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du 15 mars 1883, a été précisée par la Cour de Paris dans un arrêt du 13 décembre 1883 (Moniteur judiciaire de Lyon du 19 déc. 1883) qui déclare: « que le législateur de » 1881 a entendu confier au jury le soin de prononcer sur > les poursuites motivées par des censures d'actes de » fonctions, lorsque lesdites censures, rendues publiques » au moyen de la presse ou de la parole, revêtent le carac» tère d'injures plus ou moins relatives à la fonction ou à » la qualité du dépositaire de l'autorité contre lequel elles » sont dirigées, tandis que ce même législateur a laissé en > dehors de ses prévisions, par conséquent à la juridiction » correctionnelle l'outrage même public par paroles, se ⚫ produisant à l'occasion de l'exercice des fonctions, lors» que la parole outrageante par son caractère spécial, » restreint et en quelque sorte vulgaire, n'implique à aucun › degré de la part du prévenu l'examen et la critique des > actes du fonctionnaire outragé, tel que, dit le rapporteur » de l'arrêt précité, le propos grossier du vagabond ou de > l'ivrogne trouvé sur la voie publique, et conduit au Dépôt » après quelques heures de séjour au poste, par un agent qu'il insulte sur la voie publique. >>

Nous approuvons fort cette jurisprudence qui prête gratuitement au législateur des vues profondes et justes et qui aboutit à distinguer la critique de l'insubordination et de la grossièreté. Mais il nous semble que les textes légitiment assez peu cette démarcation entre le propos restreint et en quelque sorte vulgaire et la protestation violente, mais raisonnée, contre un acte de la fonction. Si l'on s'en rapporte à l'ancienne jurisprudence, l'outrage à l'occasion de l'exercice des fonctions est justement celui qui n'est pas indéterminé, mais qui se rapporte à un acte particulier de la fonction, tandis que l'outrage à raison des fonctions s'adresse à l'homme public tout entier, sans référence particulière à un fait spécial. Pour nous, le mot : << à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, » doit être entendu en ce sens que l'injure vague ou précise, grossière ou raffinée, s'attaque à l'autorité elle-même dans un de ces actes contre lequel elle s'insurge et refuse obéissance. Le délit de l'article 222 du Code pénal, c'est la rébellion par parole, qui essaie d'empêcher l'action du fonctionnaire ou d'en annuler l'effet par un retour offensif contre lui et par une sorte de représailles contre l'acte accompli. Ce délit s'attaque directement à l'autorité, tandis que l'autre ne vise que la personne. Notre interprétation a le mérite de mettre d'accord les divers articles du Code pénal; car l'article 228, qui punit la rébellion, se sert aussi de ces expressions: «dans l'exercice des fonctions ou à l'occasion de cet exercice. » Il est donc vrai de dire, avec

la Cour de Paris et d'une manière générale, que les deux délits diversement réprimés correspondent d'une part à la censure, et de l'autre à l'agression. Mais il faut se garder de croire que la discussion d'un acte déterminé du fonctionnaire puisse faire échapper aux articles du Code pénal celui qui se livrerait à des invectives susceptibles de porter atteinte au respect de l'autorité, et inversement que la généralité et le vague des injures suffise à motiver la compétence correctionnelle. Au contraire, les critiques contre la manière dont un fonctionnaire exerce ordinairement ses fonctions, ou les attaques relatives à un acte spécial, qui pourraient ne toucher qu'à la personne, sans atteindre la fonction, rentreraient dans les prévisions des articles 31 et suivants de la loi de 1881.

En ce qui concerne encore l'étendue d'application de cette loi, on ne doit pas oublier qu'elle est uniquement pénale, et que, dans certains cas où elle ne relève pas de délit, le droit civil peut fournir une action en dommagesintérêts. Par exemple, l'article 34 ne punit la diffamation envers les morts qu'autant qu'on a eu l'intention de porter atteinte à l'honneur ou à la considération des héritiers vivants. Mais le tribunal civil de Lyon a jugé avec raison qu'en dehors de l'intention criminelle la diffamation envers les morts pouvait donner lieu à réparation, aux termes de l'article 1382 du Code civil (23 août 1883, Moniteur judiciaire de Lyon, 21 novembre 1883). Nous croyons qu'il en serait de même pour la publication dans un journal périodique de faits relatifs à la vie privée, publication qui a cessé depuis 1881 de constituer un délit.

