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APPENDICE.

ILE DE QUADRA ET VANCOUVER

(NOUTKA),

ILES DE LA REINE CHARLOTTE.

ILE DE QUADRA ET VANCOUVER.

Un voyageur célèbre a fait observer dans ces derniers temps l'identité frappante qui existe entre l'idiome parlé sur les rives de la Colombia et celui qui est en usage dans cette île de Noutka, à laquelle les géographes imposent les noms désormais unis de deux habiles navigateurs, en conservant le premier à un point seulement. Ce seul fait, si digne d'observation, suffirait pour nous engager à revenir sur nos pas et à consacrer quelques pagos à cette région isolée, qui devra être un jour l'objet d'un examen tout particulier, puisqu'elle est réservée peut-être à nous révéler certaines origines et qu'elle renferme sans aucun doute de précieuses

méré seulement les tribus, parce que, dans leur abrutissement, ils demeuraient sans souvenirs, en même temps que leur mode grossier d'existence ne présentait nul intérêt.

Balbi fait observer que les habitants de Noutka, dirigés par la pensée qui dominait jadis les hommes du nord, lorsqu'ils gravaient leurs sagas, en caractères runiques, sur leur boucliers, se transmettent encore certains événements mémorables (une chasse heureuse, une pêche abondante) en traçant deux ou trois lignes d'une forme particulière sur la coiffure conique dont ils font usage. Ce renseignement est bien incomplet sans doute; mais si on le rapproche des documents qui nous ont été fournis par Cook, George Vancouver, Galiano, Valdès et D. Francisco de la Bodega y Quadra, il suffit pour assigner à cette population d'Indiens, appartenant, dit-on, à la race de Tehinouks, une supériorité incontestable sur les autres aborigènes de la côte. L'île de Noutka fut découverte en juin 1774, par don Juan Perez, commandant la corvette le Santiago. Parvenu au parallèle du 55° degré, ce navigateur espagnol aperçut une pointe de terre qu'il désigna sous le nom de Santa-Margarita; l'ile de Langara, qui fait partie du elle appartenait à la partie nord de groupe des îles Charlotte; puis il arriva

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par les 49° 50′ à une autre île, qu'il désigna sous le nom de San Lorenzo, et qui se trouvait être en réalité la terre qui nous occupe (1). Cook était donc réellement dans l'erreur lorsqu'il supposait que la découverte de cette terre ne pouvait lui être contestée. Quoi qu'il en soit, l'habile marin eut bien certainement l'honneur d'en donner une idée exacte, et son troisième voyage renferme à ce sujet des détails qu'on chercherait vainement ailleurs. Grâce à des dessins qui n'ont qu'un tort, celui de manquer de naïveté, Cook fit connaître le premier ces vastes habitations des insulaires, qui leur assignent un degré de civilisation qu'on ne s'attendait guère à trouver sans doute sur ces rivages inexplorés.

L'ile de Quadra (2), qui n'a pas moins de deux cent cinquante milles géographiques du sud-est au nord-ouest, sur soixante-treize milles dans sa plus grande largeur, comme on peut le voir sur la carte de Wilkes, l'île de Quadra occupait bien peu les puissances de l'Europe; lorsque les fourrures variées et nombreuses que l'on pouvait y recueillir excitèrent l'intérêt d'un spéculateur. John Meares, dont le navire avait été frété à Macao, et qui naviguait sous pavillon portugais, vint à Noutka et acheta de l'un des chefs le territoire entier,

(1) Voyez à ce sujet un précieux manuscrit de la bibliothèque du dépôt de la marine; il est intitulé: Comento de la navigacion y descu. brimientos hechos en dos viages de ordem de

S. M. en la costa septentrional de California, desde la latitud de 21 grados 30 minutos, en que se halla el departemento y puerto de S. Blas, por D. Juan Francesco de la Bodega, capitan de navio de la Real Armada. Ce précieux volume, que nous n'avons vu cité nulle

part, se trouve sous le n° 12984. Nous regrettons de n'avoir pu en faire un plus fréquent usage. Nous signalerons aussi comme faisant partie de cette bibliothèque si riche en relations de voyages un autre manuscrit, plus précieux encore, puisqu'il signale des découvertes faites au seizième siècle dans ces régions, dont l'histoire est si peu connue. L'auteur semble

