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UN

Sa haute silhouette noire
Domine les profonds labours.
On sent à quel point il doit croire
A la fuite utile des jours.

Il marche dans la plaine immense,
Va, vient, lance la graine au loin,
Rouvre sa main et recommence,
Et je médite, obscur témoin,

Pendant que, déployant ses voiles,
L'ombre, où se mêle une rumeur,
Semble élargir jusqu'aux étoiles
Le geste auguste du semeur.

UN HYMNE HARMONIEUX

N hymne harmonieux sort des feuilles du tremble; Les voyageurs craintifs, qui vont la nuit ensemble, Haussent la voix dans l'ombre où l'on doit se hâter. Laissez tout ce qui tremble Chanter !

Les marins fatigués sommeillent sur le gouffre.
La mer bleue où Vésuve épand ses flots de soufre
Se tait dès qu'il s'éteint, et cesse de gémir.

Laissez tout ce qui souffre

Dormir!

Quand la vie est mauvaise on la rêve meilleure.
Les yeux en pleurs au ciel se lèvent à toute heure;
L'espoir vers Dieu se tourne et Dieu l'entend crier.
Laissez tout ce qui pleure

Prier!

C'est pour renaître ailleurs qu'ici-bas on succombe.
Tout ce qui tourbillonne appartient à la tombe.
Il faut dans le grand tout tôt ou tard s'absorber.
Laissez tout ce qui tombe
Tomber!

UN

PROMENADES DANS LES ROCHERS

I.

[N tourbillon d'écume, au centre de la baie, Formé par de secrets et profonds entonnoirs, Se berce mollement sur l'onde qu'il égaie, Vasque immense d'albâtre au milieu des flots noirs. Seigneur, que faites-vous de cette urne de neige? Qu'y versez-vous dès l'aube et qu'en sort-il la nuit ? La mer lui jette en vain sa vague qui l'assiège, Le nuage sa brume et l'ouragan son bruit.

L'orage avec son bruit, le flot avec sa fange,
Passent; le tourbillon, vénéré du pêcheur,
Reparaît, conservant, dans l'abîme où tout change,
Toujours la même place et la même blancheur.

Le pêcheur dit: “ C'est là qu'en une onde bénie,
Les petits enfants morts, chaque nuit de Noël,
Viennent blanchir leur aile au souffle humain ternie,
Avant de s'envoler pour être anges au ciel."

Moi, je dis: "Dieu mit là cette coupe si pure,
Blanche en dépit des flots et des rochers penchants,
Pour être dans le sein de la grande nature,
La figure du juste au milieu des méchants."

II.

La mer donne l'écume et la terre le sable.
L'or se mêle à l'argent dans les plis du flot vert.
J'entends le bruit que fait l'éther infranchissable,
Bruit immense et lointain, de silence couvert.

Un enfant chante auprès de la mer qui murmure.
Rien n'est grand, ni petit. Vous avez mis, mon Dieu,
Sur la création et sur la créature

Les mêmes astres d'or et le même ciel bleu.

Notre sort est chétif; nos visions sont belles.

L'esprit saisit le corps et l'enlève au grand jour. L'homme est un point qui vole avec deux grandes ailes, Dont l'une est la pensée et dont l'autre est l'amour.

Sérénité de tout! majesté ! force et grâce!

La voile rentre au port et les oiseaux aux nids.
Tout va se reposer, et j'entends dans l'espace
Palpiter vaguement des baisers in finis.

Le vent courbe les joncs sur le rocher superbe,
Et de l'enfant qui chante il emporte la voix.
O vent! que vous courbez à la fois de brins d'herbe
Et que vous emportez de chansons à la fois !

Qu'importe! Ici tout berce, et rassure, et caresse.
Plus d'ombre dans le cœur! plus de soucis amers!
Une ineffable paix monte et descend sans cesse
Du bleu profond de l'âme au bleu profond des mers.

III.

Le soleil déclinait; le soir prompt à le suivre
Brunissait l'horizon; sur la pierre d'un champ,
Un vieillard, qui n'a plus que peu de temps à vivre,
S'était assis pensif, tourné vers le couchant.

C'était un vieux pasteur, berger dans la montagne,
Qui jadis, jeune et pauvre, heureux, libre et sans lois,
A l'heure où le mont fuit sous l'ombre qui le gagne,
Faisait gaîment chanter sa flûte dans les bois.

Maintenant riche et vieux, l'âme du passé pleine,
D'une grande famille aïeul laborieux,

Tandis que ses troupeaux revenaient dans la plaine,
Détaché de la terre, il contemplait les cieux.

Le jour qui va finir vaut le jour qui commence.
Le vieux penseur rêvait sous cet azur si beau.
L'Océan devant lui se prolongeait, immense,
Comme l'espoir du juste aux portes du tombeau.

O moment solennel! les monts, la mer farouche,
Les vents faisaient silence et cessaient leur clameur.
Le vieillard regardait le soleil qui se couche;

Le soleil regardait le vieillard qui se meurt.

IV.

Dieu! que les monts sont beaux avec ces taches d'ombre ! Que la mer a de grâce et le ciel de clarté !

De mes jours passagers que m'importe le nombre !

Je touche l'infini, je vois l'éternité.

Orages! passions! taisez-vous dans mon âme !
Jamais si près de Dieu mon cœur n'a pénétré.
Le couchant me regarde avec ses yeux de flamme,
La vaste mer me parle, et je me sens sacré.

Béni soit qui me hait et béni soit qui m'aime !
A l'amour, à l'esprit donnons tous nos instants.
Fou qui poursuit la gloire ou qui creuse un problème !
Moi, je ne veux qu'aimer, car j'ai si peu de temps !

L'étoile sort des flots où le soleil se noie;

Le nid chante; la vague à mes pieds retentit;
Dans toute sa splendeur le soleil se déploie.

Mon Dieu, que l'âme est grande et que l'homme est petit!
Tous les objets créés, feu qui luit, mer qui tremble,
Ne savent qu'à demi le grand nom du Très-Haut.
Ils jettent vaguement des sons que seul j'assemble;
Chacun dit sa syllabe, et moi je dis le mot.

Ma voix s'élève aux cieux, comme la tienne, abîme!
Mer, je rêve avec toi! Monts, je prie avec vous!
La nature est l'encens, pur, éternel, sublime;
Moi je suis l'encensoir intelligent et doux.

BRIZEUX

LE LIVRE BLANC

'ENTRAIS dans mes seize ans, léger de corps et d'âme,

Tout mon être était vierge et pourtant plein de flamme,
Et vers mille bonheurs je tentais mon essor.

Lors m'apparut mon ange, aimante créature;
Un beau livre brillait sur sa robe de lin,
Livre blanc; chaque feuille était unie et pure:
"C'est à toi, me dit-il, d'en remplir le vélin.

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Tâche de n'y laisser aucune page vide,

Que l'an, le mois, le jour, attestent ton labeur.
Point de ligne surtout et tremblante et livide
Que l'œil fuit, que la main ne tourne qu'avec peur.

"Fais une histoire calme et doucement suivie ;
Pense, chaque matin, à la page du soir :

Vieillard, tu souriras au livre de ta vie,

Et Dieu te sourira lui-même en ton miroir."

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