Page images
PDF
EPUB

respectable, s'il était purement humain; il a besoin d'être divin, pour s'imposer aux hommes et pour être efficace et bienfaisant. »

En quoi donc consiste ia souveraineté nationale? Dans le droit de n'être commandé que suivant la justice et l'intérêt national; dans le droit d'obéir uniquement aux pouvoirs qui trouvent dans la justice et l'utilité de leurs actes, une perpétuelle légitimité; dans le droit d'exiger de ces pouvoirs qu'ils méritent, par la sagesse de leur conduite politique, la prérogative dont ils sont investis. Or, cette souveraineté s'affirme d'une manière continue par les pétitions, par la presse, par les réunions publiques et privées, par les élections locales et générales, en un mot, par tous les moyens, d'une variété infinie, qui servent à exprimer l'opinion publique dans un grand pays. Elle peut même avoir une expression plus violente et plus tragique si la révolution est nécessaire pour délivrer le pays de pouvoirs dégénérés et corrompus, elle sera légitime.

Rien de plus raisonnable que ce système; il contient le développement et l'application de ces mots de saint Thomas d'Aquin: Reges propter regna, non regna propter reges. Mais l'expression de souveraineté nationale répond-elle bien à cette idée ? Le pays a le droit imprescriptible d'être bien gouverné, c'est vrai; mais est-il juge de la conduite de ses gouvernants? Est-il susceptible d'avoir une connaissance assez nette des nécessités politiques pour apprécier la direction qu'il convient d'imprimer aux affaires publiques? Non, assurément; la nation, quelque idée qu'on se fasse de sa personnalité, n'est, en somme, qu'une abstraction, incapable d'avoir conscience d'elle-même, impuissante à se rendre compte de ses propres besoins et à faire prévaloir ses droits par une action réfléchie. Dès lors, comment voir en elle le dépositaire de l'autorité suprème qu'exprime le mot de souveraineté?

Les moyens si multiples qui, au dire de l'auteur, servent à manifester l'opinion publique, n'expriment, en réalité, que la pensée de quelques individualités saillantes, et ne sont, dans tous les cas, qu'une défense imparfaite des droits de la nation. Quant à la révolution, seule sanction efficace, si le peuple renverse un pouvoir tyrannique et malfaisant, il est dans son droit, mais à coup sûr il n'en sait rien. La passion révolutionnaire exclut toute réflexion politique, et il est impossible de voir, dans les foules insurgées, autre chose que l'outil de Dieu, l'instrument aveugle de la Providence, qui seule peut venger les nations opprimées et leurs droits méconnus.

A mon sens, le pays a le droit d'être bien gouverné, comme l'enfant a le droit d'être aimé de son père, et sagement élevé; mais, chez l'un pas plus que chez l'autre, ce droit ne suppose l'idée de souveraineté.

Cette locution manque donc de justesse en elle-même; elle est, au surplus, usitée en si mauvaise part, que, pour ce double motif, il nous parait préférable de la laisser de côté, quelque saine interprétation qu'on lui donne.

Et maintenant, ce n'est plus seulement une querelle de mots, mais bien une petite contestation sur le fond, qu'il nous reste à soulever. Il nous est impossible, en effet, d'adopter les idées de M. Saint Girons sur le suffrage universel, dont il se déclare partisan convaincu. En vain prétend-il en atténuer les inconvénients, en repoussant à 25 ans la majorité électorale, en cherchant à assurer la représentation des minorités par des procédés compliqués et d'une

efficacité plus que douteuse, en affirmant enfin « qu'il appartient à l'aristocratie du pays d'éclairer, de moraliser, d'élever le suffrage universel et d'en faire une grande voix qui parle au nom du pays. >> - A nos yeux, le suffrage universel ne peut être qu'une force inconsciente, une machine aveugle, agissant au gré de conciliabules secrets ou de comités occultes. Il ne se peut pas que la multitude de paysans illettrés et d'ouvriers ignorants, appelés à accomplir ce grand acte national, soient suffisamment renseignés sur les questions et sur les personnes pour voter en connaissance de cause. Le suffrage universel marche forcément à l'aventure et n'est qu'une sorte de tirage au sort.

