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Tu répands ton enthousiasme
Et tu partages ton manteau,
A ta vaillance le sarcasme
Attache un risible écriteau.

Tu demandes à l'âpre étude
Le secret du bonheur humain,
Et les clous de l'ingratitude
Te sont plantés dans chaque main.

Tu veux voler où vont tes rêves,
Et forcer l'infini jaloux,

Et tu te sens, quand tu t'enlèves,
Aux deux pieds d'invisibles clous.

Ta bouche abhorre le mensonge,
La poésie y fait son miel,
Tu sens d'une invisible éponge
Monter le vinaigre et le fiel.

Ton cœur timide aime en silence,
Il cherche un cœur sous la beauté,
Tu sens d'une invisible lance
Le fer froid percer ton côté.

Tu souffres d'un mal qui t'honore,

Mais vois tes mains, tes pieds, ton flanc :

Tu n'es pas un vrai Christ encore,

On n'a pas fait couler ton sang;

Tu n'as pas arrosé la terre
De la plus chaude des sueurs,
Tu n'es pas martyr volontaire,
Et c'est pour toi seul que tu meurs.

LES DANAÏDES

TOUTES, portant l'amphore, une main sur la hanche, Théano, Callidie, Amymone, Agavé,

Esclaves d'un labeur sans cesse inachevé,

Courent du puits à l'urne où l'eau vaine s'épanche.

Hélas! le grès rugueux meurtrit l'épaule blanche,

Et le bras faible est las du fardeau soulevé :

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Monstre, que nous avons nuit et jour abreuvé,

O gouffre, que nous veut ta soif que rien n'étanche ?"

Elles tombent, le vide épouvante leurs cœurs;
Mais la plus jeune alors, moins triste que ses sœurs,
Chante, et leur rend la force et la persévérance.

Tels sont l'œuvre et le sort de nos illusions:

Elles tombent toujours, et la jeune Espérance

Leur dit toujours: "Mes sœurs, si nous recommencions!"

UN SONGE

E laboureur m'a dit en songe :

LE

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Je ne te nourris plus, gratte la terre et sème.'
Le tisserand m'a dit : Fais tes habits toi-même."
Et le maçon m'a dit: "Prends ta truelle en main."

Et seul, abandonné de tout le genre humain
Dont je traînais partout l'implacable anathème,
Quand j'implorais du ciel une pitié suprême,
Je trouvais des lions debout dans mon chemin.
J'ouvris les yeux, doutant si l'aube était réelle :
De hardis compagnons sifflaient sur leur échelle,
Les métiers bourdonnaient, les champs étaient semés.

Je connus mon bonheur et qu'au monde où nous sommes
Nul ne peut se vanter de se passer des hommes;
Et depuis ce jour-là je les ai tous aimés.

LE RENDEZ-VOUS

Lest tard; l'astronome aux veilles obstinées,

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Sur sa tour, dans le ciel où meurt le dernier bruit,
Cherche des îles d'or, et, le front dans la nuit,
Regarde à l'infini blanchir des matinées;

Les mondes fuient pareils à des graines vannées;
L'épais fourmillement des nébuleuses luit;
Mais, attentif à l'astre échevelé qu'il suit,

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Il le somme, et lui dit : Reviens dans mille années."

Et l'astre reviendra. D'un pas ni d'un instant

Il ne saurait frauder la science éternelle;
Des hommes passeront, l'humanité l'attend;

D'un œil changeant, mais sûr, elle fait sentinelle;
Et, fût-elle abolie au temps de son retour,
Seule, la Vérité veillerait sur la tour.

LA VOIE LACTÉE

AUX étoiles j'ai dit un soir :

'Vous ne paraissez pas heureuses;

Vos lueurs, dans l'infini noir,

Ont des tendresses douloureuses;

"Et je crois voir au firmament
Un deuil blanc mené par des vierges
Qui portent d'innombrables cierges
Et se suivent languissamment.

"Êtes-vous toujours en prière ?
Êtes-vous des astres blessés ?
Car ce sont des pleurs de lumière,
Non des rayons, que vous versez.

"Vous, les étoiles, les aïeules
Des créatures et des dieux,

Vous avez des pleurs dans les yeux .

Elles m'ont dit :

"Nous sommes seules...

"Chacune de nous est très loin

Des sœurs dont tu la crois voisine;
Sa clarté caressante et fine

Dans sa patrie est sans témoin;

"Et l'intime ardeur de ses flammes
Expire aux cieux indifférents."

Je leur ai dit: "Je vous comprends!
Car vous ressemblez à des âmes:

“Ainsi que vous, chacune luit

Loin des sœurs qui semblent près d'elle,
Et la solitaire immortelle

Brûle en silence dans la nuit."

REPENTIR

'AIMAIS froidement ma patrie,

J'AIMAIS ma p

De son grand renom mérité
J'étais fier sans idolâtrie.

Je m'écriais avec Schiller:

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'Je suis un citoyen du monde ;

En tous lieux où la vie abonde,

Le sol m'est doux et l'homme cher !

"Des plages où le jour se lève
Aux pays du soleil couchant,
Mon ennemi, c'est le méchant,
Mon drapeau, l'azur de mon rêve!

"Où règne en paix le droit vainqueur, Où l'art me sourit et m'appelle,

Où la race est polie et belle,

Je naturalise mon cœur ;

"Mon compatriote, c'est l'homme!" Naguère ainsi je dispersais

Sur l'univers ce cœur français :
J'en suis maintenant économe.

J'oubliais que j'ai tout reçu,
Mon foyer et tout ce qui m'aime,
Mon pain, et mon idéal même,
Du peuple dont je suis issu,

Et que j'ai goûté dès l'enfance, Dans les yeux qui m'ont caressé, Dans ceux mêmes qui m'ont blessé, L'enchantement du ciel de France!

Je ne l'avais pas bien senti;
Mais depuis nos sombres journées,
De mes tendresses détournées
Je me suis enfin repenti;

Ces tendresses, je les ramène
Étroitement sur mon pays,
Sur les hommes que j'ai trahis
Par amour de l'espèce humaine,

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