Page images
PDF
EPUB

L'UNIVERS.

Les mouvements que se donnait le nouveau gouverneur général et les approvisionnements qu'il réunissait dans son fort de Catarocouy éveillerent l'attention du commandant anglais de la Nouvelle-York, ce même colonel Duncan qui déjà avait traversé l'expédition tentée par M. de la Barre et si peu glorieusement terminée. Cet officier, en dépit des ordres que son gouvernement était censé luí adresser, ou lui adressait peut-être réellement, était en constante communication avec les Iroquois, et ne cessait de les animer contre nous. Il offrait même, à ceux d'entre eux convertis au christianisme et domiciliés sur notre territoire, de leur fournir de plus vastes terres et tout ce qu'ils pourraient désirer, s'ils voulaient nous abandonner et aller se fixer dans son gouvernement. Le bruit qui se répandit bientôt de l'arrivée de nouvelles troupes expédiées de France l'effraya; il jugea que le moment était venu de nous signifier que si la paix était rompue ce ne serait plus contre les Iroquois seulement, mais contre les Anglais, que nous aurions à defendre notre droit de suzeraineté et les intérêts de notre com. merce. M. de Denonville regretta de n'être pas encore en position de répliquer comme il l'aurait voulu à cette étrange déclaration : son fort de Catarocouy n'était pas encore suffisamment en état, les troupes dont on parlait n'avaient pas encore paru, les contingents des tribus alliées ne se réunissaient que lentement; bref, s'il faut tout dire, M. de Denonville, lui aussi, quoiqu'à un moindre degré que M. de la Barre, manquait de l'énergie qui, en pareille occurrence, supplée à l'absence des forces matérielles. Au lieu de s'expliquer franchement sur ses projets militaires, il les passa sous silence, et se borna à repousser des prétentions de suzeraineté que rien ne justifiait. Il se vit pourtant un moment obligé de se mettre en campagne plus tôt qu'il ne l'avait decidé. Il faut se rappeler, pour se rendre parfaitement compte de ce qui va suivre, que le Canada, à peu près borné à cette époque aux deux rives du SaintLaurent, depuis son embouchure jusqu'à Michillimakinac, non loin du point de jonction des lacs Huron et Michigan,

était pressé au nord, à l'est et au sud par les établissements que l'Angleterre avait formés dans la baie d'Hudson et dans par droit de conquête régulière. Nous l'Acadie, malgré nos justes réclamations, et dans la Nouvelle-Angleterre, ne mentionnons ici que pour mémoire Suédois. Les contrées à l'ouest du Canada, le long des lacs Érié, Huron, Miceux occupés par les Hollandais et les chigan, Supérieur, étaient occupées par les cinq cantons iroquois ou par leurs alliés. C'est vers ce dernier point que chillimakinac des forces assez considése dirigèrent les efforts du colonel Dunrables pour défendre ce poste contre can. Nous ne pouvions entretenir à Mitoutes les attaques, et, d'un autre côté, la Nouvelle-York en était trop éloignée pour que les Iroquois, livrés à eux-mêmes, y fussent bien dangereux. Majs M. de Denonville s'aperçut bientôt communiquer. Il apprit, en outre, que que les Tsonnonthouans, placés entre les c'était par leur moyen que les preAnglais et les Iroquois, les faisaient se miers avaient fait passer aux autres les marchandises au moyen desquelles les Hurons, les Onnontagués et les Outaouais de Michillimakinac avaient, en dernier lieu, été détachés de notre les Tsonnonthouans dans l'impuissance cause. Il résolut sagement de coude les servir. Ces sauvages, longtemps per le mal dans sa racine, en mettant depuis l'expédition de M. de la Barre, nos alliés, étaient devenus nos ennemis d'eux à Michillimakinac, et dont ils s'éà la suite du meurtre commis sur l'un taient refusés à attendre la satisfaction que nous leur en avions promise. Les choses en étaient là lorsqu'au printemps de l'année 1687 il reçut du roi la lettre suivante, qui indique que la cour de Londres ne partageait pas la confiance que paraissaient avoir dans le succès de leurs intrigues les commandants de ses possessions en Amérique : «Ayant été informé, disait Louis XIV, « par M. de Barrillon, mon ambassa deur extraordinaire auprès du roi d'Angleterre, que les ministres de sa Majesté Britannique lui avaient pro« posé un traité de neutralité entre mes sujets et les siens dans les îles et pays de terre ferme de l'Amérique, et

[ocr errors]

