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Certes, si l'on voulait en juger à priori, et en s'en tenant uniquement aux discours sonores et retentissants qui célèbrent à chaque instant les louanges du régime inauguré en 1870, la France républicaine aurait réalisé sur la France monarchique ou impériale d'incontestables progrès.

La presse est libre. Le peuple est son maître; il est affranchi des superstitions abrutissantes et se réclame de la libre pensée; des docteurs sans nombre lui distribuent tous les jours l'enseignement des devoirs civiques et de la morale indépendante; la criminalité devrait donc s'abaisser dans de larges proportions, laissant les souillures et les hontes aux époques dites de despotisme et d'ignorance. Ajoutez à cela la diminution de la population par suite de la perte de l'Alsace et de la Lorraine, laquelle se chiffre par une différence en moins de 395,014 âmes, et vous aurez une raison de plus pour attendre de la statistique des résultats plus favorables pour 1882.

Malheureusement, la réalité vient démentir ces prévisions d'un aveugle et complaisant optimisme, et la réalité la voici :

En matière de grand criminel, relativement aux crimes dont la connaissance est réservée aux Cours d'assises, le nombre des affaires jugées contradictoirement a été en 1882 de.....

Il n'avait été en 1869 que de..

Augmentation....

Le nombre des accusés a été en 1882 de............
Il n'avait été en 1869 que de....

Augmentation....

3.644 3.397

247

4.814

4.189

625

Ajoutons que dans le cours de l'année 1882, il a été commis 14 parricides !

Sur les 3.644 affaires de 1882, 1.666 concernaient des crimes contre l'ordre public et les personnes, et 1.978 des crimes contre la propriété.

Pour les délits, l'augmentation constatée en 1882 est considérable et véritablement effrayante. En 1869, il avait été jugé contradictoirement ou par défaut 142.520 affaires. Il en a été jugé en 1882 172.936, c'est-à-dire, 30.416 de plus !

Nous croyons utile d'indiquer, pour chacune de ces deux années, les chiffres qui sont relatifs aux délits les plus graves:

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La nouvelle loi sur la presse, du 29 juillet 1881, a eu sur la criminalité une influence immédiate. En 1869, on poursuiyait et on punissait, sous le nom de délits politiques ou de presse, les attroupements, les délits électoraux, les cris séditieux, les fausses nouvelles, les délits et contraventions de la presse périodique et non périodique, les livres, écrits et dessins délictueux, le colportage sans autorisation, les outrages à la morale publique. Le nombre des procès de cette catégorie s'est élevé en 1869 à 1.243. Grâce à la législation nouvelle, qui considère comme des actes licites la plupart des méfaits de cette nature, on n'a jugé en 1882 que 68 affaires de presse et 62 délits électoraux. Est-ce à dire que nos mœurs politiques se soient subitement améliorées, qu'en France les citoyens soient plus respectueux des droits et de la liberté les uns des autres, plus rigides observateurs de la vérité et des convenances? Non, certes, et il suffit au contraire d'ouvrir certains journaux et de parcourir certaines publications en vogue pour voir s'y étaler le mensonge, l'injure et la calomnie, et pour être convaincu que toute une campagne est résolument ouverte et poursuivie avec acharnement contre tout ce qui est saint et sacré, contre tout ce qui est honnête. Si donc un si petit nombre d'affaires de cette sorte sont portées devant les tribunaux, c'est que le législateur moderne s'est fait le complice des plus basses passions, qu'il a méconnu ses obligations et abdiqué ses devoirs, et qu'il a renversé les digues que ses devanciers avaient précédemment élevées contre le débordement de l'immoralité.

