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mission et de simplicité qui était leur premier engagement et la condition formelle de l'approbation que l'église avait donnée à leur institut. Indépendamment du ridicule qu'offre la seule idée de voir des religieuses se prétendre plus instruites d'une question de théologie, que le pape, les évêques et les facultés de theologie, on sent assez qu'une pareille prétention était un acte véritablement scandaleux dans l'ordre de la religion.

Si l'on demande pourquoi on exigea de ces religieuses leur souscription à un formulaire de doctrine, la réponse sera facile: il était de notoriété publique que la maison de Port-Royal était gouvernée par les partisans les plus déclarés des opinions condamnées; qu'elles étaient justement soupçonnées de partager les sentiments de leurs directeurs; et rien ne justifie mieux la demande qu'on leur fit, que le refus obstiné qu'elles y oppo

sèrent.

M. de Péréfixe (1), archevêque de Paris, épuisa en vain tous les moyens de douceur, de condescendance et de discussion pour obtenir d'elles, par la raison et la persuasion, ce qu'elles refusaient à l'autorité; enfin, M. de Péréfixe porta l'indulgence et la bonté jusqu'à engager Bossuet à conférer avec elles, à écouter leurs objections, à résoudre leurs doutes, à combattre leurs scrupules, à leur expliquer la nature de la soumission qu'on leur demandait. Bossuet n'était pas encore évêque; mais il jouissait déjà de la plus grande considération; il ne pouvait être suspect' aux religieuses de Port-Royal; il n'avait aucune liaison avec les jésuites, qu'on leur avait peints sous les traits les plus odieux; il n'avait pris aucune part aux affaires du jansénisme. Nous

(1) Hardouin de Péréfixe de Beaumont fut d'abord camerier du cardinal de Richelieu, précepteur de Louis XIV en 1644, nommé à l'évêché de Rhodez en 1648, à l'archevêché de Paris le 30 juillet 1662, mort le 1er. janvier 1671, âgé de 65 ans. Il est auteur d'une Histoire d'Henri IV, justement estimée, qu'il avait composée pour l'instruction de Louis XIV, et qu'il lui avait dédiée.

avons la lettre qu'il écrivit à ces religieuses; cette lettre seule, qui est un chef-d'œuvre de logique, de précision et de clarté, réunit, en quelques pages, tout ce qui a jamais été dit ou écrit de plus décisif en des milliers de volume, sur la question du silence respectueux. Elle a répondu d'avance à tout ce que l'ignorance ou l'esprit de parti ont reproduit sous la plume de quelques écrivains de nos jours, qui ne paraissent seulement pas avoir su de quoi il était question.

Mais ce qu'on a peine à se persuader, c'est que les religieuses de Port-Royal se crurent plus habiles théologiennes que Bossuet: cette admirable lettre, qui détruisait avec tant de force et de clarté tous les sophismes dont on avait nourri ces imaginations malades, ne put les ramener à des idées et à une conduite plus raisonnable. Tel fut l'ascendant de leurs directeurs sur leurs opinions et sur leur conscience, qu'elles préférèrent de renoncer à l'usage des sacrements, plutôt que de convenir, sur le témoi gnage de toute l'église, qu'un évêque avait hasardé, même involontairement, des erreurs dans un livre qu'elles ne connaissaient pas. Un pareil entêtement donnait bien, à M. de Péréfixe, le droit de dire que les religieuses de Port-Royal étaient pures comme des anges, et orgueilleuses comme des

démons.

La déclaration du roi, du 29 avril 1665, qui prescrivait l'exécution de la bulle d'Alexandre VII, du 15 février de la même année, imposait à tous les évêques l'obligation de souscrire et de faire souscrire le formulaire.

Les seuls évêques d'Aleth (1), de Pamiers (2), de Beauvais (3)

(1) Nicolas Pavillon, né à Paris le 11 novembre 1597, nommé à l'évêché d'Aleth en 1637, mourut le 8 décembre 1677, âgé de plus de 80 ans. (3) François-Étienne de Caulet, né à Toulouse en 1610, nommé à l'évêché de Pamiers en 1645, mourut le 7 août 1680, dans sa 7te. année.

(3) Nicolas Choart de Buzenval, né en 1611, nommé à l'évêché de Beauvais en 1650, mourut le 21 juillet 1679, âgé de 68 ans.

et d'Angers (1) entreprirent de renouveler, dans l'acte même de leur souscription, la distinction du fait et du droit que le pape venait de condamner si formellement par une bulle revêtue de la sanction royale. On a même peine à concevoir comment ces prélats pouvaient imaginer de faire revivre une distinction absolument incompatible avec l'acception claire et manifeste du formulaire qu'ils consentaient à souscrire. Quoi qu'il en soit, ils firent des mandements uniformes, où ils établirent que l'église est à la vérité infaillible, lorsqu'elle prononce que telle ou telle proposition est hérétique, mais qu'elle peut se tromper lorsqu'elle prononce qu'un livre est hérétique; qu'on ne doit alors à ses jugements qu'un silence respectueux et non une véritable croyance.