[ocr errors]

«

[ocr errors]

ayant considéré que je ne pouvais << rien faire de plus avantageux à mes<< dits sujets que de leur procurer les << moyens de faire leur commerce, de cultiver leurs terres, et de faire va« loir leurs habitations sans interruption, j'ai agréé cette proposition, et j'ai envoyé audit sieur de Barrillon a les pouvoirs nécessaires pour conclure « ce traité, qui a été heureusement « terminé le troisième du mois de sep«tembre dernier, etc., etc. » Ce traité, sans rien statuer sur les différends existant entre les deux couronnes au sujet de l'importance ou de la réalité de leurs possessions respectives, assurait du moins dans les Amériques le maintien de la paix fréquemment troublée en Europe. Il interdisait, de plus, à chacune des parties contractantes d'intervenir dans les querelles que l'autre pourrait avoir avec les indigènes voisins ou habitants de ses possessions. Combien n'eût-il pas prévenu de malheurs s'il eût été franchement et loyalement exécuté des deux parts! Qu'eussent osé les Iroquois, par exemple, s'ils avaient eu la certitude de n'être soutenus directement ni indirectement dans leurs luttes contre nous? Mais il en devait être de ce traité comme d'une infinité d'autres. Il ne pouvait, d'ailleurs, avoir pour le cabinet de Londres, ou, si on le préfère, pour le commandant de la Nouvelle-York, la portée que lui supposait le cabinet de Versailles. Le colonel Duncan considérait les Iroquois comme étant ses administrés; dans son opinion il n'intervenait point dans les affaires de la France; il se maintenait, au contraire, exactement dans la ligne de ses devoirs comme dans l'esprit et la lettre du traité, en disant à M. de Denonville Ne frappez pas trop fort, car je serais obligé de me fâcher; et aux Iroquois : Frappez, ne craignez rien; si vous tombez je vous relèverai. Il est vrai que si à Versailles on eut confiance dans ce traité de neutralité, il n'en fut pas de même au Canada. M. de Denonville, qui avait déclaré la guerre aux Iroquois au mois de septembre 1686, entra en campagne au mois de juin suivant, quelques semaines après avoir reçu ce traité, et ne douta pas un seul instant qu'il allait avoir à combattre les

--

Anglais autant au moins que les sauvages. Les forces militaires de la colonie, à cette dernière époque, étaient singulièrement accrues, puisque le gouverneur général qui, un an auparavant, ne pouvait disposer que de neuf cents hommes, rassemblait en ce moment, au lac Ontario, deux mille Français et six cents sauvages domiciliés. Il est ré-. grettable que le début de cette campagne ait été souillé par un de ces actes que nulle considération ne saurait faire excuser. On se rappelle l'ordre singulier adressé à M. de la Barre, pour qu'il eût à faire beaucoup de prisonniers iroquois, afin de diminuer le nombre des hommes de cette nation et d'augmenter la population des bagnes de France. Cet ordre fut-il renouvelé à M. de Denonville, on ne sait : mais toujours est-il que cet officier eut le malheur de recourir à la perfidie pour s'emparer de plusieurs chefs onnontagués, qu'il fit conduire à Québec, où ils furent aussitôt embarqués à destination du bagne de Marseille. Il n'est pas inutile de noter que les Onnontagués étaient l'une des tribus iroquoises qui nous étaient les moins hostiles, que nous étions alors en paix avec elle, et que tout ce qu'on a pu dire pour diminuer nos torts en cette circonstance, c'est que ces sauvages étaient véhémentement soupçonnés d'entretenir des rélations avec nos ennemis déclarés. Le P. Charlevoix raconte en ces termes cette mauvaise action, que nous devions bientôt expier si durement: « M. de Denonville crut qu'il lui était permis d'user de toutes les voies possibles pour affaiblir et pour intimider des barbares que leurs perfidies, leurs cruautés inouïes et toute la suite de leurs procédés rendaient indignes qu'on observât à leur égard les règles ordinaires. Sur ce principe, et ne faisant pas assez réflexion qu'il se devait à lui-même ce qu'il jugeait ne pas devoir aux Iroquois, avant que de leur déclarer la guerre il attira, sous différents prétextes, plusieurs dé leurs principaux chefs à Catarocouy, et quand ils y furent arrivés il les fit enchaîner; il les envoya ensuite sous bonne garde à Québec. » Le bon père convient que dans cette affaire on commit au moins trois fautes capitales

