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élections par le peuple. Nous ne nions pas que l'action du peuple, dans les anciennes élections, n'ait plus d'une fois dépassé les bornes que nous indiquons; souvent, en effet, les assemblées furent tumultueuses, et les évêques furent contraints par la violence d'accepter l'élu du peuple; plus d'une fois aussi ils virent, dans les acclamations spontanées de la multitude des fidèles, l'expression de la vocation divine. Mais ces faits exceptionnels ne prouvent en rien le prétendu droit attribué au peuple dans les élections épiscopales.

Sous ce régime ancien, l'institution canonique ne se séparait pas de l'élection; la consécration suivait immédiatement; et le nouvel évêque entrait, sans autre cérémonie d'installation, en possession de son siège.

Ce système d'élection fut sujet à d'innombrables abus dont nous voyons les traces dans les annales ecclésiastiques. Les factions populaires, les intrigues et souvent les violences des grands entrainaient les suffrages des électeurs, plus que les mérites des candidats. Ces désordres donnèrent lieu à l'intervention des monarques chrétiens; et peu à peu on en vint ou à leur laisser complètement le choix des évêques, ou du moins à ne pas admettre d'élections qui n'eussent été confirmée par eux. L'Eglise romaine elle même se soumit à cette nécessité des temps. Pour échapper aux violences qui se renouvelaient à toutes les vacances du Saint-Siège, elle remit à l'empereur de Germanie le soin de désigner le pontife au corps électoral, ou du moins de confirmer celui qu'aurait désigné le suffrage des électeurs. Ce système dura jusqu'au pontificat du Grand Pape saint Grégoire VII.

Peu à peu le droit d'élire les évêques passa des évêques de la province aux chapitres des églises cathédrales. Au XIIme siècle cette discipline était en pleine vigueur. Mais l'élection des suffragants était soumise à la confirmation du métropolitain, chargé de s'assurer qu'elle avait eu lieu conformément aux règles canoniques; et l'élection des métropolitains, primats et patriarches était soumise à la confirmation du Pape. De sorte que tout découlait du siège apostolique, bien que son intervention immédiate s'arrêtat à l'institution des dignitaires les plus élevés de l'épiscopat.

Ce système d'élection fut lui aussi sujet à de nombreux abus. Nous en avons déjà parlé ; et nous avons dit comment la faveur, la pression des hommes puissants, la cupidité des électeurs donnaient trop souvent aux églises des pasteurs incapables ou indignes. C'est alors que les Papes se réservèrent un grand nombre de nominations épiscopales. Mesure sage, qui aurait apporté le remède à tant de maux; mais que n'acceptèrent pas les nations chrétiennes. Nous

avons raconté plus haut les tentatives faites aux Conciles de Constance et de Bâle pour faire rétablir les élections capitulaires, nous avons dit comment la pragmatique de Charles VII rendit aux chapitres cet ancien droit, et comment le Saint-Siège fut amené à concéder aux rois de France le droit de nomination aux évêchés.

Telle est en résumé l'histoire de la discipline par rapport aux nominations épiscopales. Mais quelle qu'ait été la discipline aux différentes époques, c'est toujours au Souverain Pontife qu'appartient proprement le droit de choisir les évêques, conséquence nécessaire de sa primauté, de son autorité suprême sur tout le troupeau de JésusChrist. Donc si les évêques des provinces, si les chapitres, si les princes temporels ont été investis de ce droit, c'est par une concession expresse ou tacite du Saint-Siège; non en vertu d'un droit propre au peuple, au prince séculier ou aux chapitres.

C'est donc bien faussement que M. Emile Olivier voit dans le droit de nomination aux sièges épiscopaux autre chose qu'une concession gratuite du Saint-Siège : « La nomination de l'évêque par le prince, dit-il, n'est ni un droit inhérent au pouvoir laïque, ni une concession purement gracieuse du Saint-Siège; c'est une conséquence nécessaire de la révolution disciplinaire qui a exclu les laïques des élections épiscopales.... Du moment que l'intervention directe du peuple ne fut plus requise, les princes participèrent à toutes les élections comme représentants du peuple chrétien, témoin nécessaire de toute nomination régulière. Ils ne pourraient donc renoncer à une attribution déléguée dont ils ne sont pas les titulaires personnels que s'ils obtenaient en même temps la réintégration des laïques dans l'ancienne coutume. » (L'Eglise et l'Etat au Concile du Vatican, t. 1, p. 117 et suiv.).

