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pas vouloir faire des conversions ou réductions? Que deviendront, dans ce cas, les revenus de la Propagande ? Estce que les crises financières, les guerres et autres éventualités fâcheuses ne sont pas à prévoir également? Est-ce que la banqueroute d'Etat est inconnue à notre époque ? Ce que la république de 93 a fait, d'autres régimes sont-ils incapables de le refaire? Qui, en France ou en Italie, donnerait à une rente la valeur d'une propriété ? Est-ce que les simples suppressions opérées par le caprice administratif ne sont pas à redouter? Il appartient à nos pauvres prêtres français de répondre à cette question, eux qui ont si souvent, en ce moment même, à demander à la charité le pain que l'Etat leur enlève! Est-ce que les prêtres italiens ne connaissent pas aussi la suspension des traitements attachés aux biens que le Domaine piémontais s'est appropriés?

La rente laissée comme indemnité à la Propagande n'est donc qu'une compensation de peu de valeur, et que le débiteur pourra rendre illusoire.

Il faut savoir en outre que la Propagande a dû plus d'une fois, pour subvenir à des besoins extraordinaires, disposer même de son capital. On l'a vu récemment, lors des famines de la Chine et du Tonkin, et des épreuves du Vicariat de Constantinople.

On objecte encore, à l'appui de la confiscation, que la loi n'empêche pas la Propagande d'accepter de nouveaux legs et d'acquérir. Mais on n'ajoute pas qu'elle ne pourra le faire sans une autorisation spéciale du gouvernement italien, et qu'elle ne pourra acquérir aucun immeuble. Voilà donc le gouvernement spirituel du monde catholique livré aux caprices d'un ministre ou d'un préfet du roi Humbert. Est-ce juste? est-ce possible? est-ce légal et conforme aux protestations tant de fois faites, aux lois mêmes que la Révolution a édictées ?

La secte triomphe, car elle fait obstacle d'une manière directe au développement du christianisme. Peut-on comprendre qu'un gouvernement qui se dit catholique, s'associe à un triomphe semblable? Les feuilles officieuses se félicitent pourtant de ce que le fisc italien va encaisser au moins six millions, sur les quinze ou dix-huit auxquels on estime les biens de la Propagande.

Si la justice régnait encore dans le monde, si la secte ne tenait pas asservis la plupart des gouvernements européens, jamais un attentat semblable n'aurait été consommé. Aujourd'hui le monde est livré au mal. Il ne reste au droit d'autres ressources que les lenteurs calculées de la révolution à accomplir ce qu'elle a résolu. Quelques révolutionnaires moins audacieux que d'autres disent, paraît-il, que le gouvernement d'Italie ne mettra pas encore à exécution 18

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l'arrêt de la cour de cassation. On veut endormir la victime avant de l'immoler.

Le saint Père a adressé aux Nonces une note de protestation, destinée à être communiquée aux divers gouvernements. Le cabinet de M. Grévy a reçu communication de ce document diplomatique. Nous verrons s'il reste en Europe quelque sentiment de justice, si quelque homme d'Etat osera encore disputer sa proie à la secte.

Pour nous, catholiques, nous devons protester contre ce qui vient de s'accomplir. Nous assistons impuissants au triomphe du mal, sans savoir quand il plaira à Dieu d'accorder un peu de repos à l'Eglise. Mais nous nous rappelons une parole de l'Evangile, que les spoliateurs et les persécuteurs de tous pays devraient méditer :

<< Il doit y avoir des scandales; mais malheur à ceux par qui les scandales arriveront! »

Protestons énergiquement contre ce scandale nouveau! Protestons aussi contre la coupable indifférence de tant de catholiques. Quand l'Eglise est persécutée, ses enfants ne doivent-ils pas être en deuil?

Admirons en même temps le calme et le courage du Vicaire de Jésus-Christ. Des nouvelles privées et certaines, venues de Rome, attestent la profonde douleur que le Saint Père éprouve du coup porté à l'Eglise. Cependant, au moment même où on le dépouille, il fait exprimer son indignation contre les auteurs de l'attentat dont le roi Humbert a failli être victime; il trouve moyen d'envoyer dix mille francs au Tonkin à la première nouvelle des massacres et des pillages signalés par Mer Puginier; en même temps il adresse à la France l'admirable lettre dont j'ai parlé, et du fond de sa prison, chaque jour un peu plus dépouillé et enchaîné, il continue de gouverner l'univers catholique avec la sagesse, la douceur et la majesté d'un grand roi qui serait l'arbitre du monde.

C'est qu'il l'est réellement, et son témoignage sera terrible un jour pour plusieurs qui croient triompher de sa faiblesse et de sa pauvreté, et pour d'autres qui pensent assurer leur pouvoir éphémère en sacrifiant l'Eglise aux sectes sataniques.

