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plus dangereux pour eux étaient les généraux qui les avaient appelés, et ceuxci ne tardèrent pas à reconnaître la mauvaise logique de leur ambition. Richard avait, il est vrai, pour prix de sa trahison, conservé le commandement du Cap; mais quelques mois s'étaient à peine écoulés depuis la mort de Christophe, qu'il se vit accuser de conspiration. Arrêté sur-le-champ, il fut conduit au Port-au-Prince, jugé par un conseil de guerre, et fusillé le 28 février 1821. Il ne paraît pas que les preuves contre lui fussent bien concluantes; cependant il n'est pas difficile de présumer que, mécontent de la situation qu'il avait faite à sa race, il avait pu laisser échapper quelques paroles imprudentes, ou médité quelque reaction. Un conspirateur qui a réussi doit toujours s'attendre à quelque méfiance; et le nouveau pouvoir qui l'emploie doit

nécessairement se montrer sévère.

Au mois d'avril suivant, un autre chef nègre, qui avait joué un rôle important dans la conspiration, Paul Romain, prince de Limbé, fut arrêté chez lui et transporté à Léogane. Il y vécut dans l'isolement jusqu'au mois d'août 1822, lorsque, sur de nouveaux soupcons, une compagnie de soldats fut envoyée pour le tenir aux arrêts dans sa maison. Soit qu'il eût opposé quelque résistance, soit qu'on ne cherchât qu'un prétexte pour se débarrasser de lui, les soldats le tuèrent à coups de baionnette. D'autres révoltes plus réelles furent suivies des mêmes sevérités. Deux généraux nègres, Dassou et Jérôme, se soulevèrent, le premier à Saint-Marc, le second aux Gonaïves; mais ces mouvements partiels furent promptement réprimés par l'exécution des chefs.

Les nègres, avertis, ne bougèrent plus; et désormais ils accepterent tranquille ment la domination des mulâtres, les chefs par peur, la masse par insouciance.

Le hasard avait bien servi Boyer pour opérer la réunion du nord et du sudouest; il fut non moins heureux, sans plus de peine, en incorporant à la république toute la province de l'est. L'insurrection des colonies du continent américain contre l'Espagne, en même

temps que l'exemple des provinces françaises d'Haïti, avait fait naître dans les possessions espagnoles de l'est des idées d'indépendance. Un ancien avocat, José Nuñes de Caserès, eut la singulière fantaisie d'arborer à San-Domingo le drapeau colombien. Personne ne s'y opposa, au milieu de cette population endormie. La république fut proclamée, avec Caseres pour président. Il fit aussitôt signifier cette nouvelle à Santiago, avec avis de se conformer au changement de gouvernement. Mais les habitants de cette ville jugèrent avec quelque raison que, puisqu'on faisait une révolution, il valait mieux faire partie de la république voisine, que de s'incorporer à la Colombie, qui ne les touchait en rien. Ils firent done des ouvertures au gouvernement haïtien, qui en voya un corps de trois mille hommes à San-Domingo. Il n'en fallait pas tant pour renverser la présidence improvisée de Caserès: il se retira tranquillement, et, le 26 janvier 1822, l'étendard de la république haïtienne flotta sur l'île entière.

Nous examinerons plus tard quel fut le résultat matériel et moral de l'unité de gouvernement dans Haïti, et quels fruits on devait retirer de l'administration du président Boyer. Il nous faut maintenant suivre la série de négociations qui devaient conduire à la reconnaissance d'indépendance par le gouvernement français.

M. Esmangard, l'un des envoyés de 1816, continuait, de l'aveu du gouvernement, une correspondance officieuse avec le président de la république, s'efforçant en vain de concilier les prétentions des deux parties. Après la réunion du nord au sud-ouest, M. DupetitThouars fut envoyé, avec une nouvelle mission. Il annonca au président que S. M. Louis XVIII s'était décidée à consacrer l'indépendance d'Haïti, et se bornait à réclamer le droit de suzeraineté, avec des indemnités pour la cession du territoire et des propriétés.

Boyer repoussa toute prétention à la suzeraineté et même au protectorat, consentant seulement à faire revivre l'offre d'une indemnité raisonnablement calculée. Les négociations furent encore une fois interrompues.