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A plusieurs reprises déjà, les injures et les diffamations commises par la voie de la presse contre les fonctionnaires publics ont été soumises à la compétence de la cour d'assises. Cette attribution exceptionnelle marche d'ordinaire avec le droit de preuve qui exonère de toute peine le prévenu, s'il établit la réalité des faits diffamatoires.

Néanmoins, quoique par une innovation hardie, la loi de 1881 ait accordé le droit de preuve aux auteurs de diffamations contre « les directeurs et administrateurs de toute >> entreprise industrielle et commerciale faisant publique>ment appel à l'épargne ou au crédit, » elle a maintenu pour la poursuite de ces délits la juridiction correctionnelle. Ce point, un instant débattu, a été nettement affirmé par la Cour d'Aix dans un arrêt du 17 mars 1882 (Sirey, 82, 2, 88), qui a obtenu la sanction de la Cour suprême le 22 juin 1881 (Sir., 83, 1, 47).

L'article 31 de la loi indique les personnes publiques visà-vis desquelles les délits de presse appartiennent à la compétence de la cour d'assises. Ce sont, avec les membres du ministère et des chambres, les fonctionnaires, les dépositaires ou agents de l'autorité, les ministres des cultes salariés par l'Etat, « un citoyen chargé d'un service ou d'un » mandat public temporaire ou permanent, un juré ou un > témoin, à raison de sa déposition. »

Il serait difficile d'énumérer les citoyens chargés d'un service ou d'un mandat public; mais on peut signaler un certain nombre d'espèces jugées par de récents arrêts. La Cour de Bourges a rangé dans cette classe l'adjudicataire des droits de place dans les halles et marchés d'une commune, parce que, « sans être fonctionnaire proprement > dit, l'adjudicataire qui a reçu mission et pouvoir de recouvrer le produit des tarifs n'agit vis-à-vis du public > contribuable qu'en qualité d'agent et délégué, et en exé>cution du mandat qu'il tient de l'autorité municipale. »> (Bourges, 23 décembre 1812, Sir., 83, 2, 221.) La Cour de cassation a même considéré comme chargé d'un mandat public français un général mexicain pourvu d'un commandement de troupes auxiliaires, opérant à l'étranger pour le compte de la France et sous les ordres d'un officier supérieur français (5 juillet 1883, Dall., 83, 1, 431), elle ne s'est pas arrêtée à ce mot « citoyen, » qui n'a évidemment pas un sens restrictif, alors que l'extranéité du plaignant ne serait qu'une raison de plus pour permettre la discussion et la défense de nos intérêts nationaux.

Au contraire on a traité comme simples particuliers, au point de vue qui nous occupe: les employés de la Banque de France, car bien que nommés par le gouvernement, ils ne participent en rien à la gestion de la chose publique >>> (Seine, 4 mai 1882. Sir. 82, 2, 140); les employés des caisses d'épargne qui, « bien que créées dans un but géné> ral et d'utilité publique, ne sont que des établissements » privés. » (Cour d'assises de la Charente 16 déc. 1882. Sir. 83, 2, 45, Cass. crim. 10 février 1883. Sir. 83, 1, 384); - enfin les secrétaires des mairies, qui n'ont jamais à faire aucun acte public en leur nom et sous leur responsabilité (Douai, 15 janv. 1883. Sir. 83, 2, 91).

En tous cas il convient de remarquer que la mention de la qualité ne suffit pas toujours pour que la diffamation ou l'injure perde son caractère d'offense à particulier. C'est ce qui a été jugé dans une espèce où le prévenu, après avoir publiquement reproché à un adjoint sa conduite. privée, avait ajouté : « c..... d'adjoint, il est temps que les élections nous débarrassent de toi. » (Chambéry, 8 février 1883. Moniteur judiciaire de Lyon, 27 février 1883).

