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nait la nation Iroquoise, qui soumettait et s'assimilait successivement toutes les nations voisines, venait de la faire consentir à ce que, sous prétexte de créer plus proche d'elle un marché pour l'échange des fourrures, il élevât à Catarocouy, à l'extrémité nord du lac Ontario, un fort destiné, en réalité, à fermer de ce côté le chemin du Canada, le gouverneur général apprit l'arrivée du comte de Frontenac, son successeur dans un poste que depuis longtemps il désirait quitter. M. de Courcelle, homme du plus grand mérite, avait eu constamment à lutter, ainsi que ses prédécesseurs depuis M. d'Avaugour, contre ce qu'on pourrait appeler l'ancien parti canadien. Cette expression demande quelques explications. On a vu Champlain, désespérant d'obtenir les seuls véritables moyens de colonisation, des bras, transporter à Québec des missionnaires et des religieux. Son but était, nous l'avons dit, de créer, à défaut d'une population européenne qu'on lui refusait, une population d'indigènes convertis à notre foi religieuse et à nos mœurs. Champlain ignorait que cette transformation est impossible dans les conditions de rapidité où il espérait la voir s'accomplir, et que de la civilisation, même naissante, à la barbarie encore profonde, la distance est trop grande pour qu'elle puisse être soudainement franchie. Les Hurons, qui, déjà affaiblis d'ailleurs, se soumirent les premiers à ce régime, y perdirent le reste de leur vigueur, et tombèrent sans gloire sous les coups des Iroquois, restés fidèles à leur vieille nature. Toutefois, malgré le peu de progrès que le prosélytisme religieux avait fait faire à la colonie, l'influence du clergé et surtout celle si chè rement acquise par nos missionnaires, avaient grandi par suite des services qu'on espérait d'eux et de la confiance qu'obtiennent facilement des corporations dont les membres ne sauraient être accusés de calculs personnels. Lors donc que le gouvernement français eut commencé à considérer le Canada comme une possession nationale, et se fut résolu à y envoyer des gouverneurs chargés de surveiller, non plus les intérêts d'une compagnie marchande, mais ceux de la France elle-même, ces officiers, recon

naissant bientôt que la première condition de leur réussite était dans un complet changement de système d'administration intérieure, furent tout d'abord en guerre ouverte avec le clergé et les missionnaires, promoteurs du système à renverser. Cet antagonisme descendant des gouvernants aux gouvernés, la population se partagea en deux camps : ceux-ci, en majorité alors, les vieux colons, tenant pour l'ancien pouvoir ecclésiastique; ceux-là, en minorité, les nouveaux colons, se rangeant du côté du nouveau pouvoir, plus actif, et par cela même plus riche de promesses. Il serait très-difficile de décider de quel côté furent ni les premiers ni les derniers torts dans la querelle intestine qui silongtemps troubla la colonie, il est probable qu'ils furent constamment égaux des deux parts. Louis Buade, comte de Frontenac, s'attacha moins encore que M. de Courcelle à satisfaire le vieux parti canadien. Le P. Charlevoix dit que ce lieutenant général des armées du roi avait le cœur encore plus grand que la naissance; que son esprit était vif, pénétrant, fécond et fort cultivé; qu'il voulait dominer seul, et qu'il n'est rien qu'il n'eût fait pour écarter ceux qu'il craignait de trouver en son chemin. On conçoit qu'en de telles dispositions M. de Frontenac ne dut pas ménager assez la susceptibilité du clergé, et que celui-ci, de son côté, put, dans l'état d'irritation où le mettait le rôle d'instrument secondaire auquel on le voulait rabaisser, ne pas comprendre assez, non plus, qu'il est des nécessités auxquelles doit céder l'inflexibilité des principes. Les choses allèrent bientôt si mal que la compagnie des Indes Occidentales fut obligée de résigner le privilége de la traite au Canada, que, malgré le conseil de M. Talon, Colbert avait persisté à lui conserver (1674). Cette traite, seul produit qu'on retirât de cette colonie depuis que les Anglais nous avaient enlevé le monopole de la pêche de la morue sur le banc de TerreNeuve, la traite des fourrures était trop facilement exercée en fraude du privilége royal pour qu'elle indemnisât une compagnie de marchands des dépenses, de plus en plus fortes, qu'entraînait un établissement qui tendait

