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vangile pour celle de Voltaire; mais ce n'est que par une singulière confusion d'idées et de langage qu'on appelleroit Voltaire le pouvoir spirituel du 18e. siècle. Il domina bien ses contemporains par son esprit; mais la Providence ne lui avoit pas donné le droit de leur prêcher l'irréligion, et de s'en faire obéir. Au reste, par cela même que la dénomination de supériorité morale peut exprimer tout ce qui donne de l'ascendant sur les esprits, le savoir, le génie, la vertu; elle ne sauroit caractériser la puissance ecclésiastique, pas plus que la puissance paternelle, ou toute autre, dont les droits ne dépendent pas des qualités individuelles.

Disons enfin que de tout temps on a parlé des deux puissances du sacerdoce et de l'empire, du pontife et du magistrat, de l'Etat et de l'Eglise, de la puissance spirituelle et de la puissance temporelle, pour désigner ceux qui ont l'autorité suprême dans l'ordre religieux et dans l'ordre politique. Ce langage est pris dans la nature même des choses:" consacré par les nations et les siècles, depuis le pape Gélase jusqu'à Bossuet,, et depuis Justinien jusqu'à d'Aguesseau; il durera autant qu'il y aura une société chrétienne et une société civile, c'est-à-dire, autant que le monde.

Nous pourrions bien nous dispenser de discuter les observations de M. Fiévée sur le projet de loi organique; car enfin, un projet de loi n'est pas une loi; on peut le modifier, et même le retirer. Après tout, qu'il soit bon ou mauvais; que dans ce qui a été dit et fait à ce sujet, il y ait eu de sagesse ou de l'imprévoyance, le Concordat pourroit bien être toujours une mesure très-salutaire pour le bien de la religion et de l'Etat. Voyons toutefois les réflexions que ce projet a fait naître à l'auteur de la Correspondance administrative et politique.

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M. Fiévée fait observer que dans le dernier Concordat, le Pape déclare que les lois organiques de Buonaparte avoient été faites sans son aveu; que dès-lors celle qu'on projette pourroit bien déplaire au saint Siége; et que les chambres, dans cette incertitude, doivent hésiter à voter pour ou contre: et comment, d'ailleurs, a-t-on eu la pensée d'accorder aux ecclésiastiques le privilége de n'être justiciables que des cours royales? Quoi de plus capable de blesser les hommes de lettres, qu'on a refusé de soustraire aux tribunaux de police correctionnelle? C'est mettre l'esprit du siècle en opposition avec le

clergé, les supériorités morales de l'esprit avec les supériorités religieuses,

Ceci ne demande qu'à être éclairci.

Il est certain que les lois organiques de Buonaparte n'étoient pas exemptes de dispositions vicieuses; et, comme l'on s'en prévaloit contre le Concordat de 1801, le Pape avoit à cœur de déclarer, de la manière la plus authentique, qu'elles n'étoient en rien son ouvrage, qu'elles n'avoient jamais eu son assentiment. Aujourd'hui que faudroit-il donc faire? 1°. S'abstenir de dire que le Roi nomme aux évêchés par un droit inhérent à sa couronne; le mot inhérent est inexact; 2o. éviter de donner à entendre que l'autorité civile pourroit juger ta doctrine, au lieu de se borner à examiner les formes extérieures des jųgemens dogmatiques; 3°. n'insinuer, en aucune manière, que dans les lois organiques tout étoit bon, et que tout est conservé: avec ces précautions, on peut rédiger une loi, qui, sans avoir l'approbation expresse du saint Siége, n'en sera pas improuvée..

Il est ici une observation essentielle. Rome a ses maximes et ses usages, auxquels elle ne renoncera pas; les ultramontains ne deviendront pas gallicans et nous aussi, nous avons nos

maximes et nos usages, auxquels nous voulons rester attachés; les gallicans ne deviendront pas ultramontains: c'est de là qu'il faut partir, comme d'un point fixe, si l'on ne veut pas divaguer, et se jeter dans de très-vaines déclamations. C'est d'après ce fait qu'il faut régler sa conduite, et apprécier les relations ecclésiastiques de la France avec Rome. Le saint Siége s'est trouvé bien souvent en présence d'Etats populaires, des républiques de Gênes, de Venise, des Cantons Suisses, etc. : et pourquoi, dans l'état actuel de notre monarchie, seroit-il donc si difficile d'éviter ce qui pourroit blesser et nos maximes et le saint Siége? De quelque manière qu'une loi soit rédigée, dèslors qu'elle le sera conformément à nos maximes, Rome ne l'approuvera pas; mais elle gardera le silence, continuera ses relations avec la France; il n'en faut pas davantage. Où seroit l'inconvénient de recevoir des bulles avec des réserves s'il le falloit? Les têtes couronnées de l'Europe ont-elles jamais cru se dégrader parce que dans leurs traités elles mettoient des clauses et des réserves qui sauvoient leurs prétentions réciproques, et par-là même terminoient des différends qui eussent été interminables?

J'ignore ce qui a fait dire à M. Fiévée que

que

nos rois avoient été timides devant les papes, par la crainte leurs altercations avec Rome ne fortifiassent le parti des Protestans. Jamais, à aucune époque, nos rois n'ont moins senti le pouvoir de la cour de Rome, n'ont été plus affranchis de ce qu'on appelle prétentions ultramontaines, que dans les trois derniers siècles. Il est vrai que, fils aînés de l'Eglise, ils auroient eu horreur de cesser d'être catholiques, en se séparant du saint Siége, centre de l'unité; mais ne sait-on pas avec quelle fierté Louis XIV soutint, jusque dans Rome, les droits de sa couronne, et que c'est précisément sous son règne que parut la célèbre Déclaration du clergé, qui est le plus ferme rempart de nos libertés légitimes?

Enfin il me semble que M. Fiévée fait, des gens de lettres, une race d'hommes bien irritables, en supposant qu'ils peuvent voir d'un œil de jalousie la faveur que le projet de loi accorde aux ecclésiastiques. Qu'est-ce que la société sans les lois, et les lois sans les mœurs, et les mœurs sans la religion, et la religion sans le sacerdoce? Or, plus les gens de lettres sont instruits, plus ils ont de supériorité morale, et mieux ils doivent sentir combien il importe au

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