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Ce fut dans les mois d'avril et de mai 1795. 1795. Les subsistances de première nécessité étaient devenues extrêmement rares : ce qu'il faut attribuer non seulement au gaspillage qui s'en étaitfait avant le 27 juillet,alors que tout était taxé par le gouvernement (1), et que les fermiers chez lesquels on trouvait un peu de grain enmagasiné, étaient punis de mort comme accappareurs, mais aussi à la dépréciation du papier-monnaie. Les assignats s'étaient multipliés à l'infini, et n'avaient plus, depuis long-temps, une garantie suffisante. La crainte de la mort les avait maintenus au pair de l'argent jusqu'à l'époque du 27 juillet; mais, depuis que le gouvernement était devenu plus doux, tout le monde craignant leur chute d'un moment à l'autre, hésitait à en recevoir, et les fermiers cachaient leur grain quand on ne leur offrait point d'argent. Il est possible aussi que la disette fut un peu l'effet des manœuvres de ceux qui voulaient ressaisir l'autorité qu'un moment de mésintelligence avec Robespierre avait fait échapper de leurs mains.

Quoi qu'il en soit, cette rareté des subsis

(1) On appelait cette taxe, le maximum.

1795. tances de première nécessité fut le moyen dont les partisans du régime révolutionnaire se servirent dans le temps dont j'écris en ce moment l'histoire, pour essayer de rétablir leur empire au sein de la convention. Un attroupement de six ou sept cents femmes et d'autant d'ouvriers, en ayant forcé les portes le 1er avril, on les entendit bientôt crier: Du pain, et la constitution de 1793! Comme si ce cri eût été un signal convenu avec eux; des députés prirent alors la parole, et dirent impérieusement au reste de la convention: « Rendez au peuple le maximum qui peut seul assurer ses subsistances; rendez à ses ennemis une juste, une profonde terreur; rendez aux patriotes la liberté et leurs assemblées. Peuple infortuné ! du moins tu as trouvé des défenseurs qui te seront fidèles ; demeure aussi fidèle à les soutenir.» Les pétitionnaires se mêlèrent en même temps aux députés, et ils se préparaient à rendre des décrets, en opinant conjointement avec eux, lorsqu'ils s'aperçurent que le lieu d'assemblée était cerné par les jeunes Parisiens dont je parlais tout à l'heure, qu'on avait eu le temps d'avertir et de rassembler. Les assaillans se retirèrent comme ils purent, et le et le coup fut tellement manqué

se jour-là, que la convention sévit contre 1795. ceux de ses membres qui avaient paru s'entendre avec eux. Elle condamna elle-même à être déportés à la Guyane, Billaud de Varennes, Collot d'Herbois et Barère, qu'elle hésitait depuis deux mois à mettre en jugement (1). Dix-sept autres furent déclarés par elle en état d'arrestation. Parmi eux on remarquait Amar, Maignet, Cambon, Léonard-Bourdon, Choudieu, Hentz, Moïse Baile, Granet, et Le Cointre de Versailles. Ce Le Cointre avait été, pendant quelque temps, l'accusateur de Billaud de Varennes et de ses complices, et il était accusé d'avoir, par la plus bizarre inconséquence, participé à une révolte dont un des objets était de les sauver. Le général Pichegru, qui, conquérant de la Hollande, se trouvait momentanément à Paris, fut chargé par la convention de protéger ces mesures, lui qui deux ans plus tard devait être en butte à une condamnation pareille à celle dont Billaud de Varennes, Collot d'Herbois et Barère étaient alors atteints.

(1) Le premier avait dit, il y avait quelque temps: & Bientôt nous ferons connaître à nos lâches ennemis que le lion s'est réveillé. »

1795.

Cependant l'insurrection, entièrement
manquée le 1er avril, fut reprise avec beau-
coup plus d'étendue et de succès le 20 mai.
Comme je l'ai déjà fait observer à mes lec-
teurs, dans le courant de cet ouvrage, il
semblait que pour tous ces coups de parti, le
premier effort, ordinairement sans résultat
important, ne fût fait que pour préparer au
second, et mettre les conspirateurs au fait
des localités. Le 20 mai, l'attroupement se
forma au son du tocsin
et ne fut pas de
moins de trente mille hommes. Leur cri de

ralliement était ouvertement: Du pain,
constitution de 1793!

et la

A midi, la convention était totalement investie. Les bataillons qui venaient l'attaquer, et ceux qu'elle avait appelés à son secours, étaient mêlés entre eux, et semblaient ne former qu'une même armée.

Une députation de séditieux parut à la barre; ils présentèrent une pétition qui n'était qu'une menace, d'exterminer tous ceux à qui ils imputaient leurs malheurs. C'était une proscription comme celle du 2 juin, qu'ils demandaient. Boissy d'Anglas, qui présidait la convention, ne voulut promettre, en son nom, que des soins pour assurer les subsistances.

Le tumulte devint alors affreux. Le pré- 1795. sident ayant voulu faire évacuer les tribunes d'où s'échappaient des menaces et des cris de révolte, ceux qui les remplissaient résistè rent. En même temps, un grand nombre d'hommes et de femmes s'introduisirent de force dans l'assemblée. Repoussés par la partie de la garde nationale qui défendait la convention, ils rentraient bientôt, après s'être renforcés, dans les corridors, de nouveaux séditieux, et en étaient, au bout de quelques instans, encore chassés. La salle d'assemblée de la convention était à moitié transformée en un champ de bataille. Tantôt les députés délibéraient entre eux tantôt ils se divisaient en deux partis qui se menaçaient, et fondaient l'un sur l'autre avec différens auxiliaires. Le président seul demeurait immobile à son poste, quelques menaces qu'on lui adressât pour le lui faire quitter.

Enfin les séditieux restent maîtres de la

salle,

dont ils se sont emparés à coups de fusil : dans un dernier choc ils arrivent jusqu'au fauteuil du président; approchant le fer de leurs piques de sa poitrine, ils lui commandent de mettre aux voix les propositions qu'ils désirent voir converties en décrets, ou de quitter le fauteuil. Retirez-vous,

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