chaque jour à prendre les proportions d'une vaste colonie agricole, et en avait les onéreux besoins : cet abandon, en rendant toute liberté d'action au gouvernement, lui permit de faire une plus large application des principes de colonisation indiqués par le savant et judicieux Talon. Le conseil souverain, chargé d'administrer la colonie de concert avec le gouverneur général, fut augmenté de neuf membres; un édit rendu en conseil d'Etat abolit complétement les justices particulieres, et aucun Français ne put plus être incarcéré qu'en vertu d'un ordre, soit du gouverneur général, soit du conseil souverain. Nous étions pourtant sourdement ruinés par la guerre que nous faisaient, par les armes des indigènes, les Anglais, les Hollandais et les Suédois, campes autour de la baie d'Hudson et sur la rive droite du Saint-Laurent. Nous les avions devancés de trop longtemps dans ces parties de l'Amérique septentrionale pour qu'ils pensassent à nous contester ouvertement nos droits; nos établissements, tout faibles qu'ils fussent encore, étaient trop supérieurs aux leurs pour qu'ils osassent les attaquer. La paix régnait d'ailleurs en Europe, et le temps n'était pas venu où deux peuples pourraient se battre en un coin du monde et se traiter d'amis dans tous les autres coins. Il est a remarquer, en outre, que l'affection que de nos jours encore nous conservent les sauvages, affection dont les Anglais font honneur à notre caractère aventureux, était alors dans toute sa ferveur; que nos intrépides missionnaires nous faisaient respecter des nations mêmes qui se montraient les plus rebelles à leurs prédications, et qu'enfin nos coureurs de bois, ces merveilleux enfants perdus du mercantilisme européen, donnaient de nous aux

sau

vages l'idée la plus favorable, en leur montrant que le Français peut égaler et même surpasser l'homme rouge en agilité, en sagacité et en vices comme en vertus. A quoi tenait donc l'avantage que par moments nos rivaux obtenaient sur nous dans la bienveillance des tribus? A deux causes la première, à ce qu'ils pouvaient céder ou se résignaient à céder à plus bas prix que nous les différents objets d'échange; la

seconde, à ce que, moins scrupuleux que nous, ils ne faisaient aucune difficulté de vendre ou de distribuer ce poison perfide qu'on a nommé eau-de-vie. Notre elerge, frappé des effets produits par cette liqueur avidement recherchée par l'Indien, en entravait l'importation, en empêchait la vente par toutes sortes de moyens; tandis que personne, parmi les Anglais, les Hollandais ou les Suédois, n'était arrêté par un aussi honorable scrupule. M. de Courcelle, qui raisonnait en militaire plus qu'en apôtre de la civilisation et qui opinait, en conséquence, pour qu'on fournit, dans une certaine mesure, aux Indiens ce qui les gagnait aux intérêts de nos ennemis, M. de Courcelle avait fait partager, sur ce point et sur tous les autres, ses vues à M. de Frontenac. Aussi la première partie de l'administration de ce dernier, que nous verrons gouverneur général à deux reprises différentes, ne fut-elle, à proprement parler, que la continuation de celle de son predécesseur : mêmes efforts de la part de la puissance séculière pour faire prévaloir son autorité, même resistance de la part de la puissance ecclésiastique; mêmes luttes intestines, même obstination des deux côtés à subordonner les intérêts généraux et d'avenir à des intérêts particuliers et momentanés; enfin, mêmes récriminations réciproques, et pendant ce temps même progression décroissante de la colonie que vont menacer sérieusement les Iroquois, d'abord, et ensuite les Anglais. Avant d'esquisser rapidement les phases principales de ces longues et cruelles guerres, on nous permettra de mentionner l'importante découverte du cours du Mississipi, ce fleuve immense qui, du nord au midi, traverse la presque totalité de l'Amérique septentrionale. Les explorations tentées dans ce but par Robert Cavelier de la Salle, de 1675 à 1679, ont été trop bien racontées par M. Roux de Roche le dans son travail sur les États-Unis (pag. 77 et suiv.), pour que nous entrions ici dans de nouveaux details. Nous nous bornerons à noter une circonstance omise par notre savant collaborateur, et qui nous semble caractéristique. Lorsque la Salle, après avoir descendu le

