Reposons-nous !
Le repos est si doux:
Que la peine sommeille Jusqu'à l'aube vermeille!
Dans le sillon, la charrue, au repos, Attend l'aurore et la terre mouillée; Bergers, comptez et parquez les troupeaux, L'oiseau s'endort dans l'épaisse feuillée. Gaules en main, bergères, aux doux yeux, A l'eau des gués mènent leurs bêtes boire; Les laboureurs vont délier les bœufs, Et les chevaux soufflent dans la mangeoire. Reposons-nous! etc.
Tous les fuseaux s'arrêtent dans les doigts, La lampe brille, une blanche fumée
Dans l'air du soir monte de tous les toits; C'est du repas l'annonce accoutumée. Les ouvriers, si las, quand vient la nuit, Peuvent partir; enfin, la cloche sonne, Ils vont gagner leur modeste réduit, Où, sur le feu, la marmite bouillonne. Reposons-nous! etc.
La ménagère et les enfants sont là, Du chef de l'âtre attendant la présence: Dès qu'il paraît, un grand cri : Le voilà!" S'élève au ciel, comme en réjouissance; De bons baisers, la soupe, un doigt de vin, Rendent la joie à sa figure blême;
Il peut dormir, ses enfants ont du pain, Et n'a-t-il pas une femme qui l'aime? Reposons-nous! etc.
Tous les foyers s'éteignent lentement ; Dans le lointain, une usine, qui fume, Pousse de terre un sourd mugissement; Les lourds marteaux expirent sur l'enclume. Ah! détournons nos âmes du vain bruit, Et nos regards du faux éclat des villes : Endormons-nous sous l'aile de la nuit Qui mène en rond ses étoiles tranquilles ! Reposons-nous! etc.
CHANSON MARINE
NOUS revenions d'un long voyage,
Las de la mer et las du ciel.
Le banc d'azur du cap Fréhel Fut salué par l'équipage.
Bientôt nous vîmes s'élargir
Les blanches courbes de nos grèves; Puis, au cher pays de nos rêves, L'aiguille des clochers surgir.
Le son d'or des cloches normandes Jusqu'à nous s'égrenait dans l'air; Nous arrivions par un temps clair, Marchant à voiles toutes grandes.
De loin nous fûmes reconnus Par un vol de mouettes blanches, Oiseaux de Granville et d'Avranches, Pour nous revoir exprès venus.
Ils nous disaient: "L'Orne et la Vire Savent déjà votre retour,
Et c'est avant la fin du jour Que doit mouiller votre navire. "Vous n'avez pas compté les pleurs Des vieux pères qui vous attendent. Les hirondelles vous demandent, Et tous vos pommiers sont en fleurs.
"Nous connaissons de belles filles, Aux coiffes en moulin à vent, Qui de vous ont parlé souvent, Au feu du soir dans vos familles.
"Et nous en avons pris congé Pour vous rejoindre à tire-d'ailes, Vous avez trop vécu loin d'elles, Mais pas un seul cœur n'a changé.”
UN FLEUVE A LA MER
UAND un grand fleuve a fait trois ou quatre cents lieues
Et longtemps promené ses eaux vertes ou bleues Sous le ciel refroidi de l'ancien continent, C'est un voyageur las, qui va d'un flot traînant.
Il n'a pas vu la mer, mais il l'a pressentie.
Par de lointains reflux sa marche est ralentie.
Le désert, le silence accompagnent ses bords. Adieu les arbres verts. Les tristes fleurs des landes, Bouquets de romarins et touffes de lavandes, Lui versent les parfums qu'on répand sur les morts.
Le seul oiseau qui plane au fond du paysage, C'est le goëland gris, c'est l'éternel présage Apparaissant le soir qu'un fleuve doit mourir, Quand le grand inconnu devant lui va s'ouvrir.
La rosée, à la fleur Défleurie
Rend sa vive couleur ;
Mais j'aime mieux un pleur De ma mie.
Le temps vient tout briser. On l'oublie :
Moi, pour le mépriser, Je ne veux qu'un baiser De ma mie.
La rose sur le lin
Meurt flétrie;
J'aime mieux pour coussin
Les lèvres et le sein
De ma mie.
On change tour à tour De folie :
Blond comme un soleil d'Italie, Garde bien ta belle folie.
C'est la sagesse! Aimer le vin, La beauté, le printemps divin, Cela suffit. Le reste est vain. Souris, même au destin sévère ! Et quand revient la primevère, Jettes-en les fleurs dans ton verre. Au corps sous la tombe enfermé Que reste-t-il? D'avoir aimé
Pendant deux ou trois mois de mai.
"Cherchez les effets et les causes," Nous disent les rêveurs moroses. Des mots! des mots! cueillons les roses.
Sur ses larges bras étendus, La forêt où s'éveille Flore,
A des chapelets de pendus Que le matin caresse et dore. Ce bois sombre, où le chêne arbore
Des grappes de fruits inouïs
Même chez le Turc et le More,
C'est le verger du roi Louis.
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