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DES VICISSITUDES DU DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

DANS L'HISTOIRE DE L'HUMANITÉ.

Etude par le docteur Vladimir Pappafava.

L'étranger n'est plus un ennemi comme dans l'antiquité, un serf comme dans le moyen âge, un aupain comme au dernier siècle; c'est un hôte à qui l'on reconnait tous les droits civils et qu'on accueille en ami » LABOULAYE.

I

Presque tous les peuples dans l'âge primitif avaient une tendance à tenir les étrangers à distance de leurs confins ou bien à ne les accueillir qu'avec beaucoup d'ombrage et de défiance. Les causes en étaient, outre les motifs d'ordre économique, la diversité d'origine, de race, de religion, de mœurs, de civilisation et de puissance.

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Les peuples anciens n'admettaient aucun rapport entre citoyen et étranger, ou bien, et c'était là une grande concession, assujettissaient ce dernier à des obligations multiples envers la ville qui ne le chassait pas, quoiqu'en ayant le droit. Cet éloignement réciproque entre les peuples, contribuait à resserrer le lien qui unissait le citoyen au sol natal; lien du reste aussi doux et aussi sacré que celui qui unit l'homme à sa mère. « Quiconque, dit le professeur Jhering dans son estimable ouvrage sur l'Esprit du droit romain dans les divers degrés de son développement, quiconque est résolu aujourd'hui à changer de nationalité, ne saurait être retenu par les avantages résultant de ses droits civiques, vu que, quelque pays qu'il choisisse, il y trouvera les mêmes droits et une capacité juridique égale. Il se peut même qu'il gagne au change. Jadis au contraire celui qui s'expatriait en abdiquant son titre de citoyen ne pou-vait espérer parvenir à le recouvrer dans un autre pays. Dès lors le sentiment de propre conservation vous liait à l'Etat, lequel possédait ainsi une force d'attraction qui lui échappe aujourd'hui ; et ainsi le droit, la liberté, diverses immunités et l'Etat lui-même, inspiraient une estime d'autant plus grande que les étrangers ne pouvaient y aspirer. Dans l'Inde, la guerre était l'état naturel, et la force le lien unique de la société (Lois de Manù, VII, 18 et s.). Un profond antagonisme séparait les Hindous des autres peu

ples, surnommés Melcha, c'est-à-dire ceux qui parlent une langue étrangère; ils étaient méprisés et considérés comme indignes de la protection des lois.

L'Inde est une terre sainte ; tous ceux qui habitent hors de ses confins sont impurs de mœurs et de langage, dit un antique poëme indien. Et dans la hiérarchie des créa tures, le législateur plaçait les étrangers après les éléphants, les chevaux et les sudras qui dans la société hindoue constituaient la troisième classe: ce n'est qu'aux lions, aux tigres, aux sangliers et autres animaux sauvages qu'ils étaient supérieurs (1).

L'unique tempérament ou remède aux conséquences de ces principes, étaient les traités, pour la consécration desquels les parties contractantes buvaient ensemble à la fontaine sacrée des Hindous, la fontaine de Tantale (Lois de Manu, VII - Philostrate, vie d'Appoll. III, 10).

En Médie et en Perse, l'histoire des relations internationales est écrite pendant longtemps en sanglants caractères. Ces peuples, aventuriers et nomades, mettaient à mort tous les êtres impurs qu'ils rencontraient dans le cours de leurs destructions (2), ainsi que tous ceux qui n'appartenaient pas à leur société politico-religieuse. Dans les livres de Zoroastre, dont une grande partie est relative au culte, nous trouvons des paroles de bénédiction pour les croyants, et des imprécations contre les étrangers.

Le peuple égyptien, guerrier et superstitieux au plus haut degré, était également inexorable à l'égard des étrangers (Rosellini, Monumenti istorici, cap. III, 1). Plutarque rapporte que les Egyptiens, qui étaient sans doute les plus nobles des peuples chamites, avaient à la guerre les usages les plus cruels, brûlant vifs leurs prisonniers et jetant leurs cendres au vent (Plutarque de Iside et Osiride, cap. 73). Dans l'inscription de Sésostris, qui résume la politique égyptienne, nous lisons: Le roi gouverne l'Egypte, le roi châtie la terre étrangère!

On lit dans Hérodote (II, p. 179) que si un navire étranger approchait des bouches du Nil, l'équipage devait jurer qu'il y avait été contraint par la plus impérieuse nécessité; puis il lui fallait en repartir de suite pour Canope, ou, si les vents l'en empêchaient, transporter ailleurs la cargaison.

Toutefois, les Egyptiens se relâchèrent beaucoup de cette rigueur sous le roi Amasis, qui ouvrit le Nil aux Grecs, en

(1) Lois de Manù, XII, 43. Catellani, Il diritto internazionale privato, 1, 7; Laurent, le Droit civil international, 1.