être F. Est. de Perca. Il est intitulé Relacion de la jornada que a esta tierra del nuevo Mexico hicieron los benditos padres que primero en ella entraron. G. 407. Nous indiquerons égalementMiguel Costanso: Diario historico de los riages de mar y tierra hechos al norte de la California de orden del marques de Croix, etc.

(2) Le nom de Noutka est parfaitement inconnu aux indigènes. Celui qui s'en rapproche le plus est nutchi, qui signifie montagne. Le port de Noutka est appelé par les insulaires Yucuati.

qui lui fut livré moyennant quelques feuilles de cuivre, et il en prit possession au nom de l'Angleterre (1). Il paraît néanmoins qu'il ne fonda aucun établissement régulier, et qu'il se contenta d'édifier une cabane sur le rivage, cabane qui n'existait même plus lorsque les Espagnols songèrent à prendre possession de l'île d'une manière plus régulière. En 1789 D. Estevan Joseph Martinez vint pour accomplir cette cérémonie, qui eut lieu le 5 mai, au milieu des acclamations de la population indienne, et à partir de ce moment, diton, l'Espagne se crut parfaitement en mesure d'exposer ses droits de propriété aux autres puissances de l'Europe. Sous l'empire de cette idée l'année 1790 est signalée par un acte d'autorité dont les résultats peuvent avoir les conséquences les plus graves. Le capitaine anglais Colnett, commandant l'Argonaute, vient à Noutka, et, après y avoir joui d'une trompeuse hospitalité, se voit tout à coup saisi et constitué prisonnier à bord du navire espagnol la Princesa. Cet acte arbitraire est suivi d'un fait plus grave encore: une chaloupe se transporte à bord de l'Argonaute, et fait arborer le pavillon espagnol à la place du pavilion anglais. Transporté d'abord comme prisonnier à Saint-Blas avec seize hommes d'équipage, sujets de la Grande-Bretagne, le capitaine Colnett y est traité avec distinction, mais ne parvient pas cependant à obtenir justice entière. Plus tard ses reclamations motivent une longue négociation diplomatique, dont le résultat paraît être d'abord une rupture entre les deux couronnes et qui se termine par le traité de l'Escurial.

Avant que l'infatigable Vancouver visite à trois reprises différentes cette île, dont les destinées politiques ont changé si subitement, les Espagnols utili sent plus fructueusement pour la s qu'on ne l'a cru parfois leur dans ces parages, et l'introdu peu consultée du voya

(1) Si l'on accepte le t cisco de la Bodega y Qu lui-même vante la prob les Espagnols auraient pr ou se trouve l'ile jusqu'a sud et 6° plus haut vers

de Valdès va nous fournir à ce sujet des documents dignes de crédit.