La récidive continue sa marche ascendante. En 1869, la proportion des récidivistes, sur le nombre total des individus accusés de crimes, a été de 42 0/0. Elle est de 52 0/0 en 1882. Relativement aux récidivistes qui ont été condamnés par les tribunaux de police correctionnelle, au nombre, en 1882, de 186,770, il faut remarquer que 7,388 ont été punis pour des contraventions forestières, et que les condamnations prononcées pour des infractions de cette sorte ne sont pas constatées dans les casiers judiciaires; partant, les individus qui en ont été l'objet ne figurant pas dans les états des récidives, celles-ci ne peuvent être uti

lement rapprochées que du nombre total des prévenus condamnés pour tout autre délit ceux-ci ont été au nombre de 179,382, et il y a eu parmi eux 78,998 récidivistes, soit 44 0/0. La proportion, en 1869, n'était que de 38 0/0.

Ainsi, notre système pénitentiaire, si l'on peut donner ce nom à un régime qui est l'absence de tout système, se montre de plus en plus impuissant à moraliser les condamnés. Il n'agit même pas par la crainte. Et cependant. ce qu'on appelle la Réforme pénitentiaire est à l'ordre du jour; depuis longtemps, on se livre à des enquêtes, on publie des mémoires, on compose de gros livres; mais que sort-il de ce travail? Rien. Ministres, sénateurs et députés ont bien d'autres soucis! Il faut qu'ils songent à leurs intérêts propres et à ceux de leurs mandants; il faut qu'ils préparent leur réélection; il faut qu'ils se livrent à des débats sans utilité sur des questions oiseuses, ou à d'ardentes compétitions sur des questions de personnes; et pendant qu'ils gaspillent ainsi un temps précieux, l'armée du mal se recrute sans cesse, ses cadres se forment, la population qui passe dans nos maisons centrales pour s'y dépraver davan tage, lui amène chaque année un nouveau contingent, et elle est pour l'ordre social le plus redoutable danger. Qu'on en juge par les chiffres suivants :

En 1880, il est sorti de nos dix-huit maisons centrales d'hommes, 6,159 condamnés à des peines corporelles variant d'un an à dix ans, la statistique écartant de son contrôle les individus libérés de peines d'un an seulement ou de moins d'un an. Or, sur les 6,159 condamnés, 2,403, environ les deux cinquièmes, ont été repris et condamnés de nouveau pour la première fois, savoir:

1,160 48 0/0 937 39 0/0 306 13 0/0

dans l'année même de leur libération; en 1881;

en 1882.

Les récidives sont moins nombreuses chez les femmes que chez les hommes; elles ne sont que de 24 0/0 sur le chiffre des libérées.

Les suicides se sont multipliés d'une manière véritablement effrayante, et leur nombre atteste les ravages produits dans les âmes par l'absence de toute croyance positive. En 1869, il y en avait eu 5,114; en 1882, on en compte 7,213 augmentation, 2,099. Dans le chiffre total, les hommes figurent pour 5,723, soit 79 0/0. Mais ce qui est profondément triste, et ce qui devrait inspirer aux législateurs les plus profondes réflexions, c'est de voir cette maladie morale gagner jusqu'à l'enfance. Ainsi, parmi les suicidés de 1882, il y en a eu 65 âgés de moins de seize ans, savoir 35 dans leur seizième année, 13 dans leur 15o, 10 dans leur 14, 2 dans leur 13, 4 dans leur 12o : l'un

