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mises à une seule personne pour que celle-ci les donne ensuite à qui bon lui semble; enfin, il est bon, sans que cependant ce soit une nécessité, que les cartes soient revêtues de la mention : « Personne ne pourra être admis qu'en présentant cette lettre qui est rigoureusement personnelle. » Cette phrase d'usage, dit un arrêt, témoigne de l'intention formelle des organisateurs d'exclure toute personne non invitée.

Hâtons-nous de dire qu'il ne faut pas attacher à ces règles une importance exagérée. Dans une matière comme cellelà, où le pouvoir d'appréciation du juge est sans limites, les circonstances de chaque espèce doivent avant tout servir de guide; le bon sens tient lieu de principe.

C'est ainsi qu'il a été jugé qu'une ou plusieurs personnes peuvent être admises à la réunion, sur invitation verbale pourvu que cette invitation soit individuelle et manifeste d'une manière non équivoque la volonté de l'organisateur (1).

Il a été jugé aussi qu'il n'est pas nécessaire que le promoteur de la réunion connaisse toutes les personnes convoquées et qu'on peut parfaitement, sans pour cela que la réunion devienne publique, inviter et recevoir dans son domicile, soit par suite de recommandation, soit pour toute autre cause, des personnes que l'on n'a jamais vues, comme cela se produit d'ailleurs très fréquemment dans les relations du monde et les réceptions officielles (2).

Ajoutons enfin que le nombre des invités est absolument indifférent (3).

Mais il serait imprudent de provoquer les demandes d'invitations par voie d'affiches ou d'avis insérés dans les jour

naux.

4o Le contrôle exercé à la porte du lieu où se tient la réunion est un dernier point qu'il faut ne pas négliger. Personne ne doit être reçu sans carte; plusieurs personnes ne peuvent pas être admises avec une carte unique; il ne faut pas distribuer à la porte de nouvelles cartes aux personnes qui viendraient en faire la demande.

Il a été jugé qu'il ne suffit pas, lorsque la réunion est formée et que le public s'y est déjà librement introduit, que l'organisateur déclare que les personnes présentes peuvent se considérer comme invitées (4).

(1) Cass. 9 janv. 1869. D. 69, 1, 113. (2) Rennes, 16 décembre 74. D. 75, 3, 236. (3) V. les arrêts suivants : Cass. 7 et 9 janv. 69. D. 69, 1, 113. — Trib. corr. de Paris, 7 mai 69, Gaz. Trib. 16 mai 69.

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Cass. 5 décembre 72.

Cons. préf. Ile-et-Vilaine, 15 fév. 84, Gax. Trib.

(4) Cass. 9 janv. 69.

Mais il a été jugé aussi que le fait par quelqu'un de se servir de la carte destinée à un autre n'est qu'une preuve du soin scrupuleux du contrôle, puisque cette petite fraude a été nécessaire à l'intrus pour se glisser dans une réunion à laquelle il n'était pas convié; il a été jugé enfin que quelques lettres en blanc trouvées dans un cabaret ne prouvent rien, si l'on n'établit que leur remise a été le fait personnel des organisateurs (1).

Telles sont les règles posées par la jurisprudence relativement aux réunions privées. Les espèces, sur lesquelles elle a dû statuer, sont assez nombreuses et assez variées, pour qu'il soit permis de considérer l'ensemble des décisions intervenues, comme le Code complet des formalités à suivre.

Il serait assurément téméraire de s'écarter de cette ligne de conduite. Toutefois il ne sera pas inutile d'indiquer ici que la doctrine s'est toujours montrée beaucoup moins exigeante.

Une consultation, délibérée par M. O. Barrot et approuvée par MM. Dufaure et Marie, exprime cette idée que « le domicile d'un citoyen, même lorsqu'il y a admis le public, ne perd pas pour cela le caractère d'habitation privée; car, s'il a convenu à un domicilié d'admettre le public dans son habitation, il a gardé le droit de l'en expulser; il reste donc maître chez lui et ce qui s'y passe ne saurait dans aucun cas se passer dans un lieu public (2).

