Page images
PDF
EPUB

magne, ajoutent : « ceci vient de ce que l'outillage est très perfectionné, de plus l'ouvrier qui dirige une machine reçoit 2 fr., ici ce serait 5 et 6 fr. » L'écart est grand, on le retrouve dans la plupart des professions.

Les fabricants de pianos constatent que le salaire de l'ouvrier n'est pas au-dessous de 10 fr. « depuis la dernière grève, » à Berlin il est de 5 fr. seulement.

Ce que nous payons 8 fr. disent les facteurs d'instruments de musique, on le paie 4 en Belgique. A Strasbourg, dit le gérant des menuisiers, un ouvrier gagne 3 à 3 fr. 50 et chez nous 6 fr. Il est vraisemblable que les ouvriers parisiens travaillent plus vite et mieux que ceux de Strasbourg, mais quand ils produiraient davantage, quand ils produiraient un tiers de plus qu'à Beriin (ce qui n'est pas établi), l'écart serait encore bien grand entre les uns et les autres.

Quant à la hausse des salaires elle a deux causes, la grève et la cherté croissante de la vie ou plutôt, pour les ouvriers, elle n'a qu'une seule cause, la cherté de la vie; la grève suivant eux n'a été que le moyen d'obtenir un salaire équitable.

<< Votre industrie était naguère toute parisienne ? » demande M. Barberet au gérant des bijoutiers en doré.

Et le gérant répond : « Oui, malheureusement nous avons eu des grèves qui ont fait beaucoup augmenter les salaires, les ouvriers qui gagnaient 5 fr. en 1868, ont recommencé à travailler à 7 fr. en 1871, parce que les vivres étaient chers.

« L'ouvrier comprend bien le tort que nous fait la concurrence étrangère; on lui dit vous gagnez 7 fr. par jour. Mais il répond: c'est à peine si cela suffit à mes besoins. Il consentirait à une réduction de salaires si l'on pouvait trouver moyen de faire baisser le prix des objets de première nécessité.

» Je crois être l'interprète d'un grand nombre de mes collègues qui font l'article de Paris. Nous vivions mieux peut-être en 1867 et 1868. Si l'on pouvait arriver à réduire le prix des objets d'alimentation et des loyers, le reste suivrait et les salaires pourraient baisser de 20 à 25 0/0. »

C'est le langage constant des déposants : nous ne pouvons travailler à moindre prix, parce que nous devons vivre et faire vivre nos familles. A quoi l'on peut répondre de suite Comment vous plaignez-vous, alors, de la concurrence que vous viennent faire à Paris même les 'ouvriers étrangers? Le coût de la vie est le même pour eux que pour vous et ils consentent à travailler pour des prix que vous n'acceptez pas?

La même question s'est posée aux Etats-Unis, où les

Chinois font une grande concurrence aux ouvriers indigènes et ceux-ci ont nettement indiqué le remède en demandant l'exclusion des Chinois; ils y ajoutent même depuis peu l'exclusion des ouvriers européens, qui travaillent à moindre prix qu'eux tout en exigeant plus que les Chinois. Nos ouvriers parisiens n'ont pas osé aller à ce point, du moins devant la commission d'enquête. Ils se bornent à faire entendre de grandes plaintes sur le nombre des ouvriers étranger travaillant à Paris. Suivant les peintres en bâtiment, « les deux tiers des ouvriers peintres à Paris sont étrangers une maison Ayoli, travaillant pour l'Etat, n'occupe que des étrangers. Ils sont payés moins que la série des prix de la ville, et c'est la cause des rabais que l'on fait. >>

Paroles bien imprudentes, au moins les dernières, car ce sont les associations de peintres qui ont obtenu l'adjudication des peintures du nouvel Hôtel-de-Ville de Paris, grâce à un rabais énorme sur la série des prix de la ville 44,71 0/0A la vérité il y a plusieurs associations de peintres; la société concessionnaire exploiterait-elle le travail étranger? Mais celle-là même qui se plaint, raconte qu'elle vient d'exécuter pour 51,000 fr. de travaux « sur lesquels nous espérons faire 9,000 fr. de bénéfice et encore nous étions sous-traitants. »

Une autre société de peintres indique enfin un remède à cette concurrence fâcheuse, c'est l'intervention de l'Etat fixant un minimum des salaires. Les déposants s'inquiètent peu d'ailleurs des moyens de faire exécuter une telle prescription, il leur suffit de l'indiquer.

