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île, maudira sa foi crédule dans l'honneur et l'intégrité du gouvernement britannique. » D'autres menacèrent de quitter leurs propriétés, de tout livrer à l'abandon, « laissant au gouvernement à répondre devant la civilisation de ce qui pourrait arriver. »

Le bruit de toutes ces discussions retentissait jusque dans les cases des nègres; et le sentiment de leurs droits s'éveillait en eux avec force, et rendait une prompte solution en même temps plus difficile et plus impérieuse.

Fatigués enfin des délais de la législature, enhardis par les discours qui se tenaient en leur faveur, les esclaves de la Jamaïque se soulevèrent en 1831, et une révolte terrible embrasa l'île tout entière. Les mesures les plus vigoureuses furent prises; il fallut tuer dix mille nègres avant que l'insurrection s'apaisât. Un nombre considérable d'habitations et de champs de cannes furent brûlés. La métropole accorda 20,000 liv. st. (500,000 fr.) d'indemnité aux propriétaires incendiés.

Cette menaçante insurrection ranima les discussions. Les créoles accusaient les abolitionistes de l'avoir provoquée par leurs imprudents discours; les abolitionistes accusaient les créoles de l'avoir préparée par leur opiniâtre inhumanité.

Enfin, la chambre des communes, assaillie par les plaintes des uns et des autres, nomma un comité chargé tout à la fois de s'enquérir de la situation des colonies, et d'arriver aux moyens d'effectuer l'abolition.

Le rapport du comité, présenté le 11 août 1832, déclara la situation des colonies tellement précaire, qu'il n'y avait pas à différer de prendre un parti.

Le gouvernement ne pouvait plus reculer. Il fallait ou apaiser les alarmes des colons, en déclarant la perpétuité de l'esclavage, ou faire droit aux réclamations des abolitionistes, en ordonnant immédiatement la suppression d'un régime si opposé aux prescriptions du christianisme.

En conséquence, le 14 mai 1833, lord Stanley, secrétaire d'État des colonies, proposa au parlement l'abolition de l'esclavage dans toutes les colonies de la Grande-Bretagne.

L'acte fut adopté, dans les deux chambres et promulgué le 1er août 1834. Mais, pour ne pas faire passer brusquement les nègres de l'état d'esclavage à une liberté complète, dont ils auraient pu abuser (au moins on le craignait), on créa une position intermédiaire d'apprentissage. Tous les affranchis au-dessus de six ans durent, en conséquence, rester comme apprentis travailleurs chez leurs anciens maîtres.

Les apprentis travailleurs furent divisés en trois classes. La première se composait d'apprentis travailleurs ruraux, attachés au sol, et dans laquelle étaient compris tous les individus de l'un et de l'autre sexe jusqu'alors habituellement employés, comme esclaves, sur les habitations de leurs maîtres, soit à l'agriculture, soit à la fabrication des produits coloniaux, soit à tout autre travail.

La seconde classe se composait d'apprentis travailleurs ruraux non attaches au sol, et dans laquelle étaient compris tous les individus de l'un et de l'autre sexe jusqu'alors habituellement employés comme esclaves sur des habitations n'appartenant point à leurs maîtres, soit à l'agriculture, soit à la fabrication des produits coloniaux, soit à tout autre travail.

La troisième classe se composait d'apprentis travailleurs non ruraux, et dans laquelle étaient compris tous les individus de l'un et de l'autre sexe qui n'appartenaient ni à l'une ni à l'autre des deux classes précédentes, c'est-à-dire, les artisans, domestiques, etc.

Le temps d'apprentissage des apprentis ruraux devait cesser au 1 août 1840, époque à laquelle ils étaient appelés à une liberté complète.

Le temps des apprentis non ruraux devait cesser au 1er août 1838.

On avait établi cette différence, parce qu'on supposait les non ruraux plus instruits que les ruraux, à cause de leurs rapports habituels avec les blancs.

On ne pouvait exiger des apprentis travailleurs plus de quarante-cinq heures de travail par semaine.

Il était, du reste, permis aux maîtres de libérer leurs apprentis avant l'expiration du temps fixé par la loi. Mais, si l'apprenti travailleur, ainsi libéré, était âgé

de cinquante ans et plus, ou s'il était atteint d'une infirmité corporelle ou intellectuelle, qui ne lui permît pas de pourvoir par lui-même à sa subsistance, la personne qui l'aurait libéré, était tenue de subvenir à ses besoins pendant le reste du temps de son apprentissage, comme si la libération n'avait point eu lieu.

