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dat. Il fallait éviter dans la formule imposée aux évêques et aux curés, toute expression qui semblât accepter des lois opposées aux doctrines ou à la discipline de l'Eglise. Et ce point, en apparence bien simple, ne laissa pas que de créer de sérieuses difficultés.

La question de l'organisation intérieure des diocèses, arrêta aussi la marche des négociations. Le Pape tenait essentiellement aux chapitres des églises cathédrales, qui dans l'administration canonique sont un rouage essentiel, et dont l'origine se rattache aux souvenirs des premiers siècles chrétiens. Il tenait également aux séminaires, objet de décrets si pressants du Concile de Trente, indispensables au recrutement et à la formation du clergé ; enfin, le Souverain Pontife ne pouvait oublier les monastères où se pratiquent les conseils évangéliques et sans lesquels l'Eglise, privée de l'un des principaux éléments de la vie surnaturelle, n'accomplirait pas entièrement l'œuvre de JésusChrist son fondateur.

Mais ces établissements n'avaient pas les faveurs du premier consul et de son gouvernement. Là encore des différends à concilier entre les deux pouvoirs.

La question des biens ecclésiastiques souleva elle aussi, les plus grandes discussions. Impossible de rétablir le culte catholique sans pourvoir aux frais matériels exigés pour l'entretien du clergé, et la célébration des rites catholiques. Les revenus de l'ancien clergé se composaient des dimes, du produit des immeubles appartenant à l'Eglise, des rentes et autres biens meubles; enfin des offrandes des fidèles. Rétablir les dimes était impraticable. La dime ecclésiastique, considérée dans son origine et dans sa fin, était chose très légitime, car elle était souvent une bien faible redevance payée à l'Eglise sur les propriétés qu'elle laissait entre les mains de ceux qui n'étaient primitivement que ses fermiers. Et puis la fin de la dime était de rendre hommage à Dieu, comme au Maître souverain de tous les biens de la terre, et de faire contribuer les fidèles suivant l'étendue de leurs revenus à l'entretien du culte public. Les pauvres avaient une large part au produit des dîmes, elles étaient pour beaucoup dans la fondation des hôpitaux.

Malheureusement la philosophie impie du dix-huitième siècle avait jeté tant d'odieux sur les dîmes qu'on ne pouvait espérer leur rétablissement. Aussi quand Mgr Spina en fit la proposition, il lui fut répondu par un refus formel. Quant aux propriétés que possédait le clergé avant la révolution, il en fallait faire deux parts; celle des biens aliénés ou vendus à des particuliers, et celle des biens restés entre les mains du gouvernement. En rigoureuse jus

tice, l'Eglise pouvait tout réclamer; car on prend son bien où on le trouve; sauf pour les acquéreurs, de se pourvoir contre l'Etat, des pertes qu'ils auraient subies par sa faute. Mais pratiquement l'Eglise ne pouvait espérer cette restitution. Le sacrifice de ces biens s'imposait. En était-il de même de ceux qui restaient entre les mains de l'Etat ? Rien n'empêchait celui-ci de restituer le bien mal acquis.-Aussi le Saint-Siège ne manqua-t-il pas de réclamer tout ce qui n'avait pas été aliéné; mais il ne pût faire prévaloir le droit sur la force brutale.

Privé de ses biens, le clergé devait pourvoir autrement aux nécessités de la vie. Les offrandes privées étaient précaires et trop modiques pour assurer l'entretien des prêtres et des églises. Il y fallait pourvoir par des ressources plus assurées. Le négociateur du Saint-Siège eut donc ordre de stipuler une indemnité fixe. Nous verrons en parcourant les articles du Concordat, comment fut réglée cette importante question, ainsi que celle des églises et édifices nécessaires au culte.

Ce n'était pas assez de régulariser un passé fâcheux; le Saint-Siège devait en outre pourvoir à l'avenir. Spoliée et privée de ses anciennes possessions, l'Eglise avait à reprendre son indépendance; elle ne le pouvait qu'en reconstituant sa propriété immobilière, et d'avance elle était assurée de son relèvement, grâce à la libéralité des fidèles, à l'esprit d'abrégation des administrateurs de ses biens, et à la sagesse de sa législation. Mais c'était un principe de la révolution de retenir l'Eglise dans l'abaissement et la dépendance, et d'empêcher à tout prix qu'elle se constituât de nouveau en société parfaite. De là, ces obstacles infranchissables au rétablissement des biens de main morte. L'Etat voulait bien autoriser les fondations pieuses, mais à une double condition, qu'il en aurait le contrôle, et qu'elles se feraient en rentes sur l'Etat; double condition que ne pouvait accepter le Saint-Siège. - Nous ne parlons pas de quelques autres difficultés secondaires, comme celle des prêtres mariés. Le gouvernement français sollicitait la ratification in globo de ces unions illégitimes, et une absolution générale pour tous les coupables. Le Saint-Siège n'y consentit pas; il se réserva de pourvoir à chaque cas particulier, quand ces malheureux imploreraient leur réconciliation avec l'Eglise.