La typographie, dit le gérant de la société de l'Officiel, est encombrée d'ouvriers qui ne savent pas travailler. Il vient des étrangers ne sachant guère le français et travaillant à prix réduit; ils trouvent quand même à s'employer. >>

Les jardiniers se plaignent des étrangers « fils de petits patrons de Belgique, de Suisse, d'Allemagne, qui viennent chez nous apprendre le métier et travaillent pour cela à bas prix. Ils sont assez bons ouvriers. » Ce n'est donc pas comme dans le métier précédent. Les peintres aussi parlent avec franchise: « Les étrangers travaillent au moins autant que les Français... ils sont très dociles et plus disciplinés, c'est regrettable à dire, mais il ne faut pas se cacher la vérité à soi-même. »

Voilà donc une des raisons qui font rechercher l'ouvrier étranger: il est plus docile et plus discipliné; il y a une autre raison: il se contente d'un moindre salaire. Mais pourquoi? Il habite au même endroit que l'ouvrier français. Oui, mais l'ouvrier français a plus de besoins; il a surtout

plus de besoins factices. De 1853 à 1870 les salaires avaient fort augmenté, ils se sont accrus de 1872 à 1883 dans une proportion au moins aussi forte. Un accroissement du quart ou même du tiers a été fréquent parmi les ouvriers du bâtiment; certains salaires ont doublé. Or, ces accroissements rapides ont donné le goût de la dépense à des hommes qui y sont naturellement portés. Il leur a semblé que la situation ne pouvait que s'améliorer, et aujourd'hui l'appât de ces hauts salaires a attiré des concurrents étrangers qui vont devenir redoutables.

Je dis qui vont, car actuellement encore les salaires des peintres, des typographes, des maçons sont de 6 à 15 fr. donnant une moyenne d'au moins 8 fr. par jour, malgré la présence des étrangers. Mais cela durera-t-il? C'est une question que les ouvriers de Paris très exigeants et très portés à la grève feraient bien de se poser.

Il n'est que juste aussi de reconnaître qu'à côté des dépenses superflues, les dépenses nécessaires se sont augmentées d'une manière sensible. Les loyers et les objets d'alimentation sont plus coûteux. Mais au lieu d'en chercher la cause dans la malice des capitalistes, les ouvriers feraient mieux de rentrer en eux-même et de reconnaître qu'ils sont les auteurs principaux d'un tel état de chose:

Les maçons, les charpentiers, les menuisiers, les peintres ne semblent pas comprendre qu'en réclamant de forts salaires, ils élèvent d'autant le prix des bâtiments à construire et par suite le coût des loyers.

Les ouvriers de tous les corps d'état devraient avouer qu'en nommant des députés et des conseillers municipaux dépensiers, ils ont accru les impôts, c'est-à-dire, grâce à l'octroi, le prix des denrées, des matériaux et en définitive de tous les autres objets. Ils ont applaudi aux démolitions de Paris, qui leur devaient procurer du travail et ils en ont eu pendant un temps; aujourd'hui ce travail est au bout et il en faudra à perpétuité payer les frais. On en peut dire autant de toutes les folies et de toutes les iniquités que nos gouvernants accumulent; les ouvriers qui trop souvent y applaudissent vont commencer à sentir ce qu'elles coûtent et ce ne sera pas un des moindres résultats économiques de notre politique intérieure depuis cinq à six

ans.

Peut-on espérer que ces vérités toutes sensibles et évidentes qu'elles soient, puissent être enfin aperçues et avouées? Une nouvelle enquête va commencer sur le sujet même qui a terminé mon étude. La manière dont a été nommée la Commission chargée de la suivre ne permet pas d'en attendre beaucoup d'impartialité. La vérité s'échappera-t-elle par quelque côté des liens où on voudrait la re

tenir ? Il le faut souhaiter, car la constatation de ce fait qu'il faut une bonne politique pour avoir une situation économique florissante, serait le meilleur effet qu'on pût attendre d'une telle enquête.

P. HUBERT-VALLEROUX,

Avocat à la Cour de Paris.