(2) Le vainqueur coupait la tête des vaincus, et les prisonniers étaient emmenés et soumis à d'horribles tortures. Layard, Nineveh and is remains, t. 11, p. 82. Ballerini, Studi di Diritto internazionale, p. 14.

leur permettant d'établir une espèce de port franc à Naucrate (1), et en leur assignant des terrains. Ils y construisirent un temple, et accrurent en peu de temps leur territoire au préjudice de l'Egypte (2).

Les Hébreux, supérieurs aux autres peuples par leur organisation sociale et par les idées directrices de leur existence, avaient conscience de cette supériorité. Fermement convaincus de leur privilège d'être eux seuls possesseurs de la vérité révélée, et de leur divine mission de la conserver intacte en vue d'un grand avenir, ils regardaient les autres peuples comme méprisables, dégénérés et voués à la perdition.

Néanmoins, si quelque étranger arrivait en Israël, il y était très humainement traité, car le principe de l'hospitalité était sacré pour les Hébreux, et ils se souvenaient de leur dur esclavage en Egypte (3).

<< Advenam non contristabis, ordonnait la loi hébraïque, - neque affliges eum, advenæ enim et ipsi fuistis in terra Ægypti (Exod. XXII, 21). « Si habitaverit advena in terra vestra et moratus fuerit inter vos, non exprobretis ei: sed est inter vos quasi indigena : et diligetis eum quasi vosmetipsos fuisti enim et vos advenæ in terra Ægypti : ego Dominus Deus vester. » (Levit. XIX-33-34). « Postquam messueritis segetem terræ vestræ, non secabitis eam usque ad solum nec remanentes spicas colligetis, sed pauperibus et peregrinis dimittetis eos. Ego sum Dominus Deus vester >> (Ibid. XXIII, 22).

<< Dominus Deus vester, ipse est Deus Deorum, et Dominus Dominantium, Deus magnus et potens, et terribilis, qui personam non accipit, nec munera. Facit judicium pupillo et viduæ, amat peregrinum et dat ei victum atque vestitum. Et vos ergo amate peregrinos quia et ipsi fuistis advenæ in terra Ægypti (Deuteron. x, 17, 18, 19). Æquum

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(1) Les dépenses nécessaires pour cette construction furent supportées par les villes de Chio, Teo, Phocée, Clazomènes, Rhodes, Cnide, Halicarnasse, Falèse et Mitylène.

(2) Cantù, Storia universale, t. 1, Tempi antichi. Pierantoni, Trattato di diritto internazionale, 1, 119. Ballerini, op. cit., p. 7. Laurent, op. cit., 1, 112-118.. Pastoret, Histoire de la Législation, 11, 190. (3) Salvador- Histoire des Institutions de Moïse et du peuple Hébreu; Paris, 1865, liv. v, ch. In: Des étrangers considérés comme individus; Ewald, Geschichte des Volkes Israël, tit. 11; Saalschütz, Das Mosaische Recht, tit. 1; Selden, Tractatus de jure naturali et gentium juxta disciplinam Hebræorum; London, 1650, Edit. 11, Argent, 1655; Kynieri: De fundamento juris naturæ et gentium juxta disciplinam Hebræorum; Michaels: Mosaisches Recht, Th. 1. - Torres Campos, Principios de derecho internacional privado, p. 57; - Pepere, Storia del Diritto. Primo periodo. Diritto dell'Oriente. Napoli; 1871, p. 177, 221, 281, 328 et 387.

judicium sit inter nos, sive peregrinus, sive civis peccaverit: quia ego sum Dominus Deus vester » (Levit. XXIV, 22). « Unum præceptum erit atque judicium, tam vobis quam advenis terræ » (Num. xv, 15). Et pronuntiabunt Levitæ dicentque ad omnes viros Israël excelsa voce :...Maledictus qui pervertit judicium advenæ, pupillæ et viduæ, et dicet omnis populus : Amen (Deuteron. XVII, 19). De ipsis autem urbibus, quæ ad fugitivorum subsidia separantur, tres erunt trans Jordanem, et tres in terra Chanaan, tam filiis Israel, quam advenis atque peregrinis, ut confugiat ad eas qui nolens sanguinem fuderit (Num. XXXVI, 1, 14, 15).

