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droit de garder son enfant contre la volonté du père en renonçant à réclamer dorénavant l'appui de celui-ci. L'entretien et l'éducation dus à l'enfant naturel jusqu'à quatorze ans, comprennent les frais d'école et le coût de l'apprentissage. L'éducation et l'entretien légalement dus à l'enfant naturel, sont ceux de la classe la plus modeste, ceux du paysan ou de l'ouvrier; et c'est sur cette base qu'est calculé le chiffre de la pension imposée au père naturel, laquelle est, à Berlin et dans les grandes villes, d'environ vingt ou vingt-cinq francs par mois, et est susceptible d'augmentation lorsque l'enfant avance en âge. L'enfant naturel 1.'entre dans la famille ni de son père ni de sa mère. Lors même qu'il est légitimé par mariage subséquent, il ne porte pas le nom de son père.

Lorsque la paternité ne peut pas être établie, la charge de l'entretien de l'enfant reste à la mère; à son défaut, aux parents de celle-ci, et enfin elle retombe sur la Commune et l'Etat.

Et il est permis de croire que la loi prussienne, en autorisant, dans les limites qui viennent d'être indiquées, la recherche de la paternité naturelle, a eu principalement en vue d'exonérer la Commune et l'Etat de l'obligation de pourvoir à l'entretion des enfants illégitimes.

Quant à l'influence de cette législation sur les mœurs, elle ne paraît pas s'ètre exercée dans un sens bien favorable à la moralité publique; car il est notoire que la dépravation fait chaque jour de nouveaux progrès dans la Prusse.

(Voir, sur cette matière, une étude très intéressante qu'a publiée le Moniteur universel dans son numéro du 18 juillet 1883.)

Si d'un pays protestant nous allons dans un pays catholique, et si de la Prusse.nous passons au Bas-Canada, nous trouverons un peuple d'origine française qui a conservé les traditions, les mœurs et la langue de la vieille société dont il est sorti. Sa législation, qui avait à sa base la Coutume de Paris, et qui avait été lentement formée par les actes successifs du Pouvoir souverain, a été l'objet d'une révision faite avec un soin extrême par les plus éminents jurisconsultes de la contrée, et son nouveau Code civil établi (1866) sur le plan de notre Code civil de France, a réalisé, sur celui qui lui a servi de modèle, d'incontestables améliorations.

La loi canadienne autorise la recherche de la paternité naturelle; les preuves que le demandeur doit admettre sont les mêmes que celles qui s'appliquent au cas de filiation légitime. Ainsi, notamment, la preuve testimoniale ne peut être ordonnée que lorsqu'il y a commencement de preuve par écrit, ou encore lorsque les présomptions ou indices résultant de faits dès lors constants, sont assez graves pour déterminer le juge à l'admettre.

Quelle est la conséquence de la reconnaissance, volontaire ou forcée, d'un enfant naturel? Pour répondre à cette question, nous ne pouvons mieux faire que de transcrire un passage de la remarquable étude qu'a publiée, dans cette Revue même, un savant magistrat, M. Rondet (Tome xx, p. 318). Voici comment il s'exprime: «< D'après la législation canadienne, si l'enfant légitimé par le mariage subséquent de ses père et mère a tous les droits d'un enfant réellement né de ce mariage, l'enfant naturel n'est pas appelé par la loi à recueillir une part quelconque de la succession de ses père et mère. La qualité d'enfant naturel reconnu ne lui confère que le droit de réclamer des aliments à chacun des auteurs de ses jours, suivant les circonstances. Il ne forme donc pas, comme chez nous actuellement, le premier degré de ce que nous appelons les successeurs irréguliers. En un mot, la reconnaissance d'un enfant naturel, sans le mariage subséquent de ses père et mère, n'entraîne pas à son profit une espèce de quasi-légitimation. Le législateur canadien est resté dans la vérité des principes, en consacrant, pour l'enfant naturel, le droit de faire constater son état, et de se faire donner les aliments et les soins que lui doivent les auteurs de ses jours, par cela même qu'ils l'ont mis au monde. >>

Par ces exemples, on voit dans quelle méprise sont tombés ceux qui invoquent les législations étrangères à l'appui de leurs théories relatives à la recherche de la paternité. Un obstacle invincible, suivant nous, à toute modification de l'article 340 de notre Code civil, résulte des droits, infiniment trop étendus, conférés par nos lois modernes aux enfants illégitimes, notamment en ce qui concerne la succession de ceux qui les ont reJ. B.

connus.