De son côté, l'apprenti pouvait, sans le consentement et même contre la volonté du maître, se libérer de son apprentissage, moyennant le paiement du montant de l'estimation des services.

Une indemnité de 20,000,000 sterling (500,000,000 de francs) fut accordée aux maîtres comme compensation de la perte de leurs esclaves.

Cette indemnité devait être répartie sur toutes les îles, et partagée entre les maîtres proportionnellement à ce que leur avaient coûté leurs esclaves.

L'acte d'affranchissement instituait aussi des magistrats spéciaux pour régler les différends qui pourraient survenir entre les anciens serviteurs et les apprentis.

Il restait encore à faire accepter la loi d'abolition par les législatures locales; or, les créoles de la Jamaïque s'étaient toujours montrés hostiles à toute mesure d'affranchissement. Mais le ministère anglais, pour montrer qu'il voulait être obéi, envoya immédiatement dans l'île treize magistrats spéciaux, qui arrivèrent avant même que la législature pût discuter l'acte. C'était signifier clairement aux colons qu'on attendait d'eux un enregistrement pur et simple. Ils comprirent qu'il n'y avait plus à résister, et se soumirent de bonne grâce. Le bill d'abolition fut voté à l'unanimité.

Mais on ne tarda pas à ressentir les inconvénients de cet état mixte entre la liberté et l'esclavage.

En premier lieu, les nègres à qui l'on disait: Vous êtes libres, mais pendant six années vous serez soumis à l'apprentissage, ne comprenaient rien à cette politique, qui leur retirait d'une main ce qu'elle leur donnait de l'autre. On leur disait qu'ils avaient pendant ces six années quelque chose à apprendre, et, comme on leur faisait simplement continuer les travaux auxquels ils étaient accoutumés, ils voyaient qu'ils n'avaient

réellement rien à apprendre, et se persuadèrent qu'on ne pouvait rien exiger d'eux. De là vinrent des tiraillements, des discussions et même des désordres sérieux.

En second lieu, on laissa aux législatures locales le soin de faire les règlements de discipline pour l'apprentissage. Les colons, qui n'avaient jamais fait travailler leurs esclaves qu'à coups de fouet, ne trouvèrent rien de mieux pour assurer le travail des apprentis. La peine du fouet fut donc maintenue et appliquée avec la même facilité et la même barbarie. Le 22 janvier 1836, lord Sligo transmit au ministre des colonies l'état des punitions infligées aux apprentis, du 1er août 1834 au 1er août 1835; le total de ces punitions s'élevait, en une seule année, à 25,395 (1). Le successeur de lord Sligo, sir Lyonel Smith, disait, dans un message à l'assemblée, en date du 29 octobre 1837 : « L'île mérite ce reproche que les apprentis sont, à certains égards, dans une condition pire qu'ils n'étaient à l'époque de l'esclavage (2). »

Enfin, une troisième cause de désordre était dans la distinction qu'on avait établie entre les apprentis ruraux et les non ruraux, dont les uns devaient recouvrer la liberté après quatre ans d'apprentissage, les autres après six ans. Il était assez difficile de persuader aux uns que leurs droits à la liberté n'étaient pas les mêmes que ceux des autres, et assurément en cela la simplicité des nègres était beaucoup meilleure logicienne que la subtilité du législateur.

Qu'y avait-il donc de changé, lorsque la liberté fut proclamée et l'apprentissage ordonné? Rien absolument, si ce n'est que l'autorité du magistrat spécial était substituée à l'autorité domestique. Mais le magistrat spécial se montrait aussi facilement disposé que l'ancien maître à ordonner de cruelles et ignobles punitions. Les nègres ne se sentaient pas libres; les maîtres voyaient briser leur pouvoir. Personne n'était content. Le système d'apprentissage fut un essai malheureux, un temps de troubles et de dissensions, qui n'abolissait pas l'esclavage et ne préparait pas la liberté. Aussi,

(1) Schoelcher. —— (2) Id.

