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de famille, sauf à prendre toutes précautions pour empêcher ce fils de spéculer sur ce don et de le faire passer au lendemain du partage dans des mains étrangères.

Réforme bien facile, car elle ne demanderait encore qu'un texte bien court; il suffirait d'ajouter aux dispositions de l'article 1076 du code civil un alinéa ainsi conçu :

« La disposition de l'article 832 n'est pas applicable aux » partages d'ascendants; aucune contestation ne peut être » soulevée contre ces actes à raison de la nature des droits » et valeurs attribuées à chaque donataire ou légataire » pour lui tenir lieu de sa part héréditaire. »>

On n'objectera pas du moins à cette seconde réforme le danger de préparer des procès nombreux, elle ne pourrait que les diminuer.

3o La faculté de substituer nous paraît assez largement reconnue par le code.

Elle peut avoir son utilité, mais les substitutions ont à nos yeux un inconvénient grave qui nous empêche de désirer une extension du droit de substituer cet inconvénient c'est celui de lier le père de famille et de paralyser son autorité. L'appelé en effet a une vocation qu'il tient de son grand-père, et qui, au point de vue des intérêts successoraux, lui donne vis-à-vis de son père une indépendance absolue. Son droit, il ne l'exercera pas comme héritier de son père, et il ne le perdra pas pour avoir commis envers lui un des actes prévus par l'article 727-2o et 3o. On peut même se demander si la condamnation de l'appelé à une peine afflictive perpétuelle, dans le cas du meurtre du père, ferait perdre sa vocation à des biens qui ne sont point de la succession de celui-ci, vocation ouverte avant même qu'ait pu être encourue la déchéance édictée par la loi du 31 mai 1854.

Sans doute comme donataire ou légataire, il est exposé à la révocation pour ingratitude, à raison de faits bien. moins graves que ceux de l'article 727; mais vis-à-vis de son père, le grevé, il peut tout se permettre; les sévices, délits et injures graves dont il se rendrait coupable vis-àvis de son aïeul donateur ou testateur pourraient seuls justifier une demande de révocation (art. 955 et 1046.)

On voit pourquoi nous ne demandons pas une extension du droit de substituer la seule réforme que nous pourrions proposer en cette matière, consisterait à accorder au grevé le droit de disposer entre ses enfants des biens substitués, et la faculté d'exclure du partage l'enfant qu'il aurait le droit d'écarter de sa propre succession à lui.

Nos vues sont modestes, on le voit; nous croyons cependant qu'elles donneraient dans une mesure assez large satisfaction à ceux qui désirent une réforme des lois de

succession, propre à fortifier l'autorité du père, nécessaire à la bonne direction morale de la famille, et propre aussi à faire disparaître les graves inconvénients économiques du partage tel que notre Code l'a réglé.

APPENDICE

Il y a des propriétaires, des pères de famille même qui peuvent se trouver dans l'impossibilité de tester, ou qui se laissent surprendre par la mort avant d'avoir pourvu au partage de leurs biens.

Les règles du partage entre héritiers ab intestat aboutissent trop souvent au morcellement des terres, à la vente de l'usine ou de l'établissement agricole; la maison paternelle passe en des mains étrangères. On est assez généralement d'avis qu'il y aurait lieu de modifier les règles du partage en justice, de manière à faciliter la conservation dans la famille de l'établissement agricole, industriel ou commercial fondé par l'un de ses membres, à permettre à l'un des enfants de conserver la maison paternelle.

Les dispositions à prendre doivent, d'une part, sauvegarder l'intérêt des héritiers les moins riches, et, de l'autre, empêcher l'un des héritiers de déguiser une honteuse spéculation sous l'apparence d'un attachement honorable à la demeure paternelle ou au domaine créé par le de cujus.

On nous permettra de terminer cette étude sur les droits et les devoirs du père de famille, en donnant sans commentaires la formule de quelques dispositions à introduire au titre du partage, telle qu'elle a été présentée au Congrès de Nantes par notre ami et ancien collègue, M. de Marsaguet, et par nous.

A défaut d'autre valeur, elle pourrait tout au moins servir de point de départ à l'étude d'une solution pratique et acceptable. Voici ces dispositions :

1o Faire suivre l'article 824 de la disposition suivante : 824 bis. « Même au cas où la succession ne compren» drait pas d'autre immeuble, l'un quelconque des héritiers » pourra se faire attribuer, au prix fixé par les experts, » l'établissement agricole, industriel ou commercial, ex» ploité par le défunt.

» Les descendants auront le même droit, relativement, » à la maison, avec ses dépendances, servant à l'habitation » du défunt.

» L'immeuble ainsi attribué ne pourra, pendant dix ans, » être aliéné à titre onéreux; il pourra être donné, hypo>> théqué ou grevé de servitudes.

>> S'il y a concours entre plusieurs héritiers pour l'exer»cice de ce droit, il y aura lieu à licitation entre eux.

» Le Tribunal pourra, si les circonstances paraissent » l'exiger, ordonner que les étrangers seront admis à en» chérir. La requête de l'héritier ne sera recevable qu'au>> tant qu'elle contiendra soumission de porter ou faire > porter le prix à un dixième en sus de celui qui aura été » fixé par les experts. >>

2o Ajouter à l'article 829 la disposition suivante :

<< Dans les dix jours de l'adjudication prononcée au pro> fit d'un étranger, tout héritier, s'il s'agit des immeubles » mentionnés au premier alinéa de l'article 824 bis; tout » descendant, s'il s'agit de l'habitation du défunt, pourra, » par simple déclaration au greffe, prendre le lieu et place > de l'adjudicataire. »

30 Ajouter à l'article 866 une disposition ainsi conçue : « Quelle que soit la valeur de l'immeuble donné, s'il est › de la nature de ceux mentionnés en l'article 824 bis, le » donataire pourra le retenir en totalité, sauf à moins pren>dre et à récompenser ses cohéritiers en argent où au>> trement. >>

GAVOUYÈRE,

Doyen de la Faculté catholique de droit d'Angers.