ENCORE LA QUESTION DU SERMENT JUDICIAIRE

Cette question est une de celles, aujourd'hui trop nombreuses, que l'on ne peut aborder sans tristesse, et sans être humilié pour son pays. La secte dominante à l'heure actuelle a, en effet, résolu d'abaisser notre législation sur le serment, non seulement au-dessous des lois du monde chrétien, mais encore au-dessous du paganisme. Faut-il s'en étonner quand la Philosophie du jour, après avoir rejeté dans son délire d'impiété, le Dieu-Providence de Platon et de Cicéron, ne s'en tient même plus au Dieu

humanité d'Auguste Comte, et en est arrivée, suivant la piquante et trop juste expression d'un de nos académiciens, au Dieu-molécule? Cette fièvre folle de laicisation (mot aussi laid que la chose) qui a déjà fait parmi nous tant de ravages, ne pouvait manquer de s'en prendre au serment! Ne fallait-il pas, au plus vite, épurer nos codes, en rayant de tous les textes où elle est inscrite, ce qu'on a appelé la formule déiste, laquelle invoque Dieu comme garant des affirmations solennelles, et demeure en dehors de toutes les religions positives?

Déjà deux remarquables articles de la Revue (1) ont signalé la naissance de cette néfaste question, et en ont éclairé les principaux points de vue. Mais, depuis, elle a pris un développement qui appelle la plus sérieuse attention des jurisconsultes et des publicistes, et nous a inspiré la pensée de la suivre dans sa marche.

Plaçons-nous tout d'abord au point de départ des débats parlementaires, et traçons-en le tableau avant d'en apprécier les résultats.

S'il est un fait incontestable et incontesté, c'est l'universalité de la pratique du serment dans le temps et dans l'espace, au sein de toutes les civilisations même païennes (2). Cela seul serait pour tout esprit libre de parti pris, la révélation d'une nécessité sociale de premier ordre. Aussi fut-elle toujours reconnue en France, si ce n'est pendant la période révolutionnaire, et durant un court intervalle. Chacun sait, en effet, que les premières lois de la Révolution n'avaient en rien innové sur ce point.

La loi du 16 septembre 1791, organisatrice de l'institution du jury, avait imposé le serment aux jurés et aux témoins, avec le sens religieux attaché aux mots traditionnels Je le jure. La constitution de la même année, l'exigeait aussi du fantôme de roi qu'elle avait institué. Il faut traverser les fureurs de la Révolution, et arriver au Code de Brumaire an iv, pour y trouver la substitution passagère au serment, d'une simple affirmation ou promesse. Quand la main puissante du premier consul eût replacé la société sur ses bases religieuses et politiques, il s'en fallait de beaucoup que tous les esprits dévoyés fussent rentrés dans la voie droite de la raison, et surtout du respect pour la religion. Cependant, le besoin de restauration morale était si impérieux, que l'on vit, en 1804, un républicain de vieille date,

(1) Livraisons d'avril et mai 1882.

(2) Voir les autorités indiquées par Grotius (Droit de la guerre et de la paix, L. II, chap. 13). Visons seulement ce que dit Cicéron (De officiis III, chap. 31): « nullum enim vinculum ad astringendam fidem jurejurando » majores arctius esse voluerunt. ›

Miot, proposer le rétablissement du serment qui prit place alors dans le Code civil, puis, en 1808, dans le Code d'instruction criminelle où le nom même de Dieu consacra d'imposantes formules.

Certes, durant les soixante-quinze ans qui nous séparent de cette date mémorable, les esprits indépendants, les écrivains aventureux ou licencieux n'ont pas manqué en France, plusieurs révolutions ont agité le pays, et cependant, d'innombrables jurés ont siégé jusqu'à 1882, sans qu'aucun ait déclar sa conscience opprimée par l'obligation légale de prêter serment en justice, devant l'image du Christ. Bien plus, c'est après de longs siècles écoulés que l'on tente audacieusement de bannir de nos prétoires l'auguste nom du Dieu de nos pères et le signe du salut!

Sans doute il aurait suffi pour déterminer cette révolte sacrilège, des causes morales signalées tout à l'heure ; mais cette nouvelle explosion du positivisme pseudo scientifique qui infecte aujourd'hui tant d'intelligences, a trouvé une vive excitation dans les scandales soulevés de l'autre côté du détroit, par le député Bradlaugh.

