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» égard; mais il faut se soumettre à la volonté » de Dieu, et croire que tout cela est arrivé » pour notre bien. Ne montrez cette lettre à » personne au monde, excepté à l'abbé de » Langeron, s'il est actuellement à Cambrai, » car je suis sûr de son secret; et faites-lui mes » compliments, l'assurant que l'absence ne di» minue point mon amitié pour lui. Ne m'y » faites point non plus de réponse, à moins » que ce ne soit par quelque voie très sûre, » et en mettant votre lettre dans le paquet » de M. de Beauvilliers, comme je mets la » mienne; car il est le seul que j'aie mis de la » confidence, sachant combien il lui serait » nuisible qu'on le sût. Adieu, mon cher ar» chevéque; je vous embrasse de tout mon »cœur, et ne trouverai peut-être de bien long» temps l'occasion de vous écrire. Je vous de» mande vos prières et votre bénédiction. »

LOUIS.

Nous avons la minute originale de la réponse. de Fénélon. Elle renferme les exhortations les plus tendres au jeune prince, pour l'affermir. dans ses sentiments de religion; mais il n'y mêle aucunes réflexions sur tout ce qui s'était passé depuis quatre ans, ni sur toutes les injustices qu'il avait éprouvées, et dont il était encore la victime; il termine sa lettre par ces seuls

mots : « (1) Je ne vous parle que de Dieu et de » vous; il n'est pas question de moi. J'ai, dieu » merci, le cœur en paix; ma plus rude croix » est de ne vous point voir, mais je vous porte » sans cesse devant Dieu dans une présence » plus inti, e que celle des sens. Je donnerais » mille vies, comme une goutte d'eau, pour » vous voir tel que Dieu vous veut. »

Telle était cette correspondance que M. le duc de Bourgogne et son vertueux instituteur étaient obligés de voiler des ombres du mystère par respect pour les préventions de Louis XIV; elle aurait peut-être suffi, s'il en eût eu connaissance, pour le désabuser des idées sinistres qu'on lui avait inspirées contre l'auteur du Té lémaque.

La prévention de Louis XIV contre ce livre était si connue; on craignait tellement d'offenser son oreille en prononçant seulement le nom de Télémaque, qu'après la mort même de Fénélon, seize ans après la publication du Télémaque, lorsque ce livre était répandu dans toute l'Europe, et traduit dans toutes les langues, M. de Boze, qui succéda à Fénélon à l'académie française, n'osa parler du Télémaque dans son discours de remercîment à l'académie, et dans l'éloge de l'archevêque de Cambrai, ni M. Da

(1) Manuscrits.

cier, directeur de l'académie, dans sa réponse à M. de Boze: c'était au mois de mars 1715; Louis XIV régnait encore.

On nous dispensera sans doute de justifier Fé nélon d'une imputation aussi odieuse que celle d'avoir voulu faire la satire d'un grand roi dans un ouvrage écrit pour son petit-fils. Le caractère et la vertu de Fénélon suffiraient pour repousser un pareil soupçon, quand même nous n'aurions pas les preuves les plus certaines qu'il n'a pu en avoir ni l'intention, ni la pensée; les faits mêmes résistent à cette supposition. Les rédacteurs de la Bibliothèque britannique ont observé, avec raison, qu'il n'avait pu composer son Télémaque qu'à une époque où il jouissait encore de la faveur, et où il occupait à la cour la place la plus honorable; dans un temps où Louis XIV paraissait le distinguer par les témoignages d'estime les plus flatteurs, et l'élevait aux premières dignités de l'église. Fénelon n'a cessé de professer, dans toutes les occașions, un véritable attachement pour ce prince; et la veille même de sa mort, dans une lettre où il déposa l'expression de ses derniers sentiments, il proteste solennellement « qu'il a tou»jours eu pour la personne de Louis XIV et » pour ses vertus, une estime et un respect » profond. Sans doute, ajoutent les rédacteurs » de la Bibliothèque britannique, on doit croire

» sur une déclaration de cette nature un évê» que, un évêque comme M. de Cambrai, et un » évêque mourant. »s

Il semble en effet qu'une déclaration solennelle dans ces derniers moments où l'on ne peut plus être inspiré par aucun motif de crainte ou d'espérance, où l'on n'a plus rien à attendre ni à redouter des rois de la terre, où l'on est prêt à comparaître devant le seul juge qui lit dans les cœurs, devrait toujours être acceptée comme un témoignage de la vérité; mais les hommes sont si inconséquents dans leurs jugements, qu'ils se flattent de la surprendre plus facilement dans les moments où l'on est ému par passion ou conduit par l'intérêt. C'est surtout dans les correspondances secrètes et intimes de l'amitié, qu'ils cherchent à démêler les véritables expressions de la haine, de l'estime ou de l'affection.

la

C'est parce que nous retrouvons Fénélon toujours fidèle à la reconnaissance envers Louis XIV, dans ses lettres les plus confidentielles, que nous sommes convaincus qu'il n'eut jamais la pensée d'offenser la gloire d'un prince dont il honorait sincèrement les grandes qualités. Nous voyons même que, dans les temps où tout autre que Fénélon aurait cru avoir le droit de se plaindre des effets de la prévention que ses ennemis étaient parvenus à lui inspirer, il

Lettre de

Fénelon à

M. de Beau

villiers, 26

n'en parle avec ses amis les plus intimes que pour rendre hommage à ses bonnes intentions et à son zèle pour la religion.

Ces sentiments ne tenaient point à cette ostentation de générosité qu'on affecte quelquefois au dehors, pour se montrer dans le malheur, supérieur à l'injustice et à l'abus de la puissance. C'est dans toutes les lettres les plus secrètes de Fénélon que nous retrouvons toujours ce même langage, cette même caudeur. Nous pourrions en citer un grand nombre; nous nous bornerons à rapporter celle qu'il écrivit à M. de Beauvilliers, le 26 août 1698. On remarquera seulement qu'elle fut écrite quelques semaines après que Louis XIV venait de renvoyer de sa cour les parents et les amis de Fénélon.

« Je ne puis m'empêcher de vous dire, mon bon duc, ce que j'ai sur le cœur. Je fus hier, août 1698. » fête de S. Louis, en dévotion de prier Dieu (Manuscrits.) » pour le roi. Si mes prières étaient bonnes, il le » ressentirait; car je priai de bon cœur. Je ne » demandai point pour lui de prospérités tem » porelles, car il en a asscz; je demandai seu» lement qu'il en fît un bon usage, et qu'il fût » parmi tant de succès aussi humble que s'il » avait été profondément humilié. Je lui sou» haitai, non seulement d'être père de ses peu » ples, mais encore l'arbitre de ses voisins, le

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