LA THÉORIE DE LA PERSONNALITÉ CIVILE DES ASSOCIATIONS.

Tout ce qui touche à la nature juridique de l'association a en ce moment un intérêt capital. Dans le dernier numéro de la Revue, M. Lucien Brun a stigmatisé la persécution et la spoliation qui se cachent sous un titre hypocrite dans le projet de loi sur les associations, déposé au Sénat par M. Waldeck-Rousseau. M. Gairal a, de son côté, commencé une étude du plus haut intérêt sur les atteintes qu'emportés par leur haine des congrégations et des associations religieuses, les sectaires, de qui émane en réalité ce projet odieux, menacent de porter aux relations internationales établies spontanément entre les savants et les industriels des différents pays.

Mais après ces considérations qui touchent aux intérêts

les plus relevés de la conscience et de la liberté humaine, il faut encore étudier ce projet, néfaste entre tous s'il devait devenir une loi, dans ses origines et dans ses conséquences juridiques pour les nombreux intérêts privés et publics menacés par lui.

Cette étude vient précisément d'être faite par un professeur de l'Université de Louvain, M. Van den Heuvel, qui avait déjà publié dans ces dernières années des travaux fort remarqués sur ces questions et qui a fait paraître tout récemment un ouvrage de premier ordre intitulé : De la situation légale des associations sans but lucratif en France et en Belgique (1). Nous sommes vivement frappés de l'intérêt tout à fait actuel de ce livre qui apporte, comme à point nommé, des éléments précieux de discussion dans le grand débat pendant au Sénat. Cependant l'ouvrage de M. Van den Heuvel n'est pas une publication de circonstance, c'est, avant tout, une œuvre scientifique d'une portée générale et qui est le fruit de longues études. Elle n'en aura que plus d'autorité.

Deux grandes questions y sont traitées : 1o celle de la vraie nature de la protection juridique due aux intérêts communs des personnes qui ont formé une association; 2o celle de la capacité personnelle des associés.

I

Dans l'enseignement courant du droit en France et en Belgique, et même dans le langage du palais, on emploie l'expression de personne morale, de personne juridique pour désigner l'ensemble des droits communs des associés. On l'emploie surtout quand il s'agit de leur représentation en justice. Parfois même l'on va plus loin et l'on dit que l'association forme une personne morale, distincte de celle des associés et plus ou moins indépendante d'eux.

Qu'y a-t-il au fond de cette manière de parler? Voilà ce que M. Van den Heuvel examine d'abord. Il montre avec une solide érudition historique et une rigoureuse analyse juridique que cette théorie de la personnalité civile a pour origine une des innombrables fictions auxquelles la raideur et le formalisme du vieux droit quiritaire avaient obligé les jurisconsultes romains à recourir.

En réalité ils se trouvaient placés en présence des trois

(1) Un volume in 8°, à Bruxelles, chez Ferdinand Larcier, libraireéditeur, 10, rue des Minimes. A Paris, chez Pedone-Lauriel, 13, rue Soufflot.

difficultés que soulève la formation de toute association, même de la plus humble société commerciale :

1° Nécessité de faire représenter les associés par l'un ou plusieurs d'entre eux en justice sans être obligé de les lier tous à l'instance;

2o Séparation du patrimoine resté propre à chacun des associés de celui qu'ils ont mis en commun, en sorte que les créanciers pour un fait social ne puissent pas venir concourir avec les créanciers particuliers de chacun des associés et réciproquement;

3o Attribution du caractère mobilier au droit de chaque associé, alors que dans les choses mises en société il y a des immeubles.

Pour trancher ces difficultés, les jurisconsultes romains imaginèrent la fiction d'une personne morale, distincte de la personne réelle des associés, soutenant et perpétuant ces intérêts communs.

L'emploi de cette fiction pouvait convenir au génie propre du droit romain; mais, en soi, elle n'est nullement nécessaire pour expliquer la protection juridique des intérêts communs.

Elle était inconnue à l'ancien droit germanique comme à la pratique coutumière de la France: elle s'est introduite seulement, à partir du xvIe siècle, dans la langue juridique par suite de la prépondérance exclusive donnée depuis cette époque au droit romain.

Mais, quand on va au fond des choses, on voit que cette fiction ne correspond à rien de réel.

La libre activité de l'homme ne peut se produire dans sa plénitude qu'à la condition de se combiner avec celle de ses semblables. De l'association des volontés et des droits naissent des intérêts communs qui doivent être représentés et défendus en justice, qui doivent pouvoir se réaliser et se perpétuer par la propriété. Ce droit des citoyens à agir en commun dérive de la nature sociale de l'homme, et, quand le but poursuivi est légitime, il s'impose au législateur civil qui doit seulement le sanctionner et le protéger.

Ce n'en sont toujours pas moins des droits individuels qui réclament sa protection, droits s'exerçant en commun au lieu de s'exercer isolément (1).

De même le fondateur d'une œuvre de bien public créée au profit de ceux appelés à bénéficier de sa fondation des droits réels qui réclament la protection du législateur au même titre.

(1) La propriété pendant la Révolution dans la Revue des DeuxMondes du 15 septembre 1877.

XIIe-I

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