Malespina venait de faire évanouir l'espérance que l'on avait de découvrir le passage que Ferrer Maldonado supposait exister par le parallèle du 60° degré, lorsque le comte de Revillagigedo, viceroi du Mexique, voulut que l'on allât reconnaître l'intérieur du port de Bucareli et la côte comprise entre ce point et celui de Noutka: en conséquence il expédia vers ces parages la frégate Aranzazu, commandée par le lieutenant de navire D. Jacintho Caamaño, qui sortit de San-Blas le 20 mars 1792, et entra dans le port de Noutka le 14 mai de la même année. Don Jacintho fit une minutieuse reconnaissance de ces régions, et il eut l'occasion d'honorer la mémoire de Juan Perez, en imposant son nom au passage qui existe entre l'île de Langara et le cap Muñoz. La description que Caamaño fait, dans son journal, de la côte qui s'étend entre les ports de Bucareli et Noutka, aussi bien que les détails qu'il donne sur la partie nord de l'ile de la reine Charlotte, sont du plus haut intérêt au point de vue géographique. Vers la même époque le gouvernement espagnol renouvelle ses efforts, trop souvent méconnus, pour acquérir des connaissances précises sur ces régions. Don Dionisio Galiano, commandant la goëlette la Sutil et don Cayetano Valdés, commandant la goëlette la Mexicana, arrivent dans ces parages au mois de mai 1792, et le 13 mai les deux bâtiments se trouvent en vue du port de Noutka. Ils sont accueillis par le chef ou taïs Macuina, qui reçoit comme des hôtes déjà bien connus quelques Espagnols, dont le nombre d'ailleurs ne saurait l'inquiéter. Ceux ci trouvent plusieurs de leurs compatriotes habitués dans l'île, et ils sont reçus dans un établissement temporaire, fondé dès 1790, et dirigé par don Juan de la Bodega y Quadra, commandant la frégate la Gertrudis ; ils y rencontrent également un Français, le capitaine Magon, qui non-seulement devait faire le commerce des pelleteries dans ces contrées, mais qui avait surtout pour mission de s'enquérir du sort de l'infortuné Laperouse. L'un des premiers soins des chefs de l'expédition fut de spécifier la

position de Noutka; ils reconnurent que ce point gisait par les 49° 35'14" de lat. et les 120° 30' 15" de long. à compter de l'observatoire de Cadix.

Jusques en 1791 on avait ignoré quelles étaient les véritables limites de l'île de Noutka; mais à cette époque arrivèrent dans ces régions les corvettes la Descubierta et l'Atrevida. Alors deux lieutenants de vaisseau, don Joseph de Espinosa et don Ciriaco Cevallos, furent expédiés pour savoir si le canal qui se présentait au nord-est avait une issue dans la baie de Bonne-Espérance, et si quelqu'un de ses bras s'étendait considérablement jusqu'au nord-est ou à l'est, promettant ainsi une communication avec l'autre mer. Ces officiers trouvèrent que le territoire sur lequel était fondé l'établissement espagnol appartenait à une île enclavée dans la grande,ayant environ vingt milles de l'est à l'ouest, sur quinze de large nord-sud, par une de ses extrémités du moins, l'autre n'en ayant que cinq. Ils virent aussi que les eaux qui entraient dans l'enfoncement de Noutka communiquaient avec celles de la baie de BonneEspérance, et que le canal principal étendait quelques-uns de ses bras à de courtes distances, dans l'intérieur, de ce que l'on regardait alors comme la terre ferme, et où se trouvaient les cabanes d'hiver des naturels (1). Un coup d'œil sur la précieuse carte du commandant de la Sutil rendra du reste parfaitement sensible ces détails arides.

L'ile de Noutka, dit le rédacteur du voyage de la Sutil, présente dans tous les temps un aspect agréable. Ses hauteurs, couvertes de pins et de cyprès à l'épais feuillage et à la verdure persistante, donnent une idée d'agrément et de fertilité qui se dissipe aussitôt qu'on met le pied sur le rivage, formé d'une pierre grisâtre, couverte dans presque toute son étendue de l'humus produit par la décomposition des arbres et des plantes dont le sol est parsemé. L'île est environnée de plages pauvres, de brous

(1) Les deux goélettes n'employèrent pas dition; les officiers espagnols s'assurerent en moins de quatre mois accomplir cette expé outre qu'il n'existait aucun passage par le defruit de Fuca. Voy. Relacion del viage her pr las goletas Sutil y Mexicana en el an para reconocer el estrecho de Fuca; Madrid, 1802,

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L'UNIVERS.

sailles inutiles et de fondrières. Le naturaliste don Francisco Mosiño crut alors reconnaître dans les collines de l'île quelques veines métalliques qu'il supposa être du fer, du cuivre et même de l'argent. M. de Humboldt, auquel nulle des grandes questions qui se rattachent à la statistique américaine n'est étrangère, a établi que cette île, la plus considérable de toutes celles que l'on rencontre dans ces parages, n'avait pas moins de mille sept cent trente lieues carrées de vingt-cinq au degré, calculées d'après les cartes de Vancouver. On sait peu de chose de sa géographie intérieure; mais on a la certitude que ses productions ne different pas essentiellement de celles du continent, dont elle est séparée en quelques endroits par un canal de quelques milles seulement. On y rencontre en définitive des bois magnifiques, et l'on peut s'y procurer des pelleteries d'un débit facile.