Est-il vrai que cette innovation révolutionnaire soit un fait qui s'impose et contre lequel il serait aujourd'hui difficile et peut-être téméraire de réagir? Les uns le disent, d'autres le nient formellement; quoiqu'il en soit, les faits accomplis ne portent pas en euxmêmes leur propre justification.

Quant à l'éducation du suffrage universel, nous ne pouvons pas plus y croire qu'au retour de l'âge d'or; l'idée de moraliser la masse de la nation pour mettre les gros bataillons d'électeurs du côté de la raison, de la justice et de la vérité, nous paraît être une utopie.

Hâtons-nous cependant de rendre hommage de nouveau à la haute impartialité de M. Saint-Girons, qui fait ressortir avec une égale vigueur les avantages et les inconvénients du suffrage universel, et semble d'ailleurs ne l'accepter ou le subir que parce que « ce serait pure folie de vouloir remonter le courant. »

Ajoutons aussi que, quelle que soit notre vive répulsion pour ce dangereux instrument, nous ne sommes pas de ceux qui attachent une extrême importance à ces discussions stériles sur la valeur intrinsèque de telle ou telle institution politique. Quelle est celle qui puisse échapper à toute critique et dont l'application ne réserve pas souvent les plus étranges surprises à ceux qui l'avaient blâmée, comme à ceux qui s'en étaient faits les ardents défenseurs? « Dans les ouvrages de l'homme, tout est pauvre comme l'auteur : les vues sont restreintes, les moyens raides, les ressorts inflexibles, les mouvements pénibles et les résultats monotones... Mais l'éternel géomètre sait, quand son heure est venue, disposer toutes les pièces de la machine politique; pour lui, tout est moyen, même l'obstacle, et les irrégularités produites par l'opération des agents libres, viennent se ranger dans l'ordre général (1). »

EMMANUEL PERRIN,

Prof. suppl. à la Fac. cath. de Droit, à Lyon.

(1) De Maistre, Considérations sur la France.

Cinq années 1879-1884. Œuvres pastorales de Mer ISOARD évêque d'Annecy, 1 vol. in-12 de 420 pages. Paris, Victor Palmé; Annecy, librairie Abry: Prix 5 fr.; se vend au profit des prêtres du diocèse dont le traitement a été supprimé.

Dix-neuf siècles bientôt seront écoulés depuis le jour où JésusChrist montant au ciel, nous laissait le dépôt sacré de ses commandements et de ses exemples. Dès cette époque, la persécution s'éleva, menaçante, pour étouffer cette religion qui inquiétait les libertins par la pureté de sa morale. La lutte aujourd'hui n'a point cessé quoiqu'elle ait changé de caractère; ce n'est plus une guerre ouverte et déclarée, on ne voit pas de ruisseaux de sang et de légions exterminées, mais c'est une persécution sourde, une vexation perpétuelle, une campagne lente et qu'on croit sûre; c'est toujours la mort, mais la mort à petit feu.

Nos évêques l'ont compris les premiers et sont accourus sur la brêche. Parmi ces intrépides lutteurs, Mr Isoard occupe un des premiers rangs, tout en faisant toujours preuve de la plus grande modération.

Depuis cinq années qu'il occupe le siège de François de Sales, il n'a pas cessé de combattre, et par de nombreuses lettres pastorales, il a continuellement signalé à ceux qui lui sont confiés, ce qu'ils doivent faire, ce qu'ils doivent éviter, ce qu'ils doivent repousser. Mais ces lettres et documents parus successivement, étaient épars, sans lien, et forcément peu connus en dehors de la Savoie; ils viennent heureusement d'être réunis en un volume; tous répondent à un besoin de notre temps, réfutant une erreur, combattant un préjugé, dévoilant les menées des persécuteurs.