Cependant Louis XIV, choqué d'une contravention aussi manifeste et aussi éclatante à la bulle, qu'il avait demandée luimême au Saint-Siège, et à la déclaration qu'il avait fait enregistrer dans tous les tribunaux, résolut de faire mettre à exécution les dispositions de la bulle et celles de sa propre déclaration. Il demanda au pape de nommer douze évêques commissaires pour faire le procès des quatre évêques réfractaires. Il s'éleva des dif ficultés entre la cour de France et celle de Rome, au sujet du nombre des commissaires, et ces difficultés traînèrent la négociation en longueur pendant plusieurs années.

Dans cet intervalle, un très grand nombre d'évêques, parmi lesquels on en distinguait plusieurs, aussi recommandables par leurs vertus que par leurs lumières, virent avec peine s'établir une forme de procédure qui tendait à anéantir les maximues les plus chères à la France, sur la forme canonique du jugement des évêques. Il faut même convenir que le plan adopté par le gouvernement était en contradiction avec les principes que nos

(1) Henri Arnauld, nommé à l'évêché d'Angers en 1649, mourut le 8 juin 1692; il était né en 1597.

tribunaux ont toujours proclamés et avec les délibérations encore récentes du clergé de France dans l'assemblée de 1650. Il est donc vraisemblable que, dès le moment où les commissaires nommés par le pape et agréés par le roi se seraient disposés à proceder comme juges, leur ministère aurait été traversé par des difficultés et des oppositions insurmontables. Plusieurs évê ques, nommés par le pape, s'étaient déjà refusés à accepter cette commission, par le souvenir encore si récent des engagements que l'assemblée de 1650 avait pris au nom de tout le corps episcopal.

Indépendamment d'une considération si puissante, la haute piété, dont les quatre évêques réfractaires faisaient profession, et l'édifiante régularité de leurs mœurs leur conciliaient ce sentiment d'intérêt et de bienveillance dont on ne peut jamais se défendre pour des hommes vertueux, lors même qu'on est fondé à leur reprocher un excès de prévention ou d'entêtement.

Alexandre VII venait de mourir : Clément IX (1) lui avait succédé; et le nonce Bargellini, réceminent arrivé en France, effrayé des contradictions qui paraissaient s'élever de toutes parts contre la procédure dont on menaçait les quatre évêques, crut qu'il lui serait aussi utile que glorieux de terminer, par des voies plus douces et plus conciliantes, une affaire si delicate et si épineuse : il fit part de son idée à M. de Lionne (2). Un ministre des affaires étrangères est toujours disposé à accueillir des projets de négociations; il prit les ordres du roi en lui communiquant les vues du nonce. Louis XIV, inspiré par ce jugement droit et sain qu'il avait reçu de la nature à un degré si temarquable, n'apportait jamais, quoiqu'on ait voulu persuader

(1) Jules Rospigliosi, né en 1599, succéda à Alexandre VII, le 20 juin 1667, mourut le 9 décembre 1669, dans sa 1. année. (2) Hugues de Lionne, marquis de Berny, ministre des affaires étran➡ gères, mort à Paris, le 1 er, septembre 1671, âgé de 60 ans.

le contraire, d'esprit de partí ni de prévention dans les affaires de religion; il ne prétendait s'arroger aucune autorité sur les opinions dans des questions de doctrine; mais il était fermement attaché à une maxime aussi juste qu'incontestable, et cette maxime fut constamment la règle de sa conduite; il savait qu'on ne peut être catholique qu'en se soumettant à l'autorité de l'église, et que cette autorité réside dans le Saint-Siège et dans le corps des évêques. Il répondit à M. de Lionne qu'il n'apportait aucun obstacle à des projets de conciliation; qu'il voulait seulement que le pape fût obéi sur un point de doctrine, et se déclarât satisfait des preuves de soumission que lui donneraient les quatre évêques.

Ce fut donc uniquement vers ce but que toute la négociation fut dirigée: il s'agissait d'amener les évêques à écrire au pape une lettre dont toutes les expressions fussent assez précises pour le convaincre qu'ils avaient signé le formulaire purement ét simplement.

Les médiateurs qui s'étaient associés au nonce pour le succès de cette négociation eurent assez de peine à obtenir, de l'évêque d'Aleth, cet acte de soumission; mais il céda enfin, ainsi que ses trois collègues, aux insinuations des médiateurs qui étaient au nombre de leurs amis : ils furent surtout ébranlés par l'autorité d'Antoine Arnauld qui, au grand étonnement de toute la France, se montra favorable, en cette occasion, à la doctrine des réstrictions secrètes.

Ils écrivirent au pape, le rer. septembre 1668, a qu'ils. » avaient convoqué les synodes de leurs diocèses; qu'ils y avaient » ordonné une nouvelle souscription du formulaire; qu'ils l'a» vaient souscrit eux-mêmes; qu'ils s'étaient conformés à » l'exemple de tous les autres évêques de France, dans la ma» nière d'agir et dans les sentiments de déférence dus aux » constitutions apostoliques; que ce n'avait pas été sans » peine et sans difficulté qu'ils en avaient usé de la sorte, »

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