L'éminent publiciste ne pourrait appuyer son système sur aucun document sérieux. Il suppose comme fait historique, ce que nous n'admettons pas, que le peuple était en possession d'un droit véritable d'élection; il suppose à tort que ce prétendu droit est dévolu au prince, de sorte que celui-ci l'exerce comme représentant du peuple chrétien; d'après lui ce droit populaire, dévolu au prince, serait nécessaire, et découlerait de la constitution de l'Eglise. Or rien de plus contraire à la doctrine catholique touchant la primauté du Saint-Siège; l'histoire proteste contre cette théorie, puisque les princes n'eurent aux élections faites par les chapitres, d'autre action que celle de l'influence, de l'intrigue ou de la violence; enfin le droit canon n'a jamais donné place au prince séculier dans les élections, qu'elles

se fissent par les évêques de la province, ou par les chapitres des cathédrales.

Le droit de nomination par le prince est donc un privilège gratuit. Nous avons dit comment il fut accordé par le Pape Léon X à François Ier et à ses successeurs. Pie VII le renouvela par le Concordat de 1801. Il l'étendit même. Car le Concordat de 1516 réservait un certain nombre de nominations au Souverain Pontife, à savoir celles des sièges vacants en cour de Rome; de plus le Pape Léon X sauvegardait les droits des églises qui par un privilège particulier, distinct de la loi générale, avaient le droit d'élire leur prélat. Au contraire, le Concordat de 1801 accorde au prince la nomination à tous les évêchés situés sur le territoire français sans exception aucune.

Mais ce privilège n'est pas accordé sans condition. Premièrement il faut que le chef du Gouvernement français professe la religion catholique; cette condition est expressément posée dans l'article 17 et dernier du Concordat. Il faut en second lieu que le sujet présenté ait les qualités requises par les canons, et par conséquent le Pape a le droit de contrôler la nomination et de refuser le sujet présenté s'il ne le trouve pas digne ou capable d'occuper cette haute position. Nous reparlerons de ce droit en traitant de l'institution canonique réservée au Saint-Siège. Enfin une troisième condition regarde le temps de la nomination. En ce qui concernait les premières promotions, le Concordat ordonnait que la nomination aux sièges nouvellement institués se ferait dans les trois mois qui suivraient la publication de la bulle fixant la nouvelle circonscription. - A la fin du paragraphe 4 on ajoutait « Sa Sainteté confèrera l'institution canonique suivant les formes établies par rapport à la France avant le changement du Gouvernement. » Et dans le paragraphe suivant il est dit qu'à l'avenir l'institution canonique sera donnée par le Saint-Siège « en conformité de l'article précédent. »

Ce passage est très important pour la discipline nouvelle. Avant le changement de gouvernement, en vertu du concordat de 1516, le prince est tenu de nommer aux évêchés vacants dans les six mois, à dater du jour de la vacance. Faute à lui de remplir cette condition, le droit de nomination fait retour au Saint-Siège. De plus, si le sujet présenté n'a pas les qualités requises par les canons, le Pape peut le rejeter sans qu'il soit tenu de dire les motifs de son refus; en ce cas, le prince doit faire une nouvelle nomination dans les trois mois à partir du jour où notification du refus lui a été faite en consistoire. Et si dans cet intervalle de temps, il n'a pas nommé un sujet ayant les qualités voulues, le droit de nomination revient au Souverain Pontife.

Telles sont les prescriptions exprimées dans le Concordat de 1516, renouvelées par celui de 1801. Observées fidèlement, elles assureraient de dignes pasteurs aux églises, et ne permettraient pas les longues vacances si nuisibles aux diocèses. Si le gouvernement de France se fût renfermé dans les limites du privilège que lui avait accordé le Saint-Siège, on n'aurait pas vu, sous le second empire, deux évêques nommés par le gouvernement et maintenus pendant cinq ans malgré le refus du Pape, percevant indûment le traitement du siège vacant, et laissant par leur ambition coupable deux églises importantes privées de pasteurs légitimes.

A la nomination faite par le gouvernement succède l'institution canonique; il en est fait mention expresse dans le Concordat.

L'institution canonique est l'acte capital dans la promotion à l'épiscopat. C'est lui qui forme le lien entre le pasteur et le troupeau. Auparavant l'électeur ou le prince investi du privilège de nomination ont pu faire leur choix; mais il n'y a encore qu'un acte préparatoire, qui peut, en certains cas, ne produire aucun effet. Seule l'institution canonique fait l'évêque et lui donne la juridiction pastorale.

Faute de distinguer entre ces deux actes, M. Thiers s'écriait un jour à la tribune que le gouvernement fait les évêques; et ce propos est de temps à autre répété dans nos Assemblées législatives par nos députés radicaux ou libres-penseurs, devenus par je ne sais quelle transformation canonistes gallicans.

Ces canonistes de fraîche date se laissent tromper sur le mot de nomination. Le Concordat accorde en effet au chef du Gouvernement français le droit de nommer aux évêchés « Le premier consul nommera aux archevêchés, etc. et dans le texte latin: Primus Consul...... archiepiscopos... nominabit. Et nos modernes gallicans d'insister sur le verbe nommer. Ils se persuadent que le prince nomme un évêque comme il nomme un préfet. N'iraient-ils pas jusqu'à croire donner au nouvel évêque nommé par eux la juridiction spirituelle !

Mais tel n'est pas le sens canonique du verbe nommer. La nomination, dans le sens des saints canons, est une simple présentation qui doit être acceptée par le collateur du bénéfice, mais à condition que le sujet présenté soit jugé digne par ce même collateur de la dignité pour laquelle il est proposé. Nommer est donc ici synonyme de présenter. Aussi la Cour pontificale, dans les lettres apostoliques, a-t-elle coutume de mettre la formule nobis nominavit ;

formule conforme à celle que consacrait le Concordat de 1516: nominare nobis. Le roi pourra nous nommer, etc. (1).

La nomination une fois faite, le Pape est-il obligé de donner l'institution canonique? Est-il, comme le prétendait Portalis, collateur forcé, et ne peut-il pas refuser les bulles au candidat qu'il reconnait indigne? (Rapp. sur le Concord., germinal, an X.)

La réponse est facile. Le Pape doit accepter le choix du gouvernement si le sujet possède les qualités exigées par les canons qualités d'âge, de naissance, de bonnes mœurs et de capacité. Autrement le privilège de nomination qui est accordé au chef du gouvernement serait illusoire. Mais si le sujet présenté n'a pas les qualités voulues, s'il ne doit pas édifier l'Eglise et servir utilement à la tête d'un diocèse, le Pape non seulement peut le rejeter, mais il le doit; et en ce point un pape n'aurait pas pu enchaîner sa liberté et celle de ses successeurs. Le P'ape n'est donc pas, à proprement parler, collateur forcé.

Il doit avant tout s'assurer des qualités de l'évêque nommé. De droit divin, le prince séculier et tous ceux qui, de quelque manière que ce soit, contribuent aux promotions épiscopales, sont tenus de choisir non seulement des sujets capables, mais même les sujets les plus dignes; le Concile de Trente leur rappelle ainsi cette obligation : ils ne peuvent rien faire de plus agréable à Dieu que de pourvoir les églises de dignes pasteurs; ils péchent mortellement s'ils ne font porter leur choix sur les plus dignes et les plus utiles à l'Eglise; ils ne doivent pas se laisser diriger par les prières, les affections humaines, les conseils de l'ambition, mais par le mérite des candidats. Ainsi s'exprime le Concile dans le ch. 1er de la session 24.

Les gouvernements qui jouissent du privilége de nomination se conforment-ils toujours à ces règles? L'expérience hélas ! prouve que trop souvent la faveur, les intrigues, les

(1) Quand Mgr Legain fut promu au siège de Montauban, la bulle d'institution portait que le président de la République avait nommé au Pape, etc., nominavit nobis. Cette bulle, conformément aux usages anti-canoniques en France, fut portée au conseil d'Etat pour y être examinée et enregistrée avec la protestation accoutumée en faveur des libertés de l'Eglise gallicane. Le trans ripteur s'aperçut que la bulle portait la doucereuse formule nobis nominavit. Aussitôt grand émoi dans les régions gouvernementales. Le Pape empiétait sur les droits de l'Etat, en ajoutant subrepticement le mot nobis. On refusait donc d'enregistrer les bulles du nouvel évêque. Le bruit ne dura guère. Après enquête minutieuse, il se trouva que la formule qui avait tant scandalisé, était employée depuis l'origine du concordat, depuis trois quarts de siècle, sans que personne l'eût remarquée ou que les pouvoirs publics y eussent trouvé à redire, et que de plus elle était expressément contenue dans le Concordat de 1516, dont les dispositions à ce sujet sont remises en vigueur par celui de 1801.

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