Eminemment pratique, le livre de Mr Isoard a sa place marquée dans la bibliothèque de tous les catholiques, de tous ceux qui, comprenant leur devoir, veulent connaître pour les combattre les envahissements de la secte maçonnique.

La préface où sont exposés les agissements et les arrières-pensées de nos gouvernants, contient un résumé des lois et décrets divers, lancés contre la religion, depuis le 7 août 1879. Ce résumé, plein d'enseignements, ferait ressortir jusqu'à l'évidence, s'il en était besoin, le but que poursuivent leurs auteurs; malgré leurs affirmations hypocrites. Les résultats désastreux des diverses lois sur l'enseignement se feront prochainement, se font déjà senti; « il sera bientôt à peu près impossible de devenir chrétien, si les parents n'y prennent garde. »

Les lettres pastorales sont classées et l'ouvrage divisé en quatre parties; la première s'occupe principalement des études sacerdotales, des vocations ecclésiastiques, des lectures que l'on peut et doit faire, de celles qui sont défendues, etc. Les jeunes gens qui se préparent au sacerdoce, les jeunes prêtres y trouveront de salutaires avis et une direction entendue, telle que l'expérience du successeur de Saint François de Sales peut la donner. Mais les personnes du monde liront peut-être avec plus de fruit encore les lettres sur les lectures et sur le Mal et le Bien; elles y trouveront des règles précieuses et le modèle de la vraie vie chrétienne.

La seconde partie suit l'ennemi sur le terrain où il s'est établi;

les droits et libertés de l'Eglise y sont exposés et revendiqués hautement. La condescendance a des bornes et nos gouvernants les ont dépassés il serait funeste de les laisser faire un pas de plus sans protester et revendiquer les droits qu'ils méconnaissent. Après avoir exposé le droit commun, Mer Isoard fait un appel au bon sens et réclame la justice; puis arrivant à une question éminemment pratique, il trace à ses prêtres la ligne de conduite qu'ils devront suivre pendant les fêtes dites nationales du 14 juillet. Le vote récent de la nouvelle loi municipale donne beaucoup d'actualité à la lettre qui s'occupe de certaines dispositions de cette même loi, alors seulement à l'état de projet.

La troisième partie concerne plus spécialement les laïques. Le vrai moyen de déraciner, s'il est possible, la foi de notre France, c'est, nos gouvernants l'ont compris depuis longtemps, de s'attaquer aux générations futures, de corrompre l'âme des enfants des écoles, de ceux qui bientôt seront hommes et appelés à nous remplacer. Ms Isoard, en s'adressant aux parents, les supplie de donner à leurs enfants l'éducation religieuse qu'ils trouvaient autrefois dans la vieille école, mais qu'on néglige dans le magnifique groupe scolaire véritable palais élevé à l'impiété. Sa Grandeur leur montre que, du reste, c'est pour eux un devoir, un devoir strict, si bien pratiqué jadis, que les catéchismes paroissiaux n'existaient pour ainsi dire pas, n'ayant pas de raison d'être; les prêtres se bornaient à contrôler l'enseignement donné par les parents.

Elle flétrit la nouvelle loi, qui sous prétexte d'on ne sait quelle liberté, proscrit jusqu'à l'image de Dieu, pour la remplacer par un buste grossier au bas duquel est précisément gravé le mot de liberté.

Enfin les dernières pages sont remplies par diverses lettres adressées aux préfets et aux ministres, au sujet des traitements supprimés.

C'est du reste le souvenir des malheureux prêtres, victimes d'un vol odieux de la part du gouvernement que nous invoquerons en finissant. Le livre de leur évêque se vend à leur profit et pour les aider à continuer leurs aumônes; c'est ainsi qu'en enrichissant sa bibliothèque d'un bon livre et en se donnant la jouissance de plus en plus difficile à se procurer, de lire de bon français, on contribuera à réparer un peu les criantes injustices des francs-maçons qui nous oppriment.