Elles reprirent après les nouveaux Succès de Boyer par la réunion de l'est. M. Liot, envoyé confidentiel du marquis de Clermont-Tonnerre, ministre de la marine, se présenta au président, en lui demandant seulement de faire une démarche de convenance. Le gouvernement français, disait-il, ayant déjà fait infructueusement les premiers pas, desirait que le chef du gouvernement haïtien prit à son tour l'initiative.

Leprésident ne crut pas devoir repousser ces ouvertures, et remit ses pleins pouvoirs au général Boyé. Celui-ci partit dans le courant de mai 1823, ayant pour instructions d'arriver à la conclusion d'un traité de commerce, basé sur la reconnaissance de l'indépendance d'Haïti. Mais le négociateur désigné par M. de Clermont-Tonnerre ne put s'entendre avec l'envoyé haïtien sur la nature et le mode de l'indemnité proposée.

Le 7 novembre 1823, une nouvelle lettre de M. Esmangard annonçait au président l'arrivée de M. Laujon, chargé de poursuivre la conclusion du traité qui devait mettre un terme à tant d'incertitudes. En effet, M. Laujon débarqua peu après au Port-au-Prince, et présenta à Boyer une note en forme d'instructions. Dans cette note, M. Esmangard disait qu'il aimait à croire que le président reviendrait aux dispositions qu'il lui avait annoncées dans la dépêche que M. Dupetit-Thouars avait été chargé de lui remettre.

A l'appui de cette lettre, M. Laujon fit aussi de vives instances pour engager Boyer à envoyer un agent en France, affirmant que le gouvernement du roi faisait dépendre de cette démarche la formalité de la reconnaissance de l'indépendance d'Haïti.

Boyer se laissa persuader encore. En consequence, le 1 mai 1824 le sénateur Larose et Rouanez, notaire du gouvernement, partirent avec des instructions qui ne pouvaient laisser aucun doute sur les clauses du traité. Le président avait surtout insisté sur la formalité indispensable de la reconnaissance, par une ordonnance royale, de l'indépendance absolue de toute domination étrangère, de toute espèce de suzeraineté, même de tout protectorat d'une puissance quelconque, en un mot, de

l'indépendance dont Haïti jouissait de puis vingt ans.

Les nouvelles négociations furent conduites avec le plus grand mystère. Les conférences entre les envoyés haïtiens et les agents du gouvernement français eurent lieu à Strasbourg. Mais elles demeurèrent aussi infructueuses que les précédentes. Les envoyés d'Haïti s'embarquèrent au Havre, à la fin du mois d'août une proclamation du président, en date du 6 octobre, annonca officiellement le peu de succès de toutes les démarches qui avaient été tentées.

:

Cette proclamation, à laquelle nous avons emprunté la plupart des faits que nous venons de citer, se terminait ainsi :

« Je viens d'exposer les faits je les livre au tribunal de l'opinion. Haïti sera à même de juger si son premier magistrat a justifié la confiance qu'elle a placée en lui, et le monde, de quel côté fut la bonne foi. Je me bornerai à déclarer que les Haïtiens ne dévieront jamais de leur glorieuse résolution. Ils attendront avec fermeté l'issue des événements; et, si jamais ils se trouvaient dans l'obligation de repousser encore une injuste agression, l'univers sera de nouveau témoin de leur enthousiasme et de leur énergie à défendre l'indépendance nationale. »

Cependant, malgré cet aveu de rupture ouverte, après la mort de Louis XVIII les négociations se renouèrent elles furent conduites avec mystère. On en apprit le résultat par la publication de l'ordonnance suivante:

<< Charles, par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre;

« A tous ceux qui ces présentes ver<< ront, salut :

« Vules articles 14 et 73 de la Charte;

« Voulant pourvoir à ce que réclament l'intérêt du commerce français, les malheurs des anciens colons de Saint-Domingue, et l'état précaire des habitants actuels de cette ile;

« Nous avons ordonné et ordonnons ce qui suit :

«Article 1. Les ports de la partie française de Saint-Domingue seront ouverts au commerce de toutes les nations.