Lorsqu'il fait l'énumération si détaillée d'ailleurs des divers établissements de l'Orégon, M. Wilkes évalue la population des îles Vancouver et Washington à cinq mille habitants, et ce calcul paraît avoir été basé plutôt sur des données inférieures à la vérité que sur des renseignements empreints d'un caractère d'exagération (1).

Les peuplades qui se partagent l'île de Noutka n'obéissent pas à la domination d'un seul chef; elles se divisent en plusieurs tribus; nous ignorons quel est leur nombre, mais les dernières relations nous apprennent qu'il existe trois chefs principaux auxquels on peut attribuer une puissance à peu près égale. Le premier en réputation s'appelle Wica-an-ish, le second Mack-quili-a, et le dernier Nook-á-mis (2). Meares, Bodega, Vancouver et quelques autres voyageurs donnent, sur les dénominations des anciennes tribus, quelques détails qui pourraient servir à établir la nomenclature des peuplades. Hulswitt, qui a demeuré si longtemps dans ces parages,

(1) Voy. Narrative of the United-States exploring expedition; London, 1845, 5 vol. in-8° avec atl. Cette belle publication est trop peu répandue en France.

(2) Nous reproduisons ici scrupuleusement l'orthographe anglaise, dans la crainte d'altérer ces noms. Voy. le Voyage autour du Monde,

de sir Edw. Belcher.

renferme sur les nations qui fréquentent Noukta des renseignements précieux; mais nous ignorons encore le degré de confiance qu'on peut leur accorder.

bles de ces insulaires, celui qui pourrait L'un des caractères les plus remarqua faire supposer que d'antiques relations ont eu lieu entre Noutka et l'Asie, c'est aristocratiques se rencontrent assez une constitution sociale dont les formes rarement chez les peuplades indépendantes du nouveau monde. La caste des Tais, en effet, établit entre quelques aborigènes et le reste des populations une ligne de démarcation infranchissable, et qui constitue un despotisme régulièrement organisé auquel ont su en géné nent. Selon la croyance conservée par ral se soustraire les nations du conti ces peuples, il y a seulement quelques à une naïve expression d'un voyageur, années, et si nous nous en rapportons le droit de se dire « ami au soleil. » Etles l'un de leurs tais les plus célèbres avait Indiens ne croyaient pas pouvoir donla puissance du chef qu'en signalant sa ner aux étrangers une plus haute idée de familiarité avec l'astre qui répand la lumière! Jamais peut-être aucune peuplade de ces régions n'a poussé si loin les prétentions extravagantes d'une supériorité imaginaire. L'idée de la mort elle-même ne peut éteindre ce sentiment d'orgueil, terre, prétendent dominer dans le ciel. et les taïs, après avoir dominé sur la Dès qu'ils sont morts, ils se rendent dans le séjour bienheureux au sein des régions supérieures, qui doivent être ferlà, partageant avec les phalanges puismées à tout jamais aux autres hommes; santes dont ils font partie l'attribut divin, ils lancent le tonnerre, et peuvent disposer de la tempête. Mais, qui le croirait, fantées par ce sot orgueil, on rencontre au milieu des superstitions barbares enune croyance si poétique et si touchante les poëtes de la Grèce et qu'elle manà la fois, qu'elle eût pu être enviée par que à la religion des héros d'Ossian. Lorsque les nuages se sont amoncelés et que la pluie vient rafraîchir la terre, l'habitant de Noutka croit recevoir les perdus : baigné de ces pleurs célestes, larmes de ceux qu'il aimait, et qu'il a il oublie les malheurs de la terre, et il tourne avec reconnaissance ses regards

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