H. A.-T.

Esclaves, serfs et mainmortables par Paul ALLARD, in 12, 1884. Librairie de la Société bibliographique.

L'éminent historien, à qui nous devons la vulgarisation des travaux de M. de Rossi, les esclaves chrétiens et l'art païen sous les empereurs chrétiens,a voulu dans ce volume faire connaître « ce qu'un » honnête homme doit savoir de l'histoire des esclaves et des serfs » dans l'ancien monde depuis les premières civilisations jusqu'à la > fin du xvin' siècle, » Il a atteint assurément son but, car ce volume est d'une lecture facile, attachante même. Cette histoire

n'est-elle pas un drame dont on suit le développement, les péripeties, et auquel l'église et la royauté assurent un heureux dénoument? Il n'est lecteur si peu préparé qu'il soit, qui ne puisse lire avec intérêt M. Allard et cependant il a fait en même temps une œuvre de science si exacte, si complète, si au courant des récents travaux de la science qu'elle s'impose à tous les hommes d'étude. Les érudits, ennemis de l'Eglise, se sont efforcés dans ces dernières années de lui contester la gloire que jusque là ses adversaires lui reconnaissaient d'avoir fait triompher dans le monde la liberté de la personne humaine. M. Boissier a prétendu dans la Revue des deux Mondes du 1 mars 1882, que sous les empereurs chré– tiens, la législation était devenue moins favorable aux esclaves que ne l'avait été celle des Antonins, et M. Marcel Fournier a émis, dans la Revue historique de janvier 1883, l'idée fantaisiste qu'au moyen-âge, l'Eglise ne fut point favorable aux affranchissements et aux affranchis !!! Il fallait, on le voit, reprendre la question avec tous les éléments que fournit l'érudition moderne et c'est ce qu'a fait M. Allard avec une abondance de preuves qui ne laisse rien à désirer. Suivant en cela une excellente méthode, il rapproche constamment des textes juridiques les témoignages historiques, les données statistiques qui montrent comment étaient pratiquées les institutions.

M. Allard suit la transformation de l'esclavage et du servage, ce legs du monde antique, chez les différents peuples de l'Europe Occidentale. I montre comment la France est de tous les pays celui dans lequel l'affranchissement des cultivateurs a été le plus précoce et le plus complet. Tandis qu'en Allemagne après le protestantisme le servage le plus dur était rétabli sous les excitations de Luther et a duré jusqu'à la fin du xvII° siècle, tandis qu'en Angleterre les descendants des serfs, qui avaient été affranchis aux iv et xv siècles, ont perdu sous Elisabeth et Jacques 1" la possession héréditaire de leurs tenures, en France les anciens serfs devenus des citoyens libres du x1 au XIV siècle selon les provinces, ont acquis la propriété du sol et constitué cette petite et moyenne propriété paysanne, qui bien avant la Révolution était déjà le trait caractéristique de notre constitution sociale. La raison en est qu'en France, la royauté joignit son action à celle de l'Eglise et la seconda au profit de la liberté des personnes et des terres avec toute la puissance dont elle disposait. M. Allard a parfaitement saisi le caractère différent du mouvement social dans les différents peuples de l'Europe et l'a mis en lumière d'une façon fort neuve.

Il termine en étudiant la question des tenanciers en main morte du Berry et de la Franche-Comté au XVII siècle. Voltaire en fit grand bruit à cette époque. Leur condition n'avait rien de commun avec celle des serfs. Il est curieux de voir ce qu'elle était réellement à la lumière des documents authentiques et des témoignages contradictoires de l'époque. Les serfs de St-Claude, tenant aujourd'hui une place considérable dans les manuels d'instruction civiques, M. AlÎard a eu une excellente pensée en leur consacrant un chapitre étendu. Il couronne dignement un ouvrage que nous ne saurions trop recommander. Il a sa place dans toutes les bibliothèques populaires comme dans les rayons de tout érudit.

C. J.

« PreviousContinue »