C'est le 6 février 1882, que M. Jules Roche et plusieurs de ses collègues déposèrent sur le bureau de notre chambre, des députés, une proposition qui avait pour double but, de faire exclure du serment rendu laïque et l'idée et le nom de Dieu, puis de faire enlever tous les emblèmes religieux des salles d'audiences. Cette proposition fit naître une série déplorable d'incidents devant la Cour d'assises, et même devant une chambre correctionnelle du tribunal de la Seine; incidents qui éclatèrent dans le même mois de février, et en mars suivant. Des témoins déclarèrent ne pouvoir prêter le serment légal à cause de son caractère religieux. Des jurés refusèrent soit le serment préalable à leur investiture, soit le prononcé de la formule devant Dieu et devant les hommes, qui précède la lecture du verdict. C'était une façon de se poser en esprit avancé. On sait combien la légèreté française s'asservit aisément à toutes les modes. Par malheur, ces incartades ne furent pas constamment réprimées, au début, comme elles auraient dû l'être. Le ministère public ne requit pas toujours la condamnation à l'amende des jurés ou témoins réfractaires; les magistrats renoncèrent parfois à l'audition de ces derniers; une Cour d'assises autorisa un juré à prêter serment devant les hommes seulement; d'autres, en présence du même refus, ordonnèrent le renvoi de l'affaire à la session suivante, et, sur les conclusions du défenseur, les jurés rebelles furent condamnés à des dommages et intérêts envers l'accusé. On vit aussi certains jurés se soumettre en entendant les réquisitions

de ministère public, ce qui décelait le peu de sérieux de la résistance. Ce désordre inouï amena le gouvernement à présenter, le 18 mars, un projet de loi qui, sans abolir le serment, laissait à chacun la faculté d'y substituer à son gré, une « affirmation ou promesse solennelle. » On était alors dans l'attente d'une décision de la Cour suprême, etles promoteurs de la prétendue réforme, espéraient un changement de jurisprudence qui les dispenserait d'aller plus loin. Mais, le 20 mai 1882 (Dalloz 1882, 1, 388), furent cassés deux arrêts, l'un de la Cour d'assises d'Alger, l'autre de celle de la Seine. Dans l'espèce du premier, un juré ayant refusé en se disant athée, le serment légal, le président avait cru pouvoir retrancher le nom de Dieu du discours adressé par lui au jury, en vertu de l'article 312 (instr. crim.). La Cour régulatrice jugea que << l'élément religieux est de l'essence du serment, acte civil et religieux tout à la fois. »Dans l'espèce du second arrêt, un juré avait protesté avant de prêter serment, ce qui avait altéré la spontanéité nécessaire de cet acte.

Le 25 mai, M. Jullien déposa au nom de la commission de la Chambre des députés, un rapport très étendu (1) qui, après un exposé historique, et une discussion générale de la question, passait en revue soit le projet du garde des sceaux (M. Humbert), soit celui de MM. Jules Roche et Delattre, et un troisième abandonné plus tard par son auteur, M. Lacôte, puis aboutissait à une proposition de loi en sept articles où le serment était remplacé par une affirmation ou promesse sur l'honneur et la conscience, sans aucun geste ou manifestation extérieure. En second lieu, la déclaration du jury était précédée de ces seuls mots devant le peuple francais. Enfin, aucun emblême religieux ne devait être placé dans les salles d'audience, ni dans celles destinées à l'enquête ou à l'instruction.

Sur cette proposition de loi se sont engagés, après une déclaration d'urgence, d'ardents débats (2) que nous n'avons pas à retracer, sauf à les interroger plus tard, et qui se sont terminés par l'adoption du projet de M. Jules Roche, formulé en trois articles dont voici le texte :

« Article Ier. Dans les cas prévus par les articles 75, » 155, 189, 317 du Code d'instruction criminelle, 1357 à » 1369 du Code civil, 55 et 121 du Code de procédure » civile, et dans tous les autres cas où il y a lieu à presta» tion de serment la formule du serment sera pour le >> magistrat sur votre conscience et votre honneur, vous

(1) Journal officiel (Documents parlementaires annexés, n° 871). (2) Ibidem. Séances des 20, 22, 24 juin 1882.

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