les conseils coloniaux repoussent-ils cette demi-mesure avec autant de véhémence que l'affranchissement lui-même. Leur opinion à cet égard se trouve résumée dans la déclaration suivante émanée du conseil colonial de Cayenne : « La conviction profonde du conseil est que les espérances de la philanthropie seront trompées (quant aux bienfaits de l'émancipation), que la culture et l'industrie seront perdues; mais le danger des mesures partielles met les colons dans le cas de préférer l'émancipation générale et instantanée, et de supplier le gouvernement de repousser tout autre

moyen. »>

Propriétaires et cultivateurs, maîtres et apprentis, tout le monde à la Jamaïque était fatigué du système d'apprentissage, lorsqu'aux approches du 1er août 1838, epoque à laquelle on devait libérer définitivement les apprentis non ruraux, il se manifesta parmi les nègres laboureurs de graves symptômes de mécontentement. Leur agitation présageait des troubles sérieux. Prolonger l'apprentissage ne profitait à personne, et pouvait être un danger. Les législatures coloniales se laissèrent facilement persuader de prononcer l'affranchissement général et sans exception pour le 1er août 1838.

Enfin arriva ce jour où allait être tentée une grande épreuve. Trois cent cinquante mille nègres allaient se trouver libres en face de vingt mille blancs. Et cependant, il n'y eut d'autre désordre que les désordres de la joie. « Les esclaves, dit M. Schoelcher, des qu'ils furent libres, se mirent à courir de côté et d'autre; ils descendaient des habitations et remontaient, ne fût-ce que pour s'assurer qu'ils avaient la faculté de changer de place à leur gré. On les voyait aller et venir sur leurs petits sentiers qui sont les grandes routes du pays, comme des fourmis folles dont on a troué la demeure. Tous les hommes, au premier moment, se firent pêcheurs; toutes les femmes couturières; personne ne voulut plus de l'ancien travail esclave; mais on fut bien obligé d'y revenir (1). »

Cependant, quelque temps se passa avant que le travail pût être réorganisé.

1, Colonies étrangères, t. 1er, page 12.

Cela tenait, d'une part, aux fausses idées que les nègres avaient sur leurs droits nouveaux, et de l'autre aux préjugés opiniâtres des colons.

Les negres s'imaginaient que les cases et les jardins qu'ils avaient occupés jusque-là leur appartenaient en toute propriété. En vain, le gouverneur, sir Lyonel Smith, cherchait-il à les dissuader : ils persistèrent. Il fallut que, sur l'ordre du ministre, il publiât, le 25 mai 1839, la proclamation suivante : « Vu qu'il a été représenté au gouvernement de S. M. que la population agricole de cette île commet l'erreur considérable de se croire quelque droit aux cases et jardins qu'il lui était permis d'occuper et de cultiver durant l'esclavage et l'apprentissage, et vu qu'une semblable erreur, partout où elle existe, peut nuire tout à la fois aux laboureurs et aux propriétaires, je fais connaître que j'ai reçu des instructions du secrétaire d'État pour la colonie de S. M., qui m'ordonnent d'apprendre aux laboureurs qu'une pareille notion est complétement erronée, et qu'ils ne peuvent continuer à occuper leurs maisons et leurs jardins, que sous les conditions faites avec les propriétaires.

«

Et, vu qu'il a été représenté au gouvernement de S. M. que les laboureurs, dans beaucoup de parties de l'île, s'imaginaient qu'une loi allait être envoyée de la Grande-Bretagne, qui leur donnerait lesdites maisons et jardins sans aucun égard pour les droits des propriétaires, je fais connaître que pareille loi ne sera jamais envoyée d'Angleterre. »

Il faut l'avouer aussi. Le cabinet britannique, en donnant la liberté aux esclaves, ne sut rien prévoir, rien ordonner pour régler les rapports des travailleurs et des anciens maîtres. Ceux-ci, avec leurs préjugés et leurs habitudes de commandement, ceux-là avec leur ignorance et leur souvenir des mauvais traitements, se trouvèrent dans des conditions où il n'était pas facile de s'entendre. Il fallut régler les loyers des cases et les salaires des travaux. De part et d'autre les demandes furent exagérées.