Voilà, en résumé, quelles étaient les principales difficultés à résoudre. Et comme il y avait du côté du Saint-Siège des principes immuables à soutenir, du côté du gouvernement des préjugés presques invincibles, l'entente semblait impossible.

La Cour romaine, prévoyant ces obstacles, n'avait pas

donné pleins pouvoirs à ses envoyés de Paris. Mer Spina, devait traiter avec le gouvernement, transmettre au Souverain Pontife les propositions du premier Consul et attendre pour conclure les réponses du Saint-Siège. Le Pape de son côté, suivant les anciennes traditions des Pontifes romains, s'entourait des lumières du sacré Collège. Une congrégation extraordinaire de cardinaux avait mission d'examiner dans les plus petits détails, les projets venus de Paris, de les amender conformément aux principes de la foi catholique et à la discipline canonique.

Ces précautions nécessaires devaient tout faire traîner en longueur. Bonaparte n'était pas fait à ses lenteurs. Déjà cinq projets avaient été présentés, modifiés et rejetés. Des lettres terribles adressées en son nom par l'abbé Bernier au cardinal Consalvi, secrétaire d'Etat, pressaient la conclusion de l'affaire; la Cour pontificale répondait par le non possumus. Tout allait être rompu; quand, sur les conseils de l'honnête Cacault, agent de France à Rome, l'envoi de Consalvi à Paris fut résolu. Il partit avec pleins pouvoirs de conclure; mais d'après les instructions qu'il emportait, et à la condition que la convention signée par lui serait soumise à la ratification du Saint-Siège.

Bonaparte, non moins diplomate que général, n'omit rien de ce qui pouvait amener à ses vues, le nouveau négociateur. Déploiement de puissance, séductions, promesses, menaces, manières conciliantes succédant à la colère, les ruses même les plus inouies dans les fastes de la diplomatie, rien ne fut oublié. Il était secondé par un homme qui a laissé dans l'histoire une réputation plus que douteuse, l'ambitieux curé de Saint-Laud, Bernier, dont les services furent récompensés par l'évêché d'Orléans.

Du 20 juin, jour de son arrivée à Paris, jusqu'au 16 juillet, le cardinal Consalvi eut à lutter contre la mauvaise vo. lonté et la duplicité du gouvernement français; c'étaient sans cesse des projets nouveaux, dans lesquels, sous une forme ou sous une autre, le gouvernement reprenait les articles déjà rejetés, et qui semblaient abandonnés par Bernier le négociateur de Bonaparte. Les mémoires de Consalvi et ses dépêches retracent le tableau navrant de cette lutte du bon droit contre la force brutale. Le premier Consul seul dans le gouvernement, voulait sincèrement le Concordat. Mais derrière lui, dans l'ombre, manœuvraient les anciens jacobins. L'évêque apostat Talleyrand, ministre des affaires étrangères, cachait sous des apparences d'amitié, une véritable hostilité. Voici en quels termes l'expliquait Consalvi dans la dépêche du 25 juin : « Je dois rendre justice au premier Consul. Il montre les meilleures intentions. Le ministre des affaires étrangères

m'a donné aussi de bonnes espérances, et je veux croire qu'il les réalisera. Je ne cesse pas toutefois de craindre beaucoup. La guerre qui nous est faite d'ailleurs, n'est pas petite; et c'est pourquoi le gouvernement se croit obligé à prendre de telles et de si nombreuses mesures de prudence et de circonspection. C'est là au fond, le motif pour lequel il se refuse à un très grand nombre des choses considérées à Rome comme indispensables. Je redoute la qualité des expressions, je redoute encore plus les omissions. (Voy. Theiner, t. I, p. 582). » Le fin diplomate signale ici les deux dangers principaux; la qualité des expressions et les omissions. Napoléon désespérant de l'emporter de haute lutte, se retranchait dans les équivoques; bien résolu d'interpréter, dans les intérêts de sa politique, tous les équivoques qu'il aurait introduits dans le traité. Il aimait aussi les lacunes qui lui permettraient de représenter comme abrogé par le Concordat ce qui n'aurait pas été formellement exprimé. Système inauguré par lui, et que nous voyons encore aujourd'hui poursuivi avec cynisme par le gouvernement opportuniste.

