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La fenêtre, un volet la bouche;

Mais du taudis, comme au temps froid
La tiède haleine d'une bouche,

La respiration se voit.

Un tire-bouchon de fumée,
Tournant son mince filet bleu,
De l'âme en ce bouge enfermée
Porte des nouvelles à Dieu.

CHOC DE CAVALIERS

IER il m'a semblé (sans doute j'étais ivre)

HIE

Voir sur l'arche d'un pont un choc de cavaliers Tout cuirassés de fer, tout imbriqués de cuivre, Et caparaçonnés de harnois singuliers.

Des dragons accroupis grommelaient sur leurs casques, Des Méduses d'airain ouvraient leurs yeux hagards Dans leurs grands boucliers aux ornements fantasques, Et des noeuds de serpents écaillaient leurs brassards.

Par moment, du rebord de l'arcade géante,
Un cavalier blessé perdant son point d'appui,
Un cheval effaré tombait dans l'eau béante,
Gueule de crocodile entr'ouverte sous lui.

C'était vous, mes désirs, c'était vous, mes pensées,
Qui cherchiez à forcer le passage du pont,

Et vos corps tout meurtris sous leurs armes faussées,
Dorment ensevelis dans le gouffre profond.

LES COLOMBES

UR le coteau, là-bas où sont les tombes,

SUR

Un beau palmier, comme un panache vert,
Dresse sa tête, où le soir les colombes
Viennent nicher et se mettre à couvert.

Mais le matin elles quittent les branches:
Comme un collier qui s'égrène, on les voit
S'éparpiller dans l'air bleu, toutes blanches,
Et se poser plus loin sur quelque toit.

Mon âme est l'arbre où tous les soirs, comme elles,
De blancs essaims de folles visions

Tombent des cieux, en palpitant des ailes,
Pour s'envoler dès les premiers rayons.

LAMENTO

MA belle amie est morte,

Je pleurerai toujours;

Sous la tombe elle emporte

Mon âme et mes amours.

Dans le ciel, sans m'attendre,

Elle s'en retourna;

L'ange qui l'emmena

Ne voulut pas me prendre.

Que mon sort est amer!

Ah! sans amour, s'en aller sur la mer!

La blanche créature
Est couchée au cercueil.
Comme dans la nature

Tout me paraît en deuil!

La colombe oubliée

Pleure et songe à l'absent;
Mon âme pleure et sent
Qu'elle est dépareillée.

Que mon sort est amer!

Ah! sans amour, s'en aller sur la mer!

Sur moi la nuit immense
S'étend comme un linceul;
Je chante ma romance
Que le ciel entend seul.
Ah! comme elle était belle
Et comme je l'aimais!

Je n'aimerai jamais

Une femme autant qu'elle;
Que mon sort est amer!

Ah! sans amour, s'en aller sur la mer!

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Hélas! j'ai dans le cœur une tristesse affreuse.

Les buveurs en gaîté,

Dans leurs chansons vermeilles,

Célèbrent sous les treilles

Le vin et la beauté;

La musique joyeuse,
Avec leur rire clair,

S'éparpille dans l'air.

Hélas! j'ai dans le cœur une tristesse affreuse.

En déshabillés blancs,

Les jeunes demoiselles

S'en vont sous les tonnelles
Au bras de leurs galants;
La lune langoureuse

Argente leurs baisers

Longuement appuyés.

Hélas! j'ai dans le cœur une tristesse affreuse.

Moi, je n'aime plus rien,
Ni l'homme ni la femme,
Ni mon corps, ni mon âme,

Pas même mon vieux chien.
Allez dire qu'on creuse,
Sous le pâle gazon,

Une fosse sans nom.

Hélas! j'ai dans le cœur une tristesse affreuse.

LA CARAVANE

A caravane humaine au Sahara du monde,

LA

Par ce chemin des ans qui n'a pas de retour, S'en va traînant le pied, brûlée aux feux du jour, Et buvant sur ses bras la sueur qui l'inonde.

Le grand lion rugit et la tempête gronde; A l'horizon fuyard, ni minaret, ni tour;

La seule ombre qu'on ait, c'est l'ombre du vautour, Qui traverse le ciel cherchant sa proie immonde.

L'on avance toujours, et voici que l'on voit Quelque chose de vert que l'on se montre au doigt: C'est un bois de cyprès, semé de blanches pierres.

Dieu, pour vous reposer, dans le désert du temps, Comme des oasis, a mis les cimetières :

Couchez-vous et dormez, voyageurs haletants.

PLAINTIVE TOURTERELLE

PLAINTIVE tourterelle,

Qui roucoules toujours,

Veux-tu prêter ton aile
Pour servir mes amours?

Comme toi, pauvre amante,
Bien loin de mon ramier,
Je pleure et me lamente
Sans pouvoir l'oublier.

Vole et que ton pied rose
Sur l'arbre ou sur la tour
Jamais ne se repose,
Car je languis d'amour.

Évite, ô ma colombe,
La halte des palmiers
Et tous les toits où tombe
La neige des ramiers.

Va droit sur sa fenêtre,
Près du palais du roi,
Donne-lui cette lettre

Et deux baisers pour moi,

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