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majorité des réunions françaises, qu'il fallait 1795. être noble ou prêtre pour regretter la royauté, et un noble ou un prêtre non apostat était, dans ces circonstances où chacun prétendait à la réputation d'esprit fort, un personnage essentiellement méprisable et voué à la moquerie. L'échafaud attendait d'ailleurs, dans la place publique, celui qui, par la moindre parole rapportée, osait se donner pour l'ennemi des formes républicaines, [...

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On s'était véritablement façonné à ce joug,' quand la chute de Robespierre arriva. Par la crainte de la mort et du ridicule, cette arme si puissante chez nous, chacun avait pris le jargon républicain. Il n'y avait plus que des nuances dans la manière dont les uns et les autres eussent voulu que la république fût. réglée. Robespierre et le régime sanglant à peu près anéantis, on ne pensa donc pas, généralement parlant, à rétablir la royauté, mais seulement à se donner, dans les formes républicaines, un gouvernement plus doux et plus sage que celui qu'on avait en jusqu'à cette époque. Il fallait une expérience de la république dans ce sens, pour en dégoûter tout-à-fait, ou donner du moins le courage de sentir et de dire qu'on eût voulu voir triompher la monarchie. Les victoires

1795. de nos armées, alors dans leur plus beau moment de gloire, semblaient d'ailleurs avoir consacré la république chez nous, et ne nous plus laisser de moyens de reculer, à cet égard.

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Rien, au surplus, n'avait été négligé par les destructeurs du trône, dont une grande partie existait encore à la tête des affaires, et restait conséquemment en possession de gouverner l'esprit public, pour effacer chez nous jusqu'aux moindres traces du temps où des rois avaient présidé à nos destins. On nous avait en quelque sorte transportés dans un monde tout nouveau : nous ne comptions pas comme nous comptions en 1788, nous mesurions aussi d'une autre manière, et notre calendrier était entièrement changé; ce n'était plus, comme Dieu, le septième jour que nous nous reposions: plus forts que Ini depuis le renversement momentané de ses autels, nous poussions nos travaux jusqu'au dixième jour, encore employions-nous ce jour à d'autres exercices que ceux qui le rem. plissaient autrefois. Le temple de la Raison, la seule divinité fantastique qu'il fût permis d'honorer de nom, s'ouvrait bien à ce terme, mais c'était pour que nous y vinssions enJendre au milieu d'une musique entière

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ment profane' et mêlée par intervalles d'airs 1795. de Pont-Neuf, le bulletin de nos armées, la lecture des lois, celle des jugemens des tribunaux révolutionnaires; le tout se terminait par le défilé voluptueux, mais peu édifiant, des époux récemment divorcés, qui allaient à la suite les uns des autres, faire devant un officier municipal de nouveaux sermens de mariage, et des jeunes gens majeurs des deux sexes qui, dans la dixaine avaient jugé convenable dé s'unir provisoirement pour la première fois, sans l'agré. ment nécessaire de leurs père et mère, que les moins au-dessus des préjugés avaient cependant, par procédés, admis aux honneurs du cortège et de la noce. Ce dixième jour, si propre à déranger les têtes, ne portait pas non plus le nom de dimanche, qui avait semblé anciennement consacré à maintenir l'ordre dans les esprits, en appelant l'homme à remercier Dieu du gain de sa semaine, et le disposant par des exhortations religieuses à n'en faire, dans les divertissemens même de ce jour, qu'un usage raisonnable et honpête. On le nommait décadi. Les dix jours de cette nouvelle semaine se nommaient ainsi, par corruption du grec, primidi, duodi, tridi, quartidi, quintidi, sextidi, sep

1795. tidi, octidi, nonidi et décadi; pour chacun d'eux on avait remplacé les noms des saints qui figuraient dans l'ancien calendrier comme pour faire souvenir l'homme qu'il devait dans tous les instans de sa vie prendre la vertu pour modèle, par des noms de choses usuelles ; l'un de ces jours portait le nom d'épinards, l'autre celui de laitue, etc., etc. L'année avait continué d'être divisée en douze mois, ces douze mois se nommaient suivant à peu près ce qu'on avait à attendre d'eux, vendémiaire, brumaire, frimaire nivose, pluviose, ventose, germinal, floréal, prairial, messidor, thermidor, fructidor (1). Ces douze mois étaient tous composés de trente jours:à la fin de l'année se trouvaient desjours qui ne se rattachaient à aucun d'eux, qu'on avait d'abord nommés assez raisonnable

(1) Vendémiaire, le mois des vendanges; brumaire, le mois des brouillards; frimaire, le mois des frimats; nivose, le mois de la neige; pluviose, le mois de la pluie; ventose, le mois du vent; germinal, le mois où tout germe dans la terre;' floréal, le mois des fleurs; prairial, le mois des prés; messidor, le mois de la moisson; thermidor, le mois des bains; fructidor, le mois des fruits.

ment complémentaires, et ensuite sans-culot- 1795. tides; car depuis le 2 juin 1793 jusqu'au 27 juillet 1794, le mot de sans-culotte avait été le mot à la mode: composé pour étourdir le peuple et lui persuader que les meneurs voulaient tout faire par lui et pour lui, on l'employait à la place de celui de patriote ; au reste les jours sans-culottides venaient bien à la suite des jours consacrés aux épinards, à la laitue, au fromage, etc., etc.

Vu la disposition des esprits dont je viens de rendre compte, tant pour son état que pour son origine, on aurait tort de croire, comme l'ont avancé des écrivains du temps, que le mouvement dirigé par les sections de Paris contre la convention, le 5 octobre 1795, ( 13 vendémiaire an IV, style de la révolution ) fut un mouvement purement royaliste. Quelques-uns des chefs et des simples membres de cette insurrection eurent bien une arrière-pensée qui était le rétablissement de la monarchie; mais la masse des insurgés, qui marchèrent tous sous des drapeaux républicains, ne fut mue que par un seul sentiment, celui de dépouiller la convention d'un droit qu'elle s'était attribué par un article d'un décret additionnel à la nouvelle. constitution.

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