« Les droits perçus dans ces ports, soit sur les navires, soit sur les mor

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chandises, tant à l'entrée qu'à la sortie, seront égaux et uniformes pour tous les pavillons, excepté le pavillon français, en faveur duquel les droits seront réduits de moitié.

« 2. Les habitants actuels de la partie française de Saint-Domingue verseront à la caisse générale des dépôts et consignations de France, en cinq termes égaux, d'année en année, le premier échéant au trente et un décembre mil huit cent vingt-cinq, la somme de cent cinquante millions de francs, destinés à dédommager les anciens colons qui réclameront une indemnité.

sénateurs présents dans la capitale et
de divers officiers civils et militaires.
Dans cette assemblée furent discutées
les propositions offertes par la France,
et il fut convenu de les accepter.

« 3. Nous concédons à ces conditions, par la présente ordonnance, aux habitants actuels de la partie française de l'île de Saint-Domingue, l'indépendance pleine et entière de leur gouvernement.

En conséquence, le 8 au matin, le pre-
sident d'Haïti annonça, par une lettre,
le
à M. de Mackau, que gouvernement
de la république acceptait, d'après les
explications qu'il avait données, l'ordon-
nance qui reconnaissait, sous certaines
conditions, l'indépendance pleine et en-
tière du gouvernement d'Haïti.

« Et sera la présente ordonnance scellée du grand sceau. Donné à Paris, au château des Tuileries, le 17 avril de l'an de grâce 1825, et de notre règne le premier.

« CHARLES. »

Un brick fut aussitôt expédié au-devant de l'escadre française pour annoncer aux contre-amiraux Jurien et Grivel la conclusion de la négociation, et le soir de la même journée une goëlette fut expédiée pour la France. La cérémonie de l'entérinement et de l'acceptation de l'ordonnance au sénat haïtien fut fixée au 11.

M. de Mackau, capitaine de vaisseau, fut chargé d'aller porter cette ordonnance au Port-au-Prince comme ultimatum du gouvernement français. Une escadre, commandée par les contre-amiraux Jurien de la Gravière et Grivel, partit peu de temps après M. de Mackau, pour appuyer, s'il le fallait, par la force l'acceptation de l'ordonnance royale.

Ce jour-là, à l'heure indiquée,
M. le baron de Mackau, les amiraux et
officiers de l'escadre se rendirent en
cortége au sénat, où M. de Mackau,
après avoir rappelé en quelques mots
les liens qui unissaient les Haïtiens et
les Français, et donné quelques éloges à
Charles X pour la grande œuvre de ré-
conciliation des deux peuples, déposa
l'ordonnance royale sur le bureau du
président. Celui-ci répondit à l'envoyé
français par un discours de remercî-
ments, à la suite duquel un des secre-
taires du sénat donna lecture de l'or-
donnance du 17 avril. Puis l'acte de
reconnaissance de l'indépendance d'Haïti
fut entériné dans les registres du sé-
nat, et remis à une députation de trois
sénateurs pour être porté au président
de la république. Les cris de Vive
Charles X! Vive la France! Vive Haiti!
retentirent de tous côtés dans la salle,
et le cortége des officiers français, suivi
d'une foule nombreuse, se dirigea vers
le palais du président. Au pied de l'es-
calier, ils furent reçus par le contre-
amiral Panayoti, officier général de
service au palais, et furent introduits
par les aides de camp de service dans la
salle des généraux, où se tenait le pré-
sident Boyer, environné des grands
fonctionnaires.

Le dimanche 3 juillet 1825, les trois bâ timents commandés par M. de Mackau vinrent mouiller dans la rade du Portau-Prince. Un canot, ayant pavillon parlementaire, fut détaché, et l'officier qui le commandait remit les dépêches du gouvernement français au colonel Boisblanc, chef des mouvements du port. Les dépêches furent immédiatement transmises au président, qui, après en avoir pris lecture, donna des ordres pour la réception de M. de Mackau et de sa suite.