Mississipi jusqu'à son embouchure dans le golfe du Mexique, revint par le même chemin à Québec pour demander les moyens d'aller reconnaître cette même émbouchure, le long des côtes de ce golfe, M. de Frontenac n'était plus gouverneur général; M. de la Barre lui avait succédé, et prévenu contre le courageux explorateur, il l'avait signalé au ministère comme un imprudent qui avait irrité les Iroquois, en faisant inutilement intervenir la France en faveur des Illinois, leurs ennemis. Rien n'autorise à accuser M. de la Barre d'avoir eu l'intention de calomnier la Salle; mais il est difficile d'admettre avec le P. Charlevoix que le mauvais accueil fait à cet officier doive être attribué à sa position de protégé du comte de Frontenac. Il semble plus naturel de voir dans les preventions de M. de la Barre un effet des craintes que les Canadiens conçurent en apprenant qu'on tentait d'ouvrir une route plus courte, plus sûre et plus facile que celle du Saint-Laurent, vers les contrées dont Québec avait jusqu'alors gardé l'entrée. On lira avec intérêt chez M. Roux de Rochelle quelle fut l'issue de cette grande entreprise, dont le principal honneur appartient, à notre avis, à l'intendant Talon, l'homme le plus éminent peut-être que fe Canada ait eu pour administrateur.

M. Lefèvre de la Barre, envoyé, comme nous l'avons dit, pour remplacer M. de Frontenac (1682), ne devait pas jouir d'une indépendance, d'une liberté d'action aussi complète, que celle qui avait été laissée à ses prédécesseurs. Il devait se concerter, pour toutes les opérations importantes, avec le comte de Blenac, gouverneur général des îles de l'Amerique. Le vieux parti canadien, las d'avoir à lutter contre des genéraux hardis et entreprenants, avait pensé qu'il vaudrait mieux pour lui avoir affaire à un vieillard, et la cour, où ce parti était en grande recommandation, lui avait accordé M. de la Barre, qui se montra bientôt au-dessous de la tâche difficile qu'on lui confiait. Il trouva la colonie dans une situation déplorable, tous les pouvoirs civils avaient été annihilés par l'impétueux Frontenac ; d'un autre côté, la guerre était imminente avec les Iro

quois, et nous n'y étions guère préparés. Le dernier recensement fait en 1679 n'avait donné que le chiffre de 8,500 âmes, pour la population du Canada, et ce chiffre avait considérablement baissé depuis cette époque. Voici, d'après le P. Charlevoix, quelle avait été l'occasion ou plutôt le prétexte de la rupture de cette paix, que M. de Courcelle avait eu tant de peine à conclure et à maintenir : « Au mois de septembre 1681, dit cet historien qu'on nous pardonnera de citer aussi souvent, un capitaine tsonnonthouan fut tué à Michillimakinac (extrémité nord du lac Huron) par un Illinois avec qui il avait eu quelques démêlés particuliers. Dans ces rencontres, ce n'est ni sur le meurtrier ni sur sa nation que tombe le premier ressentiment de ceux qui ont été offensés, mais sur les maîtres du lieu où l'offense a été faite ainsi c'était aux Kiskacous, nation outaouaise, chez qui le Tsonnonthouan avait été tué, à satisfaire aux Iroquois; et des le premier avis qu'avait eu le comte de Frontenac de ce qui venait d'arriver, il avait dépêché à ceux-ci un homme de confiance, pour leur persuader de suspendre toute hostilité jusqu'à ce qu'il eût eu le temps de leur faire rendre justice par les Kiskacous. Le temps n'était plus où M. de Courcelle faisait entendre de fières et rudes paroles aux sauvages. Ceux-ci, secrètement soutenus par les Hollandais et les Anglais, prétendaient à imposer des conditions, bien loin d'être disposés à déférer à une invitation. En vain M. de Frontenac, qui, sur ces entrefaites, venait d'apprendre qu'on lui envoyait un successeur, et qui tenait d'autant plus à terminer cette affaire, s'etait-il prête, dans ce but, à tout ce que la vanité des sauvages pouvait attendre du respect qu'il se devait à luimême et à sa qualité de gouverneur général pour la France; en vain avaitil reçu des paroles de paix de la part de quelques-unes des tribus la nation iroquoise avait, suivant l'expression consacrée, déterré la hache de guerre; il fallait se préparer à combattre, et c'est dans ces conjonctures difficiles que M. de la Barre prit le commandement de la colonie. Son premier soin fut