Le cardinal Consalvi se débattit au milieu de ces difficultés pendant trois longues semaines. Le jour même fixé pour la signature, la mauvaise foi du gouvernement consulaire faillit faire échouer cette laborieuse négociation. Le cardinal raconte dans ses mémoires que tout était enfin réglé, le texte du Concordat accepté de part et d'autre. Il ne manquait que la formalité des signatures. Le palais de Joseph Bonaparte fut choisi pour cet acte solennel. Consalvi s'y rendit accompagné de Mer Spina et du P. Caselli qui devaient signer avec lui au nom du Saint-Siège; Joseph Bonaparte, frère du premier Consul, Crétet, conseiller d'Etat, et l'abbé Bernier représentaient le gouvernement français. Quand Bernier, présenta au cardinal le papier à signer, Consalvi jeta un coup d'œil sur la copie, et s'aperçut qu'au lieu du texte convenu et accepté de part et d'autre, on lui en présentait un autre tout différent, reproduisant, sauf quelques modifications de rédaction, les projets tant de fois rejetés par la Cour romaine. Le gouvernement français espérait-il que le Cardinal, signant de confiance, se prendrait à un piège si grossier? Ou bien se proposait-il d'entamer au dernier moment une lutte suprême, et d'emporter par lassitude, par la menace d'une rupture éclatante, la signature du Cardinal et de ses assesseurs? Theiner a nié la scène de la signature. I oppose aux mémoires, les dépêches officielles conservées aux archives du ministère des affaires étrangères, à Paris.

Il existe, en effet, une notable différence entre le récit des dépêches et celui des mémoires. D'après les dépêches,

telles que les cite Theiner, Consalvi aurait connu d'avance par un billet de l'abbé Bernier, la modification apportée à la rédaction convenue; sur le refus de Consalvi de l'accepter, Bernier aurait insisté pour la continuation des négociations, assurant que tout s'arrangerait à l'amiable (1). L'odieux de la scène de la signature serait donc ainsi considérablement atténué. Theiner va même jusqu'à interpréter en faveur de Napoléon et de Bernier toute cette manœuvre. A l'en croire, Bonaparte aurait accepté de bonne foi la rédaction convenue; mais son gouvernement, de moins bonne composition, aurait imposé l'autre projet, refusant le premier. Napoléon, encore dépourvu de l'autorité suffisante pour s'opposer à ses collègues du consulat et à ses conseillers, aurait fait prévenir sous main le Cardinal, afin qu'il prit ses précautions, et semblât forcer la main au premier Consul. Cette comédie habilement jouée aurait abouti à l'heureux résultat, que désiraient également les deux parties contractantes.

Nous croyons peu aux conjectures du P. Theiner. Mais, quoi qu'il en soit, il n'en reste pas moins certain que Bonaparte et Bernier, son agent, après avoir accepté le projet admis également par les représentants du Saint-Siège, remirent tout en question; et pour terminer ces difficultés il fallut séance tenante, convenir d'une rédaction définitive et la signer avant même de l'avoir présentée à Napoléon. Celui-ci l'aurait peut-être rejetée avant la signature; mais quand l'affaire fut conclue, il se déclara satisfait.

C'est le 15 juillet 1801, que fut signé le Concordat; les ratifications furent faites à Rome, le 15 août, à Paris, le 8 septembre, et échangées le 18 septembre.

Ainsi fut terminée cette grande œuvre du Concordat. Nous allons examiner doctrinalement chacun de ses articles et puis nous reprendrons le récit historique, et dirons comment il a été mis à exécution.

(1) Il est difficile de concilier les mémoires avec les dépêches officielles. Cependant les faits tels qu'ils sont racontés dans les mémoires, sont de telle nature qu'il est impossible de supposer un oubli de la part du Cardinal, même après un intervalle de 12 ans. D'autant que dans son récit, le Cardinal insiste très fortement et à plusieurs reprises sur l'odieux de ce procédé. Il faut donc ou que les mémoires soient fabriqués ou interpolés, ce que Theiner insinue plus d'une fois; ou que les dépêches officielles, par prudence, aient adouci cet épisode, ou que ces mêmes dépêches aient subi des altérations. Cette dernière hypothèse est-elle absolument invraisemblable?¡Il faut remarquer que tous les papiers relatifs au Concordat, qui étaient conservés à Rome, furent enlevés, transportés à Paris et déposés aux archives du ministère des affaires étrangères, lors de l'invasion de Rome en 1809; que ces archives sont soigneusement fermées; que seul le P. Theiner a eu communication de ces pièces par ordre de ceux qui étaient intéressés à couvrir d'un voile impénétrable les agissements de l'empereur; enfin, que le P. Theiner est loin de mériter la confiance aveugle de ses lecteurs.

(A suivre.)

G. DESJARDINS.

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