DE L'OUTRAGE PUBLIC A DIEU

(Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.)

Professer publiquement l'athéisme,

plus que cela,

attaquer, injurier, outrager Dieu publiquement par la parole ou par la presse, est-ce un fait punissable?

La conscience du genre humain répond: oui.

La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse répond: non.

Elle a, en effet, rayé du nombre des délits l'outrage à la morale publique et religieuse, qui était prévu et puni par la loi du 17 mai 1819, et l'outrage à la religion, qui était prévu et puni par la loi du 25 mars 1822.

Les dispositions nouvelles sont, à la fois, antijuridiques et antisociales : antijuridiques, car elles se fondent sur ce faux principe de droit qu'il n'y a pas de délit de doctrine; antisociales, car elles affirment que Dieu est sans droit dans la société humaine, ce qui ne tend à rien moins qu'à la détruire.

I.

Pour établir que le délit de doctrine ne peut pas exister juridiquement, les auteurs de la loi de 1881 ont raisonné ainsi : « La loi ne punit que l'acte; or, la pensée n'est pas un acte; la parole ou l'écrit ne sont pas non plus des actes, car ils ne sont que la forme de la pensée; donc, la loi ne peut pas plus les punir qu'elle ne peut punir la pensée elle-même. » (Rapport de M. Pelletan au Sénat.)

On voit du premier coup-d'oeil tous les vices de ce raisonnement. La pensée, délibérée et voulue, est certainement un acte, et l'homme en rendra compte à Dieu. Mais

c'est un acte interne, et, comme telle, elle échappe à la loi humaine. Cogitationis pænam nemo patitur (1).

La parole ou l'écrit, par lesquels la pensée se produit au dehors, sont des actes externes. On ne saurait donc les confondre avec la pensée. Comme actes externes, ils sont matériellement saisissables; la loi humaine a le droit, aussi bien que la possibilité, de les atteindre, s'ils présentent un mal que la société ait intérêt à punir. Scribere est agere (2). Il est à peine besoin d'exemples pour rendre ces vérités sensibles. Un libertin a conçu des pensées obscènes ; tant qu'il s'en repaît seul intérieurement, il ne nuit qu'à lui-même et demeure à l'abri des pénalités sociales; mais s'il étale ces pensées au grand jour, s'il les propage impudemment par la pornographie, il accomplit un acte externe, moralement répréhensible, socialement dommageable, et, par conséquent, susceptible d'être puni. même, si l'utopiste, après avoir forgé dans sa tête cette séditieuse maxime : « La propriété, c'est le vol,» se met à la prêcher en public; si l'impie, non content de dire dans son cœur: « Il n'y a point de Dieu, » le dit audacieusement en face de la société tout entière; nous trouvons là réunis l'acte externe, le mal intrinsèque et le dommage Social, c'est-à-dire l'ensemble des éléments qui, au regard de la loi humaine, constituent les faits punissables et justifient la répression.

[ocr errors]

De

Le législateur de 1881 en a jugé autrement. « Quand une intelligence parle à une autre intelligence, dit le rapport au Sénat, « lui impose-t-elle son opinion? Non, elle ne fait > que la proposer; on est toujours libre de l'accepter ou de la rejeter. Parler et convaincre sont deux idées dis> tinctes. Si celui qui parle n'a pas converti celui qui l'écoute, pourquoi le punir? Et, s'il l'a converti, est-ce que l'adhésion de l'auditeur n'est pas alors une présomption de vérité? » - Qu'est-ce à dire? Est-ce que toutes les intelligences sont également droites et fermes, capables de discerner le vrai du faux et de s'attacher uniquement au vrai? N'y en a-t-il pas, en trop grand nombre, qui ne peuvent, qui ne savent ou qui ne veulent s'empêcher d'être trompées et séduites? Prétendrait-on que tous ceux qui errent soient de bonne foi? Ne sait-on pas, au contraire, que beaucoup d'hommes, s'ils y avaient intérêt, iraient jusqu'à nier les vérités mathématiques? Faut-il donc tenir pour indifférente et inoffensive toute opinion et toute erreur touchant le gouvernement des sociétés humaines? - Que

(1) Ulpien, loi 18, Digeste, de panis.

(2) Principe consacré par la loi anglaise.

« PreviousContinue »