de convoquer en conseil tous les fonctionnaires ecclésiastiques, civils et militaires de la colonie, afin de savoir au juste quelles ressources étaient mises à sa disposition, et quels secours il devait demander au ministère. Ce conseil décida qu'il ne s'agissait plus d'attendre les Iroquois, qu'il fallait transporter la guerre au milieu d'eux; mais que pour cela faire il y avait lieu de supplier le roi d'accorder encore 200 ou 300 soldats et 1,000 ou 1,500 engagés volontaires qui cultiveraient les terres pendant que les habitants seraient sous les armes. Louis XIV accorda tout avec empressement, et annonça en même temps que le commandant anglais de la Nouvelle-York avait reçu de son souverain l'ordre de nous soutenir au besoin. Cependant, dans la même dépêche Louis XIV recommandait qu'on avisât aux moyens de repousser les Anglais, même par la force, des établissements qu'ils avaient formés à la baie d'Hudson. Si M. de la Barre avait attendu quelques semaines avant d'écrire à la cour, il ne se serait pas borné à solliciter un aussi faible secours que les 200 hommes qui lui furent expédiés. Se jugeant donc trop faible pour châtier militairement les sauvages, il recourut à la voie, dangereuse avec eux, des négociations. Cette imprudente démarche leur inspira une confiance extrême en leurs forces, et une confiance encore plus grande dans l'appui que leur promettaient tout bas les Anglais de la Nouvelle-York, sur l'assistance de qui la cour de France avait compté. Les Anglais, si l'on en croit la lettre écrite à Colbert, par M. de la Barre, pour réclamer de nouveaux renforts, les Anglais se rendaient coupables, dès cette époque, et vis-à-vis de nos compatriotes, de la ruse machiavélique dont ils usent aujourd'hui pour contre-balancer dans leurs possessions l'effet de l'affranchissement des noirs. Le général prétend que ceux de la NouvelleYork se servaient pour connaître nos plans decampagne, et correspondre plus sûrement avec les Iroquois, de soldats français dont ils favorisaient la désertion, et qu'ils vendaient ensuite, en qualité d'engagés, aux habitants de la Jamaïque. Če vieil officier, dont l'âge

avait augmenté outre mesure la circonspection, continua à négocier pourtant en attendant que Colbert répondit à sa dernière communication. Mais cette réponse n'arrivant pas, les négociations n'aboutissant à rien, et les Iroquois s'apprêtant à envahir les cantons de nos alliés et nos propres établissements, il résolut enfin de se mettre en campagne. Les commandants français des divers districts furent chargés d'appeler aux armes contre les Iroquois les tribus nos alliées, envers qui l'on s'engagea à ne poser les armes qu'après la destruction complète de leurs implacables ennemis. Sur la foi de cette promesse, elles fournirent un certain nombre de guerriers. Le rendez-vous général était à Niagara, elles s'y rendirent, et n'y trouvèrent ni le gouverneur général, qui aurait dû les y devancer, ni aucun soldat français. Elles attendirent ainsi plusieurs jours: elles ne comprenaient rien à cette manière de marcher en guerre, et commençaient à se débander quand leur mécontentement fut porté à son comble par la nouvelle que la paix était faite entre les Iroquois et les Français, mais non pas faite de manière à profiter à nos alliés. M. de la Barre, se rendant de Québec à Montréal, s'était souvenu, chemin faisant, de ce commandant anglais dont le ministre lui avait promis le concours. Il lui avait aussitôt dépêché un exprès pour obtenir de lui, sinon sa participation, du moins sa neutralité. Le colonel Duncan, le commandant anglais, qui, de son côté, négociait avec les Iroquois pour leur faire accepter la souveraineté de l'Angleterre, avait fait attendre plusieurs jours l'envoyé de M. de la Barre et l'avait renvoyé sans le charger d'aucune parole formelle, après avoir reçu lui-même la réponse négative des sauvages, offensés du ton hautain qu'avait pris avec eux son maladroit représentant. M. de la Barre, voyant alors qu'il était déjà en retard de plusieurs jours, que les chaleurs (juillet 1684) faisaient de grands ravages dans sa petite armée, et se sentant en fort mauvais état de santé, avait craint plus que jamais pour l'issue de sa campagne. Une nouvelle négociation avec les Iroquois lui avait semblé le seul moyen