Les Hébreux accordaient à l'étranger qui avait embrassé leurs croyances en tout ou en partie, une sorte de naturalisation. Il y avait deux grades. Si l'étranger se convertissait pleinement à la religion hébraïque, il était appelé pro sélyte de justice. En présence de trois juges, il déclarait vouloir embrasser le Judaïsme, puis il était reçu avec les cérémonies d'usage et circoncis; il était alors assimilé aux Israélites: « Ecce, dit Moïse, talis fit per omnia instar Israelitæ ; » et bien que, dans l'ordre politique, il fût exclu des honneurs et des charges, il jouissait presque toujours des droits civils des Hébreux. Si, au contraire, il se bornait à observer les préceptes fondamentaux de la religion judaïque, que la tradition faisait remonter à Noé, il obtenait le titre de prosélyte de domicile, c'est-à-dire le second degré de naturalisation. Dans ce cas, il pouvait vivre avec le peuple hébreux et jouir des droits particuliers de prosélyte de justice, mais le culte de Jéhovah, l'accès du temple et la célébration du sabbat lui étaient interdits.

Les Grecs, ces fils d'une terre belle et agréable entre toutes, réchauffée par un soleil dont les rayons sont comme un perpétuel sourire d'allégresse, terre où la pensée et les arts commencèrent à vivre, patrie d'Homère et du premier peintre des temps antiques; les Grecs, fiers de leurs progrès dans les sciences, les lettres et les arts, faisaient de ces prérogatives mêmes comme une barrière. Qui n'appartenait pas à la race héllénique, ne pouvait être leur ami ou leur allié (1).

Barbey

(1) Freeman, Comparative Politics, London, 1873, p. 90. rach, Histoire des anciens traités répandus dans les auteurs grecs et latins, jusqu'à Charlemagne. Groningue, 1739. Sainte-Croix, Des anciens gouvernements fédératifs et de la législation de Crète. Paris, 1799.

Ward, Enquiry into the foundation and history of the Law of nations in Europe from the Greeks and Romans to the age of Grotius. London, 1795. Zinserling, Le système fédératif des anciens, mis en parallèle avec celui des modernes. Heidelberg, Strasbourg et Paris, 1809.

Se croyant supérieurs à tout ce qui n'était pas Hellène, les Grecs considéraient les étrangers comme des barbares dignes de mépris (1) ou comme des ennemis qu'il fallait combattre en toute occasion. Guerre éternelle avec les barbares, tel était le cri de cette nation; cum alienigenis, cum barbaris, æternum Græcis bellum est (2).

La piraterie, ce brigandage maritime, ver rongeur de la navigation, était très répandue dès les temps héroïques de la Grèce. Du vivant de Solon, les Phocéens furent amenés par suite de la stérilité de leur pays, à devenir écumeurs de mer, ce qui, dit un historien, était réputé alors une profession honorable et célébré comme une vertu héroïque. Il est à remarquer que Solon, bien que les soumettant à diverses règies, toléra les associations de piraterie, constituées depuis longtemps.

Les divers Etats de la Grèce ne concédaient en général que rarement le droit de cité à des étrangers.

A Athènes par exemple il fallait un décret confirmé par une assemblée, d'au moins six mille citoyens votant au scrutin secret. Chacun d'eux pouvait objecter les motifs d'indignité ou d'irrégularité qu'il connaissait (3).

Les étrangers qui n'obtenaient pas le droit de cité étaient obligés, s'ils étaient en butte à une accusation criminelle, de se choisir parmi les citoyens un patron ou personne responsable appelée postats qui était garant de leurs actions. Ils devaient aussi vivre dans un quartier spécial, où ils étaient en quelque sorte emprisonnés. Malheureuse que je suis s'écrie Electre; je suis confinée dans mon appartement comme un étranger domicilié (4).

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En outre, dans presque toutes les villes grecques, les étrangers devaient sous peine de perdre la liberté, verser pour eux et pour leurs enfants, une taxe annuelle au trésor public. A Athènes le taux était de douze drachmes pour les hommes et de six pour les femmes vivant seules sans mari ou sans enfants (5).

(1) Il suffit de dire qu'Antisthènes, fondateur de la secte des Cyniques, se voyait souvent reprocher d'avoir eu une mère non Athénienne (Diogène Laerce, de vita et mor. philosoph. lib. vI Antisth. Ath. Ap. seb. Gryphium) et que Mnesthée, fils du célèbre général Iphicrate auquel on demandait qui de sa mère ou de son père il estimait plus, répondit que c'était sa mère parce que son père, en tant qu'il était en lui l'avait engendré Thrace, sa mère au contraire Athénien.

(2) Live, Hist. XXXI, 29.- Thirwall, Storia della Grecia, t. III. quet, Du droit d'aubaine. édit. de 1621 chap. 1 § 1.

(3) Aristote. De Republica, lib. 111, chap. v.

(4) Sophocle. El. v. 190.

- Bac

(5) Bacquet. Op. cit., ch. III, § 22. Sainte-Croix. Mémoires sur les Métèques Mem. de l'Acad. des inscriptions, t. 48. de nationalité, p. 10.

Isperson, Le principe

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