au point de vue de la politique, sans parler de celle bien plus grave, qu'il n'a fait que charitablement et légèrement indiquer, en rappelant tout à l'heure le respect que M. de Denonville aurait du avoir pour lui-même. Premièrement, pour faire donner dans le piége les chefs iroquois, le gouverneur général se servit de deux missionnaires: ce qui était discréditer les agents les plus habiles, les plus respectés que nous eussions parmi les indigènes. Secondement, on punit des innocents et non pas les coupables, si toutefois il y en avait, et c'était faire douter ou de notre perspicacité ou de notre justice. Troisièmement, on fit une offense mortelle à un ennemi qu'on était loin d'être sûr de pouvoir subjuguer entièrement. « Enfin, dit le P. Charlevoix, les circonstances de cet enlèvement eurent quelque chose de fort odieux, et par malheur il n'en resta que cela. M. de Denonville s'était promis d'humilier ces sauvages, et l'obligation où l'on se trouva de le désavouer les rendit plus insolents; il les aigrit beaucoup plus qu'il ne les affaiblit, et en les mettant dans la nécessité d'avoir recours aux Anglais pour se venger de nous il donna à ceux-ci un grand avantage sur nous. » Le baron de la Hontan, qui fut acteur dans cette hideuse affaire, est, il faut l'avouer, beaucoup moins politique et beaucoup plus humain que le P. Charlevoix. L'habitude de considérer les choses humaines sous leur aspect général ne sèche pas nécessairement le cœur, mais endurcit le raisonnement : telle est peut-être la seule excuse qu'on puisse proposer aussi pour M. de Denonville. L'expédition qui eut lieu ensuite n'eut qu'un demi-succès; nous fimes sans doute beaucoup de mal aux Tsonnonthouans, mais ce mal était réparable, tandis que celui dont nous souffrimes devait rester sans compensation. L'infatigable colonel Duncan ne manqua pas, en effet, de tirer habilement parti de notre faute; et cette fois il était dans son droit. M. de Denonville se promettait de faire, cette même année 1687, une seconde expédition. Il en fut empêché, et par une épidémie qui décima ses troupes et la population, sur la fin de l'été, et par la certi

tude qu'il acquit du peu de fonds que désormais il avait à faire sur les tribus qui jusqu'alors nous avaient été le plus fidèles. Il ne laissait pas d'être, en outre, fort embarrassé par les ordres qui lui arrivaient de France. Ils lui recommandaient tous de ménager les Anglais. Ceux-ci se mêlaient pourtant si activement de nos affaires, et si malheureusement pour nous, que chaque progrès obtenu par eux, était la conséquence d'un échec souffert par nous. On ne peut expliquer la confiance de Louis XIV en l'efficacité du traité de neutralité conclu entre lui et Charles II l'année précédente, et renouvelé en 1688, que par la confiance que devait avoir ce monarque en l'intelligence de M. de Denonville pour interpréter et appliquer suivant les circonstances les principes généraux qu'il lui posait. Autant en faisait-on sans doute à la cour de Londres. Mais le colonel Duncan lisait au fond de ses instructions: Progrès et prudence; tandis que M. de Denonville, s'arrêtant à la lettre des siennes, ne savait y trouver qu'incertitude et faiblesse. Če gouverneur général était loin pourtant d'être dénué de mérite; ses erreurs vinrent de ce qu'avant d'adopter un parti pour la conduite des affaires de la Nouvelle-France il ne prit pas le temps d'étudier le caractère des populations tant indigènes qu'européennes, entre lesquelles il allait avoir à tenir la balance. La colonie, plongée dans le deuil par suite de l'effrayante mortalité qui pesait sur elle, croyait du moins pouvoir être en repos du côté des Iroquois, que devait avoir effrayés notre dernière expédition, et du côté des Anglais, dont le commandant avait, disait-on, reçu l'ordre de s'interposer entre les sauvages et nous: c'était mal connaître nos voisins. Le 3 novembre le fort Chambly fut attaqué à l'improviste par les Iroquois, et l'on sut bientôt que cette attaque avait été résolue à l'instigation du colonel Duncan. Le fort Chambly résista; mais une autre nouvelle beaucoup plus affligeante suivit de près celle-là. Quarante Onnontagués, de ceux dont nous avions pris les chefs par trahison, s'étaient approchés du fort de Catarocouy, et avaient enlevé trois soldats et une jeune fille.