de se tirer d'embarras, et il leur avait, en conséquence, député un mandataire qui, plus adroit que celui du colonel Duncan, était enfin parvenu à revenir accompagné d'espèces de plénipotentiaires, et ceux-ci avaient, en définitive, accordé et non pas reçu une paix trop ardemment et trop visiblement désirée pour n'être pas insolemment marchandée. Nous abandonnions lâchement nos amis de Michillimakinac à la colère, à la vengeance des Iroquois : ce jour ruina pour longtemps, et à juste titre, notre influence sur les sauvages. Nous avions déjà commis plus d'une faute au Canada; celle-ci ne fut ni la plus grande ni la dernière. A son retour à Québec, M. de la Barre reçut de France un renfort de troupes, renfort qu'il avait sollicité et qui était commandé par deux officiers qu'on disait envoyés pour servir de conseils au gouverneur général. La mesure était bonne, bien qu'il eût encore mieux valu rappeler purement et simplement M. de la Barre; mais on savait si peu en France ce que c'était au juste qu'une colonie et des sauvages! Nous n'en saurions donner une meilleure preuve que le choix et le maintien de M. de la Barre et cet ordre adressé par Louis XIV lui-même : « Comme il importe au bien de mon service de diminuer, autant « qu'il se pourra, le nombre des Iroquois, et que d'ailleurs ces sauvages, « qui sont forts et robustes, serviront << utilement sur nos galères, je veux • que vous fassiez tout ce qui sera possible pour en faire un grand nombre << prisonniers de guerre, et que vous les fassiez passer en France. >>

M. de la Barre n'était pas en position de remplir le rôle de pourvoyeur d'Iroquois, et il n'eut malheureusement pas la sagesse de garder le silence sur un ordre résultat de l'une de ces aberrations qui sont du fait d'une époque bien plus que de celui de quelques individus en particulier. Les sauvages, à qui nos officieux voisins eurent grand soin d'en donner connaissance et de l'expliquer, en gardèrent bon souvenir, c'est-àdire vigoureuse rancune. Une année entière s'écoula pourtant assez tranquillement. Au bout de ce temps, M. de Denonville, un ami du vertueux duc

de Montausier, arriva pour remplacer M. de la Barre, dont le traité de paix avec les Iroquois avait déplu au ministère (1685). Il amenait avec lui 500 ou 600 hommes de troupes, et il avait la parole de M. de Seignelay pour un prochain et plus considérable renfort. Il semble qu'à cette époque le ministère ait eu, plus que jamais, la volonté de guérir les deux plaies qui épuisaient le Canada: les Iroquois et les Anglais. Les premiers ne cessaient pas, en effet, leurs incursions sur les tribus huronnes ou autres, nos alliées, et les obligeaient, elles et nous, à tout négliger pour ne penser qu'à nous défendre; les second's s'acheminaient, d'empiètements en empiètements tantôt avoués et tantôt subreptices, vers les territoires situés au sud et à l'ouest des lacs, où ils voulaient s'établir, pour achever de nous enlever le commerce des fourrures. A peine débarqué à Québec, M. de Denonville se hâta d'aller visiter Catarocouy. Ce poste, situé à l'extrémité sud du lac Ontario, non loin des cataractes, lui parut aussi important, comme point militaire, qu'il l'avait déjà semblé à M. de Frontenac. Il était à peu près à égale distance de Michillimakinac, notre dernier établissement au nord, et de Montréal, notre dernière ville sur le Saint-Laurent; il interceptait la seule route par laquelle les sauvages de la rive gauche pussent descendre à nos habitations et à nos villes et villages disséminés le long du fleuve. M. de Denonville donna l'ordre de le fortifier régulièrement, y laissa une garnison respectable et rentra à Montréal, dont il fit son quartier général pour la campagne qui allait bientôt s'ouvrir. Un officier du plus haut mérite, M. de Callières que nous verrons plus tard gouverneur général, commandait alors à Montréal, centre d'un gouvernement particulier qui relevait du gouvernement général mais était donné par la congrégation du séminaire Saint-Sulpice de Paris. Cette congrégation à qui, dans le temps, l'ile de Montréal avait été concédée en toute propriété, avait obtenu le privilége de cette désignation lorsque le gouvernement avait repris la colonie délaissée par la compagnie des cent associés.

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