sa pensée et de ses vœux.

Voir le rapport de la commission ci-dessus, p. 52, dont les conclusions sont ainsi adoptées.

NOTA. Les écudes de la 3' et de la 4o commission paraitront au numéro prochain, qui terminera les travaux du S' Congrès des jurisconsultes catholiques.

CHRONIQUE DU MOIS

73

Suite de l'étude sur la reconstitution de la vie et de la propriété rurales. -Les projets de loi de persécution religieuse. Il faut aller « lentement, mais sûrement. La visite du Kronprintz au Vatican. - Situation financière de la France au 31 décembre 1883. Les lois et les hommes de l'enseignement public. Les républicains cosmopolites.

- Le budget. - Vaillance de notre armée. - Souhaits.

Continuons l'étude commencée dans la dernière chronique et relative à la vie sociale, si mal partagée, en France, entre la ville et la campagne.

Notre état social actuel, ai-je dit, rappelle celui de la décadence romaine et de la chute de l'Empire. Les GalloRomains avaient, comme nous, abandonné la vie rurale pour s'entasser dans les villes. La campagne était dans une situation déplorable, à l'époque des invasions barbares. On y était pressuré et violenté par les restes de l'administration impériale, devenue impuissante dans les villes. On y manquait de bras et de ressources de tout genre, par suite de l'émigration générale dans les centres populeux, où l'indépendance municipale, un commerce assez étendu et des plaisirs de tout genre attiraient les propriétaires comme les ouvriers ruraux.

Les Barbares qui envahirent la Gaule, changèrent cette situation. Ils s'établirent généralement à la campagne. Francs, Burgondes, Visigoths et autres envahisseurs, étaient de rudes travailleurs des champs, autant que de braves soldats. Ils amenaient avec eux leurs familles, leurs femmes, leurs enfants, tout ce qu'ils avaient de chevaux, de boeufs, de troupeaux de toute espèce. Habitués à une vie patriarcale, pastorale et agricole, ils s'installèrent dans nos riches plaines, sur nos coteaux boisés, près des splendides forêts et des innombrables cours d'eau de la vieille Gaule, partout où les attiraient la fertilité du sol et les ressources qu'ils pensaient en faire surgir. Ils reconstituèrent la propriété rurale, la culture presque abandonnée en un mot, la vie de la campagne, où ils ne craignaient pas les Romains, définitivement chassés par leurs invasions, où ils ne désiraient pas la vie factice des cités, peu en rapport avec la simplicité et la pureté de leurs moeurs brutales, mais encore ignorantes de la corruption des civilisations avancées.

C'est ainsi que s'établit peu à peu la noblesse féodale, toute composée de propriétaires ruraux. C'est ainsi que se

« PreviousContinue »