M. d'Orvilliers, commandant du fort, ne pouvant, faute de troupes, recourir à la force pour punir cette insulte et ramener les prisonniers, envoya aux sauvages le P. Lamberville, qui avait longtemps habité parmi eux. Pourquoi, leur dit ce missionnaire, avez-vous commis cette hostilité, quand ce n'est pas avec vous, mais seulement avec les Tsonnonthouans, que nous avons été en guerre? Ononthio (le gouverneur général), répondirent-ils, a rompu la paix qui avait toujours été entre nous et lui, en faisant enlever nos chefs. Cette réponse rappelait un fait trop avéré, trop honteux, pour que le P. Lamberville pût répliquer victorieusement il se contenta d'assurer, ce que sans doute il croyait vrai, que les chefs enlevés le printemps dernier étaient encore à Québec, qu'il n'était point question de les envoyer en France, et encore moins de les y mettre aux galères. Toutefois il termina là sa négociation, et se contenta de remettre, suivant la coutume, deux colliers aux Onnontagués l'un signifiant qu'on les engageait à ne pas maltraiter leurs prisonniers; l'autre, qu'ils ne devaient point prendre parti pour les Tsonnonthouans. Les quarante Onnontagués rentrèrent dans leur village, où les trois soldats et la jeune fille furent traités assez doucement, et ils envoyèrent les deux colliers au colonel Duncan : ce qui voulait dire qu'ils lui laissaient à décider de ce qu'il y avait à faire. Celui-ci saisit avec empressement une occasion aussi favorable de nous prouver son crédit sur les sauvages. Il envoya demander à M. de Denonville ce que signifiaient ces deux colliers; mais il se garda bien de rien dire des trois soldats et de la jeune fille, qu'il paraît cependant avoir eus dès cette époque en son pouvoir. M. de Denonville, qui ignorait encore ce dont il s'agissait, crut que cette question singulière était, de la part du colonel, un moyen détourné pour lui donner à entendre qu'il avait quelque communication secrète à lui faire au sujet de la guerre prochaine. Il lui députa un missionnaire à qui il recommanda de passer, à son retour, chez les Agniers, tribu que nous avons vue l'une des plus hostiles contre nous, mais que nous espérions alors pouvoir déta

cher de la confédération iroquoise. Le colonel Duncan comprit, au langage du missionnaire, que M. de Denonville avait pris le change sur la question faite au sujet des deux colliers; mais il accepta la conférence sur le point où l'on semblait désirer qu'elle portât. Il se fit d'abord un peu presser pour dire sa pensée tout entière; mais, renonçant bientôt à d'inutiles ménagements, il se posa en arbitre de la paix entre les Iroquois et nous, et déclara qu'elle n'aurait lieu qu'à la condition qu'on ferait revenir de France les sauvages qu'on y avait envoyés aux galères; qu'on obligerait les Iroquois chrétiens réfugiés sur notre territoire par crainte de leurs concitoyens, à retourner dans leurs cantons; qu'on raserait les forts de Niagara et de Catarocouy, et qu'on restituerait aux Tsonnonthouans ce qu'on leur avait enlevé l'année précédente (1687). Cet ultimatum formulé, il renvoya le missionnaire, en ayant grand soin qu'il ne pût visiter, en s'en retournant, les Agniers; puis il convoqua les principaux chefs des cinq cantons, et leur annonça que le gouverneur général de la Nouvelle France l'avait chargé de négocier la paix avec eux. « Je souhaite, leur dit-il, que vous mettiez bas la hache; mais je ne veux point que vous l'enterriez contentez-vous de la cacher sous l'herbe, afin que vous puissiez aisément la reprendre quand il en sera besoin. Le roi mon maître m'a défendu de vous fournir des armes et des munitions, au cas que vous continuiez à faire la guerre aux Français; mais que cette défense ne vous alarme point. Si les Français rejettent les conditions que je leur ai proposées vous ne manquerez de rien de ce qui sera nécessaire "pour vous faire justice. Je vous le fournirai à mes dépens plutôt que de vous abandonner dans une si juste cause. Ce que je vous conseille présentement est de vous tenir sur vos gardes, de peur de quelque nouvelle trahison de la part de vos ennemis, et de faire secrètement vos préparatifs pour fondre sur eux par le lac Champlain et par Catarocouy quand vous serez obligés de recommencer la guerre. » Il y a deux manières d'agir sur les hommes. La première est de s'adresser à leur raison, la seconde