M. A. Naquet reproduit le même système; après avoir fait la critique de la jurisprudence, il ajoute : « Il est évident qu'un citoyen a le droit de recevoir chez lui des personnes qu'il ne connaît pas et qui lui sont amenées par des personnes connues, qu'il n'a pas à se préoccuper de savoir si l'on entend du dehors ce qui se dit chez lui, et qu'il ne saurait être rendu responsable de ce fait qu'à son insu, quelqu'un se serait introduit dans son domicile avec une invitation qui ne lui était pas destinée. Il est évident que ce qui caractérise la réunion privée, c'est la possibilité d'en exclure tel ou tel, ou d'en empêcher l'accès à tel ou tel, tandis qu'une réunion publique est ouverte à tous, sans que l'entrée en puisse être interdite à personne (3).

Enfin les différents arrêts, que nous avons cités, sont

(1) Ces deux dernières décisions sont consacrées par un arrêt de la Cour de Rennes, en date du 16 décembre 1874. Cet arrêt présente un intérêt tout particulier, non seulement par ses tendances libérales, mais encore par le nom des hommes qui l'ont provoqué ou obtenu; M. Montauban, avocat général, était assis au siège du ministère public, et c'est M. Martin-Feuillée, alors avocat, dont le talent, sans doute, fit prévaloir le principe de la liberté. (D. 75, 2, 236.)

(2) Cité par le J. du Palais, 1869, p. 676, note. (3) J. O. août 1879, p. 8,603.

accompagnés, dans le recueil de Dalloz, de notes nombreuses qui tendent à blâmer la sévérité des tribunaux et de la Cour suprême. « Le soin de faire les invitations, dit l'une de ces notes, peut évidemment être délégué par l'organisateur d'une réunion à des personnes investies de sa confiance; il n'y a rien d'irrégulier non plus à ce qu'un invité soit autorisé à amener avec lui des membres de sa famille ou des employés de sa maison. Il doit suffire que l'admission de chaque assistant n'ait lieu que sur la recommandation de personnes connues, de telle sorte qu'il soit impossible à des individus se présentant d'eux-mêmes de pénétrer dans le local affecté à la réunion (1).

Nous pourrions multiplier ces citations; mais cela ne nous paraît pas nécessaire. Les formalités exigées par la jurisprudence, pour la tenue des réunions privées, ne sont pas à un tel point difficiles à remplir, qu'il y ait un intérêt capital à chercher dans la doctrine un appui pour en justifier l'abandon (2).

Pour nous, nous pensons, avec la majorité des auteurs, que ce serait certainement méconnaître le respect dû à la vie privée, que la gêner dans l'accomplissement d'un acte essentiellement licite, par les nécessités d'une véritable procédure. Mais nous pensons aussi qu'en pareille matière, il n'est pas possible de poser des règles absolues et d'appliquer à toute hypothèse le principe d'une liberté sans contrôle.

Il est évident qu'une réunion, privée en apparence, peut déguiser une réunion publique; là, comme partout, la fraude peut trouver des combinaisons ingénieuses pour violer la loi. Il appartient aux tribunaux de les déjouer; or, les circonstances de chaque espèce peuvent seules éclairer la conscience du juge, et lui dicter une solution conforme à l'équité.

III.

Il nous reste à rechercher quelles peuvent être, pour l'organisateur d'une réunion privée, les conséquences de l'inobservation des conditions imposées par la jurisprudence.

A cet égard, l'objet de la séance n'est pas indifférent; deux cas doivent être distingués: 1o celui où il s'agit d'une

D., 69, 1, 113.

(1) Note sous l'Arrêt de Cass, du 9 janv. 1869. (2) V Giraudeau et Lelièvre, Réunions publiques. Ameline, Revue pratique, t. XXV, p. 367. - Dubois, Com. de la loi du 6 juin 1868., p. 65.

réunion proprement dite, c'est-à-dire d'une assemblée où l'on se propose d'examiner, sous forme de conférence ou de discussion générale, des questions politiques ou religieuses, sociales ou philosophiques, scientifiques ou littéraires; 2o celui où les invités sont convoqués pour assister, en témoins passifs, à un concert, à une représentation dra matique, à un spectacle quelconque.

A. La première hypothèse est prévue par la loi du 30 juin 1881 sur la liberté de réunion (1). Cette loi réglemente les réunions publiques, et punit des peines de simple police toute infraction aux dispositions qu'elle édicte (art. 10).

C'est l'application de cette pénalité qu'encourt le promoteur d'une réunion privée, lorsque, faute des formalités nécessaires, cette réunion se trouve entachée de publicité.