Les maîtres mirent un prix exorbitant à de mauvaises cabanes. Quelques-uns voulurent compter la location par tête, et obliger chaque membre de la famille

au-dessus de douze ans, à donner une somme égale. D'autres, pour louer, exigaient un long engagement de travail. C'était renouveler l'esclavage sous un autre nom. Enfin, quand on ne pouvait s'entendre, ordre était signifié au nègre de déloger. Celui-ci, peu initié aux dures conditions de la liberté, s'obstinait à rester. Alors, le propriétaire faisait démolir les cases, ravager les jardins et couper les arbres fruitiers; et le pauvre noir, ne comprenant pas ces droits rigoureux, s'en allait plein de haine et méditant de cruelles vengeances.

Avec de pareilles dispositions de part et d'autre, la culture souffrait, la production s'amoindrissait, et les bienfaits de l'émancipation pouvaient être mis en question. Mais qui devait-on accuser? Peut-être les deux parties; mais, à coup sûr, beaucoup plus les colons, qui, étant plus éclairés et plus riches, devaient se montrer plus faciles. Voici ce que le gouverneur de l'île écrivait au ministre le 3 décembre 1838 : « Je n'hésite pas à déclarer à Votre Seigneurie, qu'il ne manque au succès du travail libre à la Jamaïque qu'un traitement équitable, accordé aux travailleurs. La nécessité, ce grand régulateur des intérêts humains, peut encore amener ce progrès; mais, d'une part, les mauvais procédés, de l'autre le mécontentement, ont, quant à présent, gravement interrompu le travail. Il en est résulté une longue perturbation dans la culture de

l'ile. »

Au surplus, les propriétaires portèrent bientôt la peine de leurs rigoureuses exigences. Un grand nombre de laboureurs, ne pouvant s'entendre avec eux, ont fini par abandonner leurs cases. Ils louent ou achètent une petite portion de terrain, où ils bâtissent une cabane, à l'entour de laquelle ils cultivent les vivres nécessaires à leurs besoins. Éloignant ainsi jusqu'à l'image de la servitude, ils sont tout glorieux d'être fermiers ou propriétaires, et se sentent heureux de ne travailler que pour euxmêmes. La propriété, en effet, est le véritable signe de la liberté. Aussi le goût de la propriété se développa-t-il chez les affranchis avec une grande rapidité. Le nombre des propriétaires nègres de petites portions de terre au-dessous de qua

rante acres était, en 1838, de 2,014; en 1840, il s'est élevé à 7,848.

Qu'en est-il résulté? c'est qu'aujourd'hui les ouvriers laboureurs, étant devenus plus rares, font la loi aux propriétaires; et ceux-ci, pour avoir chassé les ouvriers de leurs cases par des demandes exagérées, sont obligés de payer à un taux énorme les bras disponibles.

Un autre résultat du morcellement des propriétés et du prix élevé de la maind'oeuvre, est la diminution de la grande culture. Aussi, les productions générales ont-elles sensiblement diminué. On peut s'en convaincre par le tableau des exportations du 30 septembre 1833 au 30 septembre 1840, publié par M. Schoelcher (1), et dont nous ferons quelques extraits. Du 30 septembre 1833 au 30 septembre 1834, il a été exporté soixantedix-huit mille sept cent onze boucauts de sucre (chaque boucaut est de dixsept cents à dix-huit cents livres); trente mille deux cents barriques de rhum; vingt-deux mille neuf cent soixantedix-sept barriques de café. Dans les années suivantes, l'exportation alla toujours en décroissant; et du 30 septembre 1839 au 30 septembre 1840, il ne fut exporté que trente mille quatre cent soixante-six boucauts de sucre, onze mille cent cinquante-cinq barriques de rhum; huit mille neuf cent quarante et une barriques de café. La production avait diminué presque des deux tiers.

Nous devons ajouter cependant que, lorsqu'on fait le résumé des exportations generales de toutes les colonies anglaises où l'esclavage a été aboli, la différence des chiffres est beaucoup moindre. Ainsi, de 1834 à 1838, l'exportation moyenne a été de 3,487,801 quintaux. Celle de 1840 a été de 2,210,226. Ajoutons encore que les importations faites dans les mêmes colonies par la métropole, ont considérablement augmenté depuis l'affranchissement. Dans les cinq années qui ont précédé l'acte de liberté, la moyenne des importations s'élevait à la somme de 2,783,000 liv. sterl. En 1840, elle a été de 3,972,000. Ce qui prouve que les nouveaux affranchis consomment plus qu'auparavant; et que par conséquent, il y a réellement accroisse