est d'exploiter leurs mauvaises passions: l'Angleterre a toujours fait choix de la seconde. Le conseil du colonel Duncan était trop du goût des Iroquois pour qu'ils ne le suivissent pas. Un premier acte d'hostilité diversement raconté, mais qui n'en était pas moins significatif, démontra à M. de Denonville qu'il n'y avait plus à compter sur la conservation de la paix. Nous n'étions pas trop en position de faire la guerre, il fallait donc aviser à ce que nos ennemis ne pussent nous opposer que la moindre force possible. On pensa de nouveau aux Onnontagués. Un de ces sauvages, gagné par le P. Lamberville, se chargea d'aller expliquer à ses compatriotes la secrète intention du colonel Duncan, et de les engager à faire la paix avec nous, qui ne demandions en définitive que le maintien d'un ordre de choses accepté depuis longtemps et auquel ils avaient jusqu'alors trouvé plus de profit que de dommage. Cet envoyé réussit assez bien; mais la manière dont les cantons, qu'il trouva réunis et prêts à fondre sur nos habitations, voulurent traiter avec le gouverneur général montrait assez la confiance qu'ils avaient dans leurs forces et l'opinion qu'ils avaient de notre faiblesse, malheureusement trop évidente. Douze cents Iroquois accompagnèrent leurs députés jusqu'au lac SaintFrançois, à peu de distance de Montréal, où les attendait M. de Denonville. « J'ai toujours aimé les Français, lui dit fièrement l'orateur onnontagué, et je viens d'en donner une preuve qui n'est point équivoque; car ayant appris le dessein que nos guerriers avaient formé de venir brûler vos forts, vos maisons, vos granges et vos grains, afin qu'après vous avoir affamés ils pussent avoir bon marché de vous, j'ai si bien sollicité en votre faveur, que j'ai obtenu la permission de vous avertir que vous pouviez éviter ce malheur en acceptant la paix aux conditions proposées par Corjar (le commandant anglais de NewYork). Au reste, je ne puis vous donner que quatre jours pour vous résoudre, et si vous différez davantage à prendre votre parti je ne vous réponds de rien. »Un tel langage était rude à entendre; mais nous étions hors d'état de le témoigner trop vivement. M. de De

nonville contraignit sa colère; mais les quatre jours de délai si fièrement assignés n'étaient pas encore écoulés que, par un brusque retour de fortune, nous pûmes dicter et non pas recevoir la paix. Huit cents Iroquois, qui pendant ce temps bloquaient le fort de Catarocouy, avaient regagné leur canton, vaincus par la générosité du commandant de ce poste, qui, tandis qu'il foudroyait leurs embarcations sur le lac Ontario, leur renvovait libre le neveu de leur chef, qu'il avait fait prisonnier. Cette défec tion et celle des Onnontagués, que le P. Lamberville parvint à rattacher ànotre cause, dissolvaient la confédération sous le poids de laquelle la colonie s'était vue sur le point de succomber. La paix fut bientôt conclue, et à des conditions faites par nous. Les prisonniers furent échanges, et on se contenta de la parole du gouverneur general en ce qui concernait le retour des Iroquois Onnontagués, qui par malheur avaient bien réellement été dirigés sur Marseille. Le colonel Duncan ne voulut pas faire, dans cette circonstance, moins que ses amis les Iroquois. Il renvoya les trois soldats et la jeune fille, que les Onnontagués lui avaient confiés; mais, toujours perfide, il fournissait dans le même moment des armes et des munitions à un parti d'Iroquois, à la poursuite duquel M. de Denonville se mit avec vigueur et dont il tira aussitôt satisfaction. La colonie respira enfin un moment. « Il n'y a « que Dieu qui ait pu garantir cette << année le Canada, écrivait, le 10 août « 1688, M. de Denonville à M. de Seignelay je n'y ai aucun mérite. « M. de Callières vous dira, mieux que je ne puis vous l'écrire, combien le P. « de Lamberville nous a été nécessaire, avec quelle habileté il a détourné l'orage qui nous menaçait, de quelle manière « il gouverne l'esprit de ces sauvages, qui sont plus clairvoyants qu'on ne << saurait l'imaginer. Si vous ne trouvez « le moyen de faire retourner ces pères << (jésuites) dans leur ancienne mission, ⚫ vous devez attendre beaucoup de malheurs pour cette colonie; car je dois a vous dire que jusqu'ici c'est leur ha« bileté qui a soutenu les affaires du « pays, par le nombre d'amis qu'ils se « sont acquis chez tous les sauvages et

[ocr errors]
[ocr errors]

:

« PreviousContinue »