d'eux avait à peine dix ans ! Pauvres enfants! qui ne savent encore rien de la vie, ni de ses épreuves, ni de ses tristesses, ni de ses plaisirs ou de ses consolations; qui sont encore à l'âge où l'avenir apparaît revêtu des plus séduisantes couleurs, où sourient toutes les espérances, où l'affection de la famille satisfait les besoins du cœur, où l'intelligence s'ouvre curieusement au spectacle varié des choses qui la sollicitent de toute part, où les uns se préparent aux joies si pures de la première communion, où les autres conservent pieusement le souvenir de cette première rencontre de l'âme avec son Dieu : et les voilà qui, privés, par une éducation mauvaise, de tout ce qui peut éclairer l'esprit, réchauffer le cœur et diriger la volonté, ne connaissant pas Dieu dont on ne prononce le nom devant eux que pour le blasphémer; ne s'agenouillant jamais devant un Crucifix ou devant l'image de la Vierge Marie, cherchent dans la mort la délivrance de peines imaginaires ou de chagrins d'un moment! Et c'est en présence de ces faits douloureux qu'une loi impie continuera, froidement et systématiquement, à écarter de l'enfance et de la jeunesse la science du surnaturel, de la loi divine, de la justice immuable et terrible de Dieu, comme de son infinie bonté; et qu'aux leçons si fortes et si touchantes que nous donnent la Crèche et la Croix de N.-S. Jésus-Christ, elle s'obstinera à substituer les enseignements froids et impuissants de la morale civique et indépendante!

Nous avons terminé le parallèle que nous nous étions proposé d'établir entre deux années que sépare un intervalle de treize années seulement, mais que différencient profondément deux régimes politiques dissemblables. Toutefois, il est quelques réflexions que suggère encore la statistique de 1882, et sur lesquelles il est bon de s'arrêter un moment.

Qu'il s'agisse de crimes, de délits, de récidives ou de suicides, il y a moins de coupables parmi les femmes que parmi les hommes. En ce qui concerne les crimes et les délits, la proportion est, pour les hommes, de 86 0/0,— de 14 0/0 seulement pour les femmes. Tandis que les deux cinquièmes des hommes libérés des maisons centrales sont repris et condamnés dans les deux années de leur sortie, les récidivistes femmes ne sont que dans la proportion de 24 0/0. Sur cent suicides, il y en a eu 79 d'hommes, et 21 de femmes. La raison de cette différence est manifeste : les femmes sont mieux élevées que les hommes, et leurs principes religieux les défendent mieux contre les tentations du vice et du crime. Grâce à la multiplicité des congrégations qui fournissent aux jeunes filles des maîtresses aussi pieuses qu'instruites; grâce aussi à l'enseignement

correct et irréprochable que donnaient en général, jusqu'à ces dernières années, les institutions laïques, la foi poussait de profondes racines dans l'intelligence des élèves, et les pratiques de la Religion développaient la vertu dans leurs cœurs. Mais que l'athéïsme continue quelque temps encore son œuvre de destruction morale; que la libre-pensée substitue ses folles théories aux leçons de l'Evangile, et on verra les résultats des nouvelles doctrines se produire et se révéler non seulement dans les troubles et les hontes qui déshonoreront et détruiront les foyers domestiques, mais jusque dans les colonnes des futures statistiques criminelles.

En jetant les yeux sur la qualité et la profession des criminels, nous pourrons voir quels sont les milieux les plus favorables à la conservation de la moralité publique. Prenant pour terme de comparaison 100,000 individus du même sexe et de la même profession, nous aurons les chiffres suivants :

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9. Domestiques attachés à la persone. 49 10. Professions non classées ou incon

17

nues....

51

15

On peut voir qu'en mettant à part les propriétaires rentiers et les agents de la force publique (ces derniers, choisis généralement en raison de leur bonne conduite et de leurs antécédents favorables), ce sont les cultivateurs qui, proportionnellement, fournissent le moins d'accusés: preuve que le travail des champs est moralisateur, et que les campagnes ne sont encore que faiblement attaquées par la contagion du siècle; mais, d'un autre côté, la classe des domestiques attachés à la personne donne un nombre d'accusés plus considérable que les autres. Qu'est-ce à dire? Est-ce que les domestiques se recrutent de préférence parmi les jeunes gens des deux sexes qui ont l'esprit aventureux et qui sont le plus disposés à secouer le joug tutélaire de la famille et la surveillance protectrice des parents? Est-ce que les maîtres qui ont charge d'âmes sur ceux dont ils emploient les services, remplissent insuffisamment les devoirs que leur position leur impose, et ne s'inquiètent

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