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vaient les législateurs de 1792 et de 1804? Très certainement non.

En quoi donc l'indépendance des protestants, au point de vue des lois de l'Eglise catholique sur le mariage, estelle intéressée à ce que le prêtre catholique ne puisse, sans encourir les peines des articles 199 et 200 du Code pénal, prêter son concours au mariage des catholiques, avant que ceux-ci aient comparu devant l'officier de l'état civil? — D'ailleurs, les auteurs que nous avons cités reconnaissent que Louis XVI avait, par un édit de 1787, assuré aux protestants un état civil indépendant des lois de l'Eglise catholique.

15. Le véritable objet de la sécularisation, tout le prouve, a été de donner à l'Etat le pouvoir législatif et judiciaire en matière de mariage : c'est la solution, non définitive, nous l'espérons, d'une des questions sur lesquelles roule le débat, si ancien déjà, de l'empire contre le sacerdoce.

La thèse de la séparation du mariage et du sacrement n'est pas neuve, et nous ne croyons pas que Pothier se préoccupât de l'indépendance des protestants, lorsque, comme dit M. Demolombe, «il avait à lutter contre plus » d'un docteur qui, sans distinguer le sacrement d'avec le » contrat civil, voulait concentrer dans le pape toute la » puissance, la spirituelle et la temporelle. »

Le savant doyen de la Faculté de Caen ajoute, confirmant notre assertion:

« L'un des plus grands résultats de la révolution de 1789, » fut de séculariser la législation française. La Constitution » du 3 septembre 1791 (tit. II, art. 7) pose en principe que «la loi ne considère le mariage que comme contrat civil, » » et, à partir de cette époque, les lois sur l'état et la condi» tion des personnes, et en particulier sur le mariage, ont » de plus en plus consacré la séparation de l'Eglise et de » l'Etat, et l'indépendance du pouvoir temporel (1). »

Il serait plus vrai de dire l'usurpation par l'Etat du pouvoir qui appartient exclusivement à l'Eglise relativement au mariage. Car Pothier, tout en reconnaissant que les princes ne peuvent rien décider sur le mariage en tant que sacrement, n'en revendique pas moins pour eux le droit de régler indirectement la dispensation de ce sacrement en fixant les conditions de validité du contrat.

Que l'on se souvienne au surplus de l'énergie déployée par les Papes, pour maintenir l'indissolubilité du mariage,

(1) Demol., Traité du mariage, no ↓.

à l'encontre des passions ardentes des Philippe-Auguste et des Henri VIII, et aussi des visées politiques d'un Louis XIII ou d'un Napoléon Ier, et l'on comprendra le but que poursuivaient les légistes de la royauté, et la portée véritable de la législation édictée par les révolutionnaires de 1791 et de 1804.

16. L'Eglise du moins aurait-elle, par quelque prétention contraire aux droits de la société civile, fourni un prétexte à cette réaction excessive? Qui donc oserait l'avancer sérieusement? Tout en revendiquant pour elle seule le pouvoir de légiférer et de juger en tout ce qui regarde la formation, la validité et l'effet du lien conjugal, n'a-t-elle pas proclamé le droit exclusif du pouvoir civil à régler les effets temporels du mariage, dans l'ordre des conventions pécuniaires et des vocations successorales? Les Papes ont toujours tenu le langage que tient aujour d'hui Léon XIII; « L'Eglise, dit l'illustre Pontife, n'ignore >> pas non plus et ne méconnaît pas que le sacrement de » mariage qui a aussi pour but la conservation et l'accrois» sement de la société humaine, a des liens et des rapports » nécessaires avec les intérêts humains. Ce sont là vrai» ment des conséquences du mariage, mais qui touchent » aux matières civiles et ces choses sont à bon droit de la » compétence et du ressort de ceux qui sont à la tête de >> l'Etat. » (1).