XIIe-I

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Dans quelle mesure la connexité des délits peut-elle obliger la juridiction correctionnelle à se dessaisir en faveur de la cour d'assises? Que faut-il pour que les injures à fonctionnaire et les injures à particulier, visant la même personne, et contenues dans un même écrit ne puissent être disjointes? La Cour de Riom dans un arrêt où elle ne reconnaissait pas, il est vrai, l'existence du délit correctionnel, a déclaré supplétivement que les articles 226 et 227 du Code d'instruction criminelle empêchaient le tribunal, qui s'était déclaré incompétent sur le surplus, de statuer sur ce délit (Riom, 27 déc. 1881. Sir. 82, 2, 87). Mais la Cour de cassation a jugé par arrêt du 19 mars 1882 (de Rochefort. Challemel-Lacour, Dall. 83, 1, 47) que l'unité de juridiction ne s'imposait qu'autant qu'une indivisibilité absolue se rencontrait entre les deux ordres d'imputations diffamatoires. Elle a ajouté qu'en dehors de ce cas la partie plaignante avait le droit de poursuivre devant la juridiction correctionnelle seulement, bien que le délit fût connexe à un autre ressortissant à la cour d'assises. Ce principe ne saurait donner lieu à aucune contestation sérieuse. La même jurisprudence s'affirme dans l'arrêt du 5 juillet 1883 (Cas. crim. Dall. 83, 1, 431) dont les motifs ne manquent pas d'intérêt « Attendu, y est-il dit, que les imputations >> étaient distinctes et ne présentaient aucun caractère » d'indivisibilité; que s'il existait entre elles une certaine >> connexité, à raison de leur publication dans une même » feuille, pendant le même temps et dans le même but, » cette connexité n'avait pu avoir pour effet d'enlever à la » juridiction correctionnelle, saisie du tout par la plainte, > le droit de diviser les chefs de prévention et de retenir » les imputations relatives à la vie privée dont la connais»sance lui appartenait et qui lui étaient régulièrement » déférées tout en déclarant son incompétence relative>ment aux imputations concernant la vie publique. »

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Toutefois la Cour de Montpellier a jugé qu'il n'incombait pas au tribunal correctionnel de distinguer lui-même entre les injures adressées à la personne publique et celles adressées à la personne privée, si le plaignant ne faisait lui-même cette division (11 juin 1883. Moniteur judiciaire de Lyon, 12 nov. 1883). Cette décision nous paraît excessive en tant que règle générale et ne saurait se légitimer que par une indivisibilité plus ou moins réelle, que, dans l'espèce, la partie plaignante n'avait pas eu soin de combattre.

Au surplus l'indivisibilité pourra même avoir pour effet de forcer de simples particuliers à agir devant la juridiction des assises. Le tribunal de Draguignan a eu à juger une affaire intéressante à ce point de vue. Un journaliste avait accusé divers électeurs d'avoir, de complicité avec le

maire de la commune, violé le scrutin électoral. Sur poursuite des particuliers, le tribunal s'est déclaré incompétent à raison de l'indivisibilité du délit (Draguignan, 18 déc. 1883, Moniteur judiciaire de Lyon, 28 janvier 1884). Rien de plus correct, ce nous semble car l'accusation de complicité ne pouvait guère s'apprécier séparément de l'accusation principale, et la preuve, si elle était rapportée, devait mettre le prévenu à l'abri de toute poursuite.

(A suivre.)

J. BOURGEOIS,
docteur en droit,

avocat à la Cour d'appel de Chambéry.

LETTRE DE S. ÉM. LE CARDINAL JACOBINI.

M. Desplagnes, notre collaborateur, a reçu de Son Eminence le cardinal Jacobini, ministre de Sa Sainteté Léon XIII, une lettre dont nous donnons ici la traduction. Cette lettre est pour la Revue catholique un témoignage et un encouragement précieux, et nous devons la faire connaître à nos lecteurs. Nous regrettons que notre composition presque terminée ne nous permette plus de l'insérer en tête du présent numéro.

<< Monsieur,

La livraison de la Revue catholique des Institutions et du Droit, que vous avez eu la courtoisie de me faire offrir, a pour moi un prix tout particulier en raison des sujets traités dans les deux articles que me signalait votre lettre du 7 courant (1).

Pendant qu'on poursuit une guerre si obstinée et si impie contre l'Eglise et le Pontife romain, l'àme de tout bon catholique se console et s'ouvre à l'espérance en voyant les vaillants défenseurs qui élèvent leurs voix et mettent à profit leurs talents pour défendre les droits sacrés de l'Eglise. Et puisque la Revue catholique compte parmi ces vaillants défenseurs, elle est assurée de la bienveillance du SaintPère, qui ne peut qu'apprécier hautement les services rendus ainsi au Saint-Siège et à la religion. Je saisis cette occasion pour me dire, etc.

Rome, le 22 mars 1884.

L. Card. JACOBINI. >>

(1) Livraison de mars: article de M. Lucien Brun, Projet de loi contre les congregations religieuses.

Chronique du mois

(dernière partie), l'Attentat contre la Propagande.

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