Les termes vagues dont s'est servi le législateur, dans l'énoncé de cette sanction pénale, ont fait naître une difficulté. Quelles sont les peines de simple police dont parle l'article 10? La contravention prévue par cet article 120 appartient-elle à la première, à la seconde ou à la troisième classe? L'emprisonnement ne peut-il être prononcé cumulativement avec l'amende, qu'en cas de récidive, conformément à la règle générale commune aux trois classes de contraventions?

On a soutenu, dans un pourvoi récemment formé devant la Cour de cassation, que la seule présence d'un doute exigeait l'interprétation la plus favorable au contrevenant; que, dès lors, il y avait lieu d'appliquer les peines de police les plus faibles, et, dans tous les cas, de ne cumuler l'emprisonnement et l'amende qu'en cas de récidive.

La Cour suprême a fait bonne justice de ce système; par un arrêt en date du 22 juillet 1882, elle a jugé que l'article 10 de la loi du 30 juin 1881, en parlant des peines de simple police, se réfère virtuellement aux articles 465 et 466 C. pén., qui définissent ces peines en renfermant l'amende dans les limites de 1 à 15 fr., et l'emprisonnement, dans celles de un à cinq jours; que, par conséquent, le tribunal de police, saisi d'une contravention à cette loi, a la faculté de se mouvoir dans les limites de l'emprisonnement et de l'amende posées par ces articles, et de prononcer contre le contrevenant, soit la prison et l'amende cumulativement, soit l'une ou l'autre de ces peines (2).

(1) La loi du 30 juin 1881 est relative à toutes les réunions publiques, quel qu'en soit l'objet, elle a supprimé la distinction faite par la loi de 1868, entre les réunions où l'on traite de matières politiques ou religieuses, et celles ayant un autre but.

(2) Cass., 22 juil. 1882. Sir., 83, 1, 45.

De nombreux arguments justifient cette solution (1); sans rappeler ceux que peuvent fournir les principes généraux, qu'il nous suffise d'indiquer que les travaux préparatoires de la loi de 1881 s'opposent à toute autre interprétation.

« Le texte primitif de l'article 10, tel qu'il était soumis par la Commission aux délibérations de la Chambre des députés, punissait les infractions à la loi d'une amende de 100 à 500 francs, et d'un emprisonnement de 15 jours à deux mois. Le texte nouveau, qui a été adopté par voie d'amendement, s'est borné à substituer à ces peines, celles de simple police. Il ne semble pas qu'il soit possible d'abaisser encore cette pénalité, par voie d'interprétation, à celle qui frappe les contraventions de police les plus légères. On le comprendrait d'autant moins que, l'article 10 constituant l'unique disposition édictée pour la répression de nombreuses infractions qui diffèrent notablement par leur nature et leur gravité, il convenait de laisser au juge une certaine latitude dans l'application de la peine (2). »

Les infractions à la loi du 30 juin 1881 étant assimilées à des contraventions, l'importance de la faute, l'intention du coupable, le préjudice causé par lui, ne présentent pas d'intérêt au point de vue du principe de la condamnation; le juge ne doit se préoccuper que de la constatation matérielle du fait punissable. Toutefois, l'article 463 du Code pénal étant applicable (art. 11), ces divers éléments ne doivent pas être négligés dans la fixation du taux de l'amende et de la durée de l'emprisonnement.

B. L'organisateur d'un spectacle privé s'expose à des condamnations à la fois pénales et civiles, lorsqu'il ne prend pas les précautions voulues pour maintenir à la réunion son caractère intime.

La nécessité de certaines formalités à remplir, lorsqu'il s'agit d'une fête publique; les droits d'auteur et le droit des pauvres, lui font encourir une triple responsabilité.

a.

En proclamant la liberté des théâtres, le décret du 6 janvier 1864 n'a fait disparaître ni les droits de l'autorité administrative sur la police des spectacles publics, ni la nécessité d'une déclaration préalable pour l'exploitation d'un théâtre. Toute personne qui admet le public à des divertissements quelconques, bals, concerts, représentations scéniques..., et qui, sous prétexte de réunion privée, néglige les formalités prescrites par la législation des théâtres, commet une contravention prévue et punie par

(1) V Carnot, C. pén., sous l'art. 464.
(2) Rapport de M. Tanon, conseiller-rapporteur.

Sir., ibid.

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