Encore une fois nous savons que l'Eglise doit souffrir et qu'il doit y avoir des scandales; si nous l'avions oublié, il en est assez en France, comme en Italie, qui nous le rappelleraient. Mais que d'autres aient, pour eux-mêmes, l'égoïste sagesse de ne pas oublier cette menace aussi terrible que certaine :

<< Malheur à ceux par qui les scandales arriveront. » A. DESPLAGNES, Ancien Magistrat.

TEXTE DU PROJET DE LOI SUR LES ASSOCIATIONS

Présenté au Sénat, le 23 octobre 1883, au nom de M. Jules Grévy, président de la République française, par M. Waldeck-Rousseau, ministre de l'intérieur.

Nous croyons devoir reproduire, en raison de sa gravité, le projet de loi suivant, ainsi qu'une partie de l'exposé des motifs.

Nous appelons sur ce projet l'attention des collaborateurs de la Revue.

EXTRAIT DE L'EXPOSÉ DES MOTIFS.

Ce qui alarme généralement, c'est moins la perspective d'une entente formée entre un certain nombre de personnes, que l'idée d'une possession de biens, d'un patrimoine grossissant sans cesse au profit de l'association elle-mème, se perpétuant, s'immobilisant. On confond, en cela, le régime résultant du droit commun pour toutes les associations, avec le régime privilégié obtenu par certaines d'entre elles. Ce qui effraie, c'est la perpétuité d'une association survivant à ses membres, distincté de tous et de chacun, possédant pour le compte d'un étre de raison, et arrivant par la pérennité de son institution à constituer une mainmorte, à soustraire ses biens à cette loi économique, fondamentale, essentielle; le partage, la circulation.

Or, c'est là un danger qui ne résulte nullement de l'application du droit commun aux associations. Il ne se produit que dans le cas où, par une faveur particulière, l'Etat vient à reconnaître une association comme formant une personne distincte de la personne de ses membres. Alors, en effet, ce ne sont plus les sociétaires qui possèdent en commun, c'est la personne fictive introduite par l'Etat dans l'Etat. Ils ne participent aux avantages de la communauté que par la voie d'accession à cette personne. Disparaissent-ils? elle demeure, sans qu'aucun de ceux qui la quittent emporte la moindre parcelle de son patrimoine. Ainsi, chaque jour, elle reçoit sans jamais rendre, et ce qu'elle acquiert est aussitôt frappé d'immobilité. Que faut-il donc pour que surgisse ce péril d'une fortune toujours grandissante et soustraite à l'action continuelle de la circulation?

Il faut qu'à côté des biens, et en dehors des personnes, se constitue un être susceptible de se perpétuer. Il faut que l'association acquière ce qui, dans le langage du droit, s'appelle la personnalité civile, parce que la definir c'est justifier en meme temps la nécessité d'une intervention de l'Etat pour la concéder; si elle ne résulte de plein droit ni du fait de la société, elle ne peut naître, se constituer que par une sorte de pacte intervenant entre l'association et l'Etat.

Certaines dispositions pourraient permettre d'éluder cette disposition de là loi, de constituer en dehors de la personnalité civile reconnue, une personnalité civile occulte. Par des combinaisons ingénieuses et qui ne sont point nouvelles, on peut

établir tel mode de dévolution des biens d'une association, dont l'effet calculé est d'en perpétuer la détention entre les mains de ses chefs, de faire qu'a aucun moment chacun des sociétaires n'ait sur eux un droit réalisable, qu'il ne puisse sortir de l'association qu'à la condition d'abandonner ce qu'il y a mis ou ce qu'il y a gagné. C'est dans le but d'éluder ce genre de fraude, que l'article 25 déclare nulle toute clause de reversibilité et de tout pacte ayant pour but ou pour résultat de perpétuer la propriété de tout ou partie des biens de l'association dans la personne d'un ou plusieurs de ses membres, présents ou à venir. Le même article donne, en pareil cas, ouverture à l'action en dissolution, tant de l'association que de la société. En résumé, les associations', qu'on pourrait appeler de droit commun et qui ne voudront obtenir aucun privilège, sont affranchies de toute entrave. Le contrat qui se forme est soumis aux règles générales du droit. Il ne donne ouverture à des poursuites que si la cause en est illicite, contraire à l'ordre public ou aux bonnes mœurs. Libres de former entre eux un contrat d'association, les membres qui la composent peuvent également fonder des sociétés de biens, vivre dans l'indivision, s'ils possèdent par indivis, sans autres prescriptions que celles qui régissent ces differentes formes de la propriété.

Une restriction formelle est au contraire apportée à la formation des associations entre Français et étrangers, - à la formation des congrégations religieuses.