Plusieurs entrevues eurent lieu entre le président et l'envoyé français, à la suite desquelles Boyer convoqua une assemblée extraordinaire, composée du grand juge, du secrétaire général du gouvernement, des généraux et des

Après les salutations d'usage, un des sénateurs de la députation, qui portait

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l'ordonnance royale renfermée dans un étui de velours, la déposa sur le bureau situé devant le président, et M. de Mackau s'adressa au chef de la république dans les termes suivants :

Monsieur le président,

« Le roi a su qu'il existait sur une terre éloignée, autrefois dépendante de ses États, un chef illustre qui ne se servit jamais de son influence et de son autorité que pour soulager le malheur, desarmer la guerre de rigueurs inutiles, et couvrir les Français surtout de sa protection.

Le roi m'a dit: Allez vers cet homme célèbre; offrez-lui la paix, et pour son pays la prospérité et le bonheur. J'ai obéi; j'ai rencontré le chef que m'avait signalé mon roi, et Haïti a pris son rang parmi les nations indépendantes.

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Le président lui répondit :
« Monsieur le Baron,

- Mon âme est émue à l'expression des sentiments que vous venez de manifester. Il m'est glorieux et satisfaisant tout à la fois d'entendre ce que vous m'annoncez dans cette grave solennité de la part de S. M. le roi de France. Tout ce que j'ai fait n'a été que le résultat de principes fixes qui ne varieront jamais.

« J'éprouve une véritable satisfaction de pouvoir, dans cette circonstance, vous témoigner combien je me félicite d'avoir été à portée d'apprécier les qualités honorables qui vous distinguent.

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Après ces mots, le président donna l'ordre au secrétaire général de lire l'ordonnance du roi, et ensuite la décharge donnée à M. de Mackau de la remise de l'ordonnance dont il était porteur. Aussitôt après, à un signal donné, les bâtiments composant l'escadre française saluèrent le pavillon d'Haïti comme celui d'une nation indépendante; et tous les forts de la côte répondirent en saluant le pavillon français.

Un Te Deum solennel termina les cérémonies officielles.

Ainsi s'accomplit le grand acte d'émancipation qui consacrait au sein de la diplomatie européenne les droits de la race noire. Le gouvernement français fit preuve de sagesse en reconnaissant officiellement un état de choses

qu'il ne pouvait empêcher sans injustice et sans danger; et le gouvernement haïtien eut raison de consentir un sacrifice pécuniaire en retour d'un acte qui transformait le fait de son indépendance en droit reconnu par l'ancienne métropole.

Cependant, des deux côtés, beaucoup de voix s'élevèrent pour critiquer cette transaction. Les Haïtiens prétendaient qu'il n'était pas dû d'indemnité aux anciens colons, que l'île appartenait à la race africaine par droit de conquête, et qu'il n'était pas dans les usages des relations internationales de faire indemniser les vaincus par les vainqueurs. Les anciens colons, de leur côté, trouvaient qu'on avait fait trop bon marché de leurs droits : ils criaient à la violation du droit de propriété, et blâmaient hautement le gouvernement d'avoir transigé avec des esclaves. Mais ces exagérations des uns et des autres n'eurent heureusement aucune influence sur l'opinion publique, qui fut presque unanime pour reconnaître la sagesse d'un acte qui mettait une fin à tant d'incertitudes.

CHAPITRE VI.

Finances. ArGouvernement de Boyer. mée. -Instruction publique. Industrie et agriculture.

L'ordonnance du 17 avril 1825 était la dernière conquête de la révolution d'Haïti. Libre désormais de toute crainte extérieure, la population africaine était en mesure de prouver qu'elle était digne de la liberté. Rien ne s'opposait plus aux progrès de la civilisation, et cette île qui avait, sous la domination française, produit tant de richesses, pouvait dans des mains habiles reprendre son ancien nom de Reine des Antilles. Il y allait même de l'honneur des nouveaux affranchis de ne pas rester inférieurs à leurs anciens maîtres; car les partisans de l'esclavage avaient prédit d'avance leur incapacité il était important pour eux de ne pas justifier cette prédiction. C'était plus important encore pour les esclaves des autres îles de l'archipel, auxquels on n'aurait osé longtemps refuser la liberté, s'ils avaient pu invoquer en faveur de leur race un grand exemple.

mulèrent pas leurs projets de réaction. Leclerc lui-même, qui connaissait la pensée secrète du premier consul, attendait l'occasion de rétablir les choses dans leur ancien état. Essayant d'abord un système d'organisation coloniale, il forma un conseil composé des plus riches propriétaires de toutes couleurs. Mais ce conseil n'eut guère le temps de faire quelque chose d'utile. Avant d'organiser, il devint bientôt urgent de songer à se maintenir.