(1) T. Ier, p. 148.

ment de richesses, quoiqu'il y ait déficit dans les exportations. C'est qu'il ne faut pas s'y tromper. Les exportations ne représentent guère que le produit de la grande culture. Or, nous avons vu par quelles raisons cette culture avait diminué. Mais, en même temps, les petits établissements, que formaient les nègres de côté et d'autre, donnaient des produits, qui se consommaient à l'intérieur, qui enrichissaient les petits travailleurs en même temps qu'ils amoindrissaient le chiffre général des exportations. Voilà comment se trouve expliqué le surcroît des consommations, tandis que la production semble avoir diminué. Mais il n'y a de réellement dininué que la production transportée à l'extérieur.

Nous avons dû entrer dans ces détails, pour faire connaître approximativement les résultats généraux de l'abolition de l'esclavage. Ils ne sont vraiment pas si désastreux qu'on aurait pu le craindre. Cela, d'ailleurs, ne changerait rien à la question de droit.

Toutefois, la question de droit écartée, et pour ne tenir compte que des résultats matériels, l'épreuve est encore trop récente pour qu'on puisse prononcer un jugement définitif.

Il y a, de plus, un autre résultat auquel peu de personnes semblent avoir songé c'est le besoin d'indépendance politique, qui doit nécessairement succéder à l'indépendance personnelle. Croiton, par exemple, que les trois ou quatre cent mille noirs, qui sont réunis à la Jamaïque, ne se diront pas, dans quelques années d'ici, qu'il y a quelque chose d'injuste et de révoltant à voir toutes les richesses, toutes les grandes propriétés de leur île entre les mains de vingt mille blancs? Ne leur viendra-t-il pas en idée qu'ils pourraient aussi bien se gouverner par eux-mêmes, que de recevoir des gouverneurs expédiés de l'Angleterre? N'auront-ils pas d'aussi valables raisons de droit à donner en faveur de leur indépendance nationale qu'en faveur de leur affranchissement personnel? Évidemment les arguments sont les mêmes, et ils se déduisent logiquement l'un de l'autre. Les hommes qui affirment qu'on ne peut, sans injustice, refuser la liberté aux nègres, doivent également soutenir

que sans injustice on ne peut les empêcher de se constituer en corps de nation. Sans doute, les fervents abolitionistes ne reculeront pas devant cette conséquence; mais nous craignons bien que les gouvernements ne veuillent pas se montrer aussi fidèles à la logique.

Comme, en parlant de la Jamaïque, nous avons traité plus spécialement ce qui concerne les questions de traite et d'affranchissement, nous devons conclure, en rapportant sommairement ce qui a été fait dans les autres pays de l'Europe pour la suppression de la traite. Eu 1807, par un acte du congrès, les États-Unis ont formellement aboli le commerce extérieur des esclaves. Mais il se fait encore, à l'intérieur des États, un commerce très-actif; et il y a encore dans ces pays près de 2,000,000 d'escla

ves.

Le Chili, la Colombie et Buenos-Ayres ont aboli la traite, depuis le traité de Vienne.

Le Mexique l'a supprimée en 1824.

En France, la convention avait totalement aboli l'esclavage en 1794; mais toutes les commotions qui ont suivi cette époque, et surtout les malheureuses tentatives contre Saint-Domingue, ont démontré que cette loi n'avait aucune force. Napoléon, à son retour d'Elbe, décréta encore l'abolition; mais, dans les traités de 1815, les Bourbons revinrent sur cette décision. Depuis ce temps, plusieurs démarches furent faites par le cabinet britannique auprès du gouvernement français, pour obtenir la suppression de la traite; mais toujours inutilement, Enfin, le 4 mars 1831, fut conclu entre les deux cours un traité, qui abolissait le commerce des esclaves; et, la même année, fut consenti un droit mutuel de visite par les vaisseaux de guerre des deux nations. En 1833, une nouvelle convention autorisait la confiscation de tout navire, qui même, sans avoir des nègres à bord, serait, par la nature de sa construction et la quantité de certaines provisions, convaincu d'être destiné à la traite. Le Danemark, la Sardaigne et l'Espagne se joignirent également à cette convention. Les États-Unis refusèrent, ainsi que le Portugal, la Suède, Naples et les Pays-Bas. La Prusse, la Russie et l'Autriche ajournèrent leur

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