Notre droit public, toutes les Constitutions républicaines, ont, à maintes reprises, proscrit tout ce qui constituerait une abdication des droits de l'individu, une renonciation à l'exercice des facultés naturelles de tous les citoyens : droit de se marier, d'acheter, de vendre, de faire le commerce, d'exercer une profession, de posséder, en un mot, tout ce qui ressemblerait à une servitude personnelle. De là vient que tout engagement personnel doit être temporaire, et que, même temporaire, il il ne peut être absolu, porter sur l'ensemble des droits de la personne.

L'association qui reposerait sur une abdication de cette nature, loin de tourner au profit de chacun de ses membres, tendrait directement à le diminuer, sinon à l'anéantir.

Or, tel est le vice de la congrégation proprement dite. Elle n'est pas une association formée pour développer l'individu : elle le supprime; il n'en profite pas: il s'y absorbe.

Ce renoncement est assez hautement proclamé par la constitution de la plupart des ordres monastiques, pour qu'une société vigilante, soucieuse de sa conservation, ne se désintéresse pas de leur formation, de leurs développements. L'article 18 propose de décider qu'aucune congrégation religieuse ne pourra s'établir sans autorisation.

Il devait en être de même des associations entre Français et étrangers. Ici encore, l'intérêt national est trop directement engagé; de semblables associations peuvent exercer sur l'avenir économique du pays, sur sa prospérité, sur sa sécurité, une influence trop décisive, pour que l'Etat, c'est-à-dire le pays même, ne retienne pas le droit, après un examen attentif, approfondi, de les permettre ou de les interdire.

Après ces observations générales, une rapide analyse de certains articles permettra de saisir dans ses détails l'économie de ce projet de loi.

Le titre IV concerne les associations qui ne peuvent se former sans autorisation préalable. Ce sont: les associations entre Français et étrangers et les congregations religieuses. Cette exception d'une part, cette réserve de l'autre, ont été suffisamment justifiés plus haut. Aux termes de l'article 23, une loi

sera nécessaire pour les autoriser. Cette disposition modifie l'article 2 de la loi du 24 mai 1825 et abroge le décret du 31 janvier 1852, qui a donné lieu à tant d'abus.

L'article 19 énumère les conditions que doivent remplir les associations entre Français et étrangers pour être autorisées. L'article 20 maintient les lois en vigueur qui concernent la forme dans laquelle doivent être autorisées les congrégations religieuses.

L'article 21 assimile aux associations illicites au point de vue de la dissolution et des pénalités, les associations entre Français et étrangers et les congrégations religieuses non autorisées. Il importe de remarquer notamment, à l'égard de ces dernières, que l'autorité administrative n'aura plus à intervenir pour les dissoudre et les disperser. Elles n'ont été aussi hardies à reconstituer que parce que les lois prohibitives n'avaient pas de sanction pénale. L'article 21 comble cette lacune. Désormais la loi ne sera plus impunément bravée. Tous les membres composant ces deux sortes d'agrégations sont passibles des peines édictées par l'article 5. La peine applicable aux fondateurs et administrateurs est portée au double.

L'article 22 atteint également ceux qui auront prêté ou loué sciemment un local pour les réunions de ces congrégations. L'article 24 a pour objet, ainsi qu'on l'a précédemment exposé, d'interdire certaines combinaisons imaginées pour éluder la loi, et soustraire les valeurs mises en commun par les societaires aux règles les plus fondamentales de notre droit public.

Les articles 25 et 26 ne paraissent pas nécessiter de commentaire.

Enfin, l'article 27 dispose que le projet de loi qui vous est soumis sera applicable aux associations déjà existantes. Un large délai leur est accordé pour s'y conformer. C'est aux tribunaux que les infractions à cet article, comme toutes celles prévues plus haut, seront déférées.

Quand au second paragraphe, en énumérant les dispositions de loi qui sont abrogées, il se propose de couper court aux difficultés qui naissent toujours de l'abrogation sommaire des dispositions contraires à la loi nouvelle.

Tel est, Messieurs, le projet de loi que le Gouvernement a l'honneur de vous soumettre.

PROJET DE LOI.

TITRE I".

ART. 1er. L'association est la convention par laquelle deux ou trois personnes mettent en commun leurs connaissances ou leur activité dans un but autre que de partager des bénéfices. Elle est régie par les principes genéraux du droit applicables aux contrats et obligations.

ART. 2. - Toute convention d'association fondée sur une cause illicite est nulle et de nul effet. La dissolution en est prononcée à la requête soit des membres de l'association, soit de tous ceux qui y ont intéret, soit du ministère public.

ART. 3. Le jugement qui prononcera là dissolution de l'association portera défense de la reconstituer en tout ou en partie et sous quelque forme que ce soit.

ART. 4. La dissolution sera prononcée de plein droit en cas de condamnations encourues par les administrateurs ou gérants de l'association pour infraction aux dispositions des articles 410 et 411 du Codé pénal.

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