La fièvre jaune faisait de terribles ravages dans l'armée française, et les nègres, à l'abri de la maladie, co uservaient leurs armes et prenaient me attitude menaçante. Un désarmement gé néral fut ordonné : cette mesure, de laquelle on attendait la sécurité, fut le signal d'hostilités nouvelles. Les bandes de l'ouest et du sul refusèrent de déposer les armes. D'autres se jetèrent dans les mornes, et commencèrent une guerre de partisans. Dans le nord, le chef noir Sylla, le seul qui eût tenté un soulève ment lors de la déportation de Toussaint, vit augmenter sa petite troupe. Un autre chef, nommé Sans Souci, organisait avec succès la révolte.

Leclerc s'efforçait en vain de faire face aux difficultés qui s'accroissaient autour de lui. Chaque jour la mort diminuait le nombre de ses troupes. Ayant un grand nombre de postes à surveiller, ses forces disséminées étaient de plus en plus compromises. Vingt officiers généraux avaient succombé au fléau meurtrier, et des corps entiers avaient disparu sans combat. Dans beaucoup d'endroits les soldats survivants étaient à peine assez nombreux pour rendre les derniers devoirs à leurs camarades, et la rapide diminution des cadres multipliait les fatigues du service, en même temps que ces fatigues fournissaient un nouvel aliment à la maladie.

Dans de si terribles conjonctures, le général en chef crut devoir combattre toute pensée de révolte par de rigoureux exemples. Le général Maurepas, qui s'était un des premiers soumis aux Français, fut soupçonné, à tort ou à raison, de méditer quelque trahison. Il reçut de Leclerc une lettre datée du Cap. Ce général lui marquait qu'il était content de ses services, qu'il voulait faire sa con

naissance, et qu'il lui réservait le commandement du Cap.

Maurepas s'embarqua sur une frégate au Port-de-Paix, avec sa femme, ses enfants et quatre cents soldats noirs. Mais là l'attendait le plus odieux guet-apens. Il est difficile d'ajouter foi aux détails qui nous ont été transmis sur les indignes traitements qu'on lui fit subir. SeIon un manifeste publié par Christophe en 1814, quand Maurepas serait arrivé dans le port, les matelots l'auraient saisi et attaché au grand mât, puis auraient fixé ses épaulettes sur ses épaules et son chapeau sur sa tête avec des clous de navire, jeté sa femme et ses enfants à la mer, et auraient enfin terminé son affreux supplice en le précipitant lui-même dans les flots. Pamphile de Lacroix ne parle pas de ces cruautés, mais rapporte qu'il fut noyé arbitrairement. Malenfant raconte le fait avec des détails circonstanciés qui, sans être aussi horribles, n'en sont pas moins déshonorants pour le beau-frère du premier consul. A l'arrivée des noirs dans la rade du Cap, dit-il, on s'empare des soldats, on leur met des boulets aux pieds, et on les jette à la mer. On s'apprête à faire subir le même traitement a Maurepas, lorsqu'il s'élance lui-même dans les flots, en s'écriant: « Brigands, c'est ma fortune que vous voulez; vous n'aurez pas l'honneur de me noyer. » Sa femme, ses enfants et les quatre cents soldats noirs sont jetés à la mer. Un nommé Coupet se dégagea des boulets et se sauva sur le rivage de la Petite Anse. Il annonça cette nouvelle à Christophe, et dans le même instant on trouva le cadavre de Maurepas que les flots avaient jeté sur la rive. Ce général n'avait pu gagner la terre; un requin lui avait coupé la cuisse.

Christophe reconnaît son beau-frère, et dès lors il sut ce que sa race devait attendre des blancs. Cependant il dissimula quelque temps, pour mieux assurer sa vengeance.

La mort de Maurepas produisit chez tous les nègres un sentiment général d'horreur et de colère. Les plus habiles chefs purent cependant maîtriser encore leur ressentiment; mais les plus impatients éclatèrent. Charles Belair, neveu de Toussaint, appela ses frères aux armes, rallia à sa cause toute la population

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