Ce langage qu'il tient dans sa lettre encyclique du 10 février 1880, Léon XIII l'adressait déjà le 1er juin 1879 aux archevêques et évêques des provinces de Verceil, Turin et Gênes Et ici l'on peut remarquer avec quelle injustice » on accuse l'Eglise de vouloir exercer une action envahis»sante en matière de législation matrimoniale, au grand >> détriment comme l'on dit des prérogatives de l'Etat ou » de l'autorité politique. L'Eglise n'intervient que pour >> protéger ce qui est l'autorité du droit de Dieu et qui lui >> fut inviolablement confié, c'est-à-dire la sainteté du lien » conjugal, et les effets religieux qui lui sont propres. Per» sonne après cela ne conteste à l'Etat les mesures qui » peuvent être de sa compétence pour régler le mariage » dans l'ordre temporel en vue du bien commun et en dé> terminer selon la justice les effets civils. Mais ce n'est » pas ce qui arrive quand l'Etat, entrant dans le sanctuaire » de la religion et de la conscience, se fait l'arbitre et le >> réformateur des propriétés intimes d'un lien auguste » que Dieu a établi lui-même et que les puissances du

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» siècle ne peuvent pas plus dissoudre ou changer qu'elles » ne le peuvent former. >>

17. Il y a plus encore, et ceux-là même qui ne sont pas soumis aux lois de l'Eglise par le baptême, devraient se joindre à nous, non pas seulement pour protester contre l'injuste reproche d'usurpation que ses enfants lui adressent, mais pour exalter son zèle à défendre en cette matière la liberté humaine, et les droits de la nature.

N'a-t-elle pas protesté sous Louis XIII et ne protestet-elle pas encore aujourd'hui contre les lois qui subordonnent la validité du mariage des fils de famille au consentement de leurs parents? N'a-t-elle pas résisté avec une énergie sans pareille à la prétention des rois qui voulaient faire déclarer nuls les mariages des membres de leur famille contractés sans leur autorisation? Qui donc s'est montré sur cette question plus ami de la liberté, et plus respectueux du droit naturel, de Louis XIII ou d'Urbain VIII, de Napoléon Ier ou de Pie VII?

L'Eglise a le droit incontestable de régler les conditions de validité des sacrements, et de poser aux mariages des empêchements dirimants. Les actes du Concile de Trente disent après quelles hésitations les Pères du concile accueillirent enfin les vœux de la Cour de France, relativement à la nullité des mariages clandestins. On avait peine à admettre la possibilité de subordonner à la présence du curé et des témoins la validité d'un sacrement qui consiste vraiment dans le contrat par lequel les deux époux se donnent l'un à l'autre. La Cour de France obtint satisfaction sur ce point; elle ne put obtenir la reconnaissance d'un empêchement dirimant dans le défaut de consentement des parents aux mariages des fils de famille. Quel respect l'Eglise ne montre-t-elle pas pour la liberté de ses enfants, et pour une institution créée par Dieu lui-même ?

18. Ce respect aurait-il du moins conduit l'Eglise à compromettre l'ordre social et les bonnes mœurs? C'est encore Léon XIII qui va répondre à une accusation contre laquelle proteste l'histoire tout entière :

«Combien de vigilance et de soins l'Eglise a déployés » pour la sainteté du mariage et pour maintenir intact son » vénérable caractère, c'est là un fait trop connu pour » qu'il soit besoin de l'établir. Nous savons en effet que le » Concile de Jérusalem flétrit les amours dissolus et libres; » que saint Paul condamna par son autorité, comme cou» pable d'inceste un citoyen de Corinthe; que l'Eglise a » toujours repoussé et rejeté avec la même énergie les » tentatives de tous ceux qui ont attaqué le mariage chré

>> tien tels que les Gnostiques, les Manichéens dans les pre> miers temps du christianisme et de nos jours les Mor» mons, les Saint-Simoniens, les Phalanstériens, les Com>> munistes. >>

<< Ainsi encore le droit de mariage a été équitablement » établi et rendu égal pour tous par la suppression de » l'ancienne distinction entre les esclaves et les hommes » libres; l'égalité du droit a été reconnue entre l'homme » et la femme; car, ainsi que le disait saint Jérôme, parmi >> nous ce qui n'est pas permis aux femmes est également >> interdit aux hommes et, dans une même condition ils >> subissent le même joug, et ces mêmes droits, par le fait » de la réciprocité, de l'affection et des devoirs se sont trou» vés solidement confirmés; la dignité de la femine a été » affirmée et revendiquée; il a été défendu au mari de >> punir de mort sa femme adultère et de violer la foi jurée » en se livrant à l'impudicité et aux passions. >>

« C'est aussi un fait important que l'Eglise ait limité au» tant qu'il fallait, le pouvoir du père de famille, pour que » la juste liberté des fils et des filles qui veulent se marier » ne fût en rien diminuée; qu'elle ait déclaré la nullité » des mariages entre parents et alliés à certains degrés, >> afin que l'amour surnaturel des époux se répandit dans » un plus vaste champ; qu'elle ait veillé à écarter du ma»riage, autant qu'elle le pouvait, l'erreur, la violence et la >> fraude; qu'elle ait voulu que fussent maintenus intacte » la sainte pudeur de la couche nuptiale, la sûreté des per>> sonnes, l'honneur des mariages et la fidélité aux ser»ments. Enfin elle a entouré cette institution divine de » tant de lois fortes et prévoyantes, qu'il ne peut y avoir » aucun juge équitable qui ne comprenne que, même en » cette question du mariage, le meilleur gardien et le plus » ferme vengeur de la société a été l'Eglise, dont la sagesse » a triomphé du cours du temps, de l'injustice des hommes >> et des innombrables vicissitudes publiques (1). »

IV.

LA SÉCULARISATION DU MARIAGE ET LA
QUESTION DU DIVORCE.

19. — S'il est un caractère du mariage qui importe aux bonnes mœurs, à la conservation de la famille et au bon état de la société civile, c'est assurément la perpétuité de cette union, et l'histoire dit avec quelle énergie les papes ont lutté pour l'indissolubilité du mariage.

(1) Encycl. Arcan. divin. sapient... Quot vero et quam vigiles, et seq.

«Par le divorce, dit Léon XIII, les engagements du ma>> riage deviennent mobiles, l'affection réciproque est affaiblie; l'infidélité reçoit des encouragements pernicieux; » la protection et l'éducation des enfants sont compromi«ses; il fournit l'occasion de dissoudre les unions domes» tiques; il sème les germes de discorde entre les familles, » la dignité de la femme est amoindrie et abaissée, car elle >> court le danger d'être abandonnée après avoir servi à la » passion de l'homme. >>

Le Pape montre le divorce, sorti de la dépravation des mœurs, augmentant cette dépravation, au grand préjudice de la société civile, le désir du divorce gagnant de proche en proche, et sa pratique laissant les entraves que le législateur a cru suffisantes; puis il ajoute :

« Ces choses sont, sans aucun doute, fort claires par elles>> mêmes; mais elles deviennent encore plus claires si l'on >> rapproche les souvenirs du passé. Aussitôt que la loi » commença à ouvrir une voie sûre au divorce, les discor» des, les querelles, les séparations augmentèrent de beau» coup, et une telle corruption s'ensuivit que ceux-là >> même qui avaient pris parti pour le divorce durent se >> repentir de leur œuvre, et s'ils n'avaient pas cherché à >> temps le remède dans une loi contraire, il était à craindre » que l'Etat ne tombât rapidement en décade.ce (1). »

M. Auguste Comte ne juge pas le divorce autrement qué Léon XIII : « Il est aisé de reconnaître, dit-il, que pour un >> grand nombre d'esprits actuels, le grand principe social » de l'indissolubilité du mariage n'a, au fond, d'autre tort >> essentiel, que d'avoir été dignement consacré par le ca>> tholicisme. Sans cette sorte d'instinctive répugnance, en » effet, la plupart des hommes sensés comprendraient au» jourd'hui que l'usage du divorce ne pouvait constituer » véritablement qu'un premier pas vers l'entière abolition » du mariage (2). »

20. Il n'est donc pas surprenant que, par ce temps de guerre ardente contre l'Eglise catholique, la question du divorce se soit posée devant les Chambres françaises. Comment sera-t-elle résolue? M. Glasson serait bien embarrassé pour le dire, mais la façon dont il considère qu'elle se pose laisse place aux plus vives inquiétudes : « Pour >> discuter la question du divorce, dit l'honorable membre » de l'Institut, il est indispensable de mettre entièrement » de côté les préoccupations religieuses. On ne peut pas

(1) Encycl. Arcan. div. sapient. At vero... et Hec certe sunt. (2) Aug. Comte.

Cours de philosophie